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samedi, 11 août 2012

En haut de la rue Saint Vincent, un poète et une inconnue, etc.

Pour la suite, voyez Patachou ou Cora Vaucaire...
Je passai donc et repassai rue Saint Vincent.
Je suis sûr que cette année-là les pavés de la rue ont perdu au moins deux millimètres en épaisseur, rien qu’à cause de mes pérégrinations.
Je rêvai éveillé du moment où je lui proposerai d’aller au cinéma, le vrai rêve étant qu’elle accepte…
Dans ce but, j’avais été un fils particulièrement attentionné et pour tout dire franchement servile avec ma mère.
J’étais prêt à tout pour gagner un peu de sous, suffisamment du moins pour pouvoir sortir, grand seigneur, le prix de deux places de cinéma.
Et, ne soyons pas mesquin, celui de deux cafés.
Prêt à tout sauf à rester à la maison l’après-midi histoire de ne pas la manquer si…
des fois...

Ça ne paraît pas mais récupérer huit à dix francs n’était pas si facile.
Surtout les obtenir de ma mère, dont le porte-monnaie était principalement peuplé d’une ménagerie de scorpions et de hérissons.
Je pourrai vérifier plus tard que la vente de matériel Hi-Fi dans une boutique du XVIIème pendant les vacances était nettement plus rentable…
Quasiment une semaine de travail acharné et de traînage de pieds d’un air désenchanté dans le quartier !
Enfin, le quartier… Il se limitait en fait à la rue Saint Vincent. Et plus exactement les cent mètres de la rue Saint Vincent et les cent mètres de la rue Caulaincourt que j’arpentai avec constance.
Je pouvais citer toutes les boutiques et maints détails de ces deux cents  mètres de rue.
Dieu que cette semaine fut longue… Et triste…
Je commençai à désespérer de la revoir, et ma mère de revoir le mouchoir –elle en demandait des nouvelles de temps en temps-.

Je ne me rappelle plus la date, seulement le jour, un mercredi, où nous passâmes au même moment dans les mêmes deux cents mètres.
Mon pauvre cœur, déjà malmené, éclata en au moins six morceaux dans une poitrine sur le point d’exploser.
A ma grande surprise, elle parut d’abord interdite puis me sourit, un sourire éclatant qui assombrit le soleil pendant trente secondes au bas mot.
Cette fois-ci, je me lance, juré craché ! Je lui demanderai de m’accompagner au cinéma.
Elle allongea le pas et, toujours souriante, me serra la main en me disant « Je suis désolée, j’ai encore oublié votre mouchoir ».
Je dois avouer que si elle s’était précipitée en me tendant un mouchoir, j’aurais été effondré…
Ce mouchoir servit longtemps, ce fut un mouchoir inusable, le seul mouchoir inusable et invisible que j’aie jamais connu…
Nous entrâmes au café, « the café », allâmes dans un des boxes, nous y assîmes face à face une fois encore et je commandai nos cafés.

Nous conversâmes un long moment tandis que nos cafés refroidissaient –je crois n’avoir pas bu un seul café chaud dans ce café- et  notre conversation porta beaucoup, pour ce que je me rappelle, sur le cinéma. Les leçons prises auprès de mes amis du lycée me furent profitables qui me permirent de ne pas passer pour un bête amateur de castagne sur grand écran.
Si je ne détestais pas un western ou un « peplum » elle avait une prédilection pour les films dits « sérieux » et le fait de pouvoir lui parler de « Hiroshima mon amour » comme quelqu’un qui non seulement l’avait vu mais avait été passionné joua en ma faveur.
Comme elle, j’aurais aimé voir « Le Mépris » mais il était « interdit aux moins de dix-huit ans » selon la formule de l’époque.
Pour être tout à fait honnête, je pense que nous ne voulions pas voir « Le Mépris » exactement pour les mêmes raisons, non que l’intrigue ne m’intéressât pas mais l’idée de voir Brigitte Bardot en tenue d’Eve me tentait…
Elle accepta d’aller avec moi au Montcalm qui donnait en matinée « Les 55 jours de Pékin ».

jeudi, 09 août 2012

Reprenons…

Une fois la douleur atténuée, elle reprit sa main ce qui arracha dans l’instant un large morceau de mon cœur.
Nos cafés, de froids étaient redevenus tièdes, je ne sais pas si c’est à cause de la chaleur d’août ou d’avoir été tenus si longtemps dans nos mains.
Nous parlions de choses et d’autres. Surtout d’autres.
A part nos prénoms et où nous allions au lycée, nous dîmes peu de choses sur nous.
Nous savions tout juste, au bout de cette demi-heure, que nous habitions le même quartier et aimions Montmartre et le cinéma.
Elle aimait bien le Montcalm, j’évitai donc de lui parler de « l’Ornano 43 », nettement moins reluisant et pour tout dire pas toujours fréquentable –lors du baiser final, le spectacle était souvent dans la salle et les gauloiseries particulièrement solides-…
De fait je vivais dans un quartier de voyous et ma mère prenait garde à nous éviter la contagion langagière et comportementale, à coups de conseils souvent, à coups de câlins fréquemment mais surtout à coups de taloches.
Je sortis mes pièces –dans un geste léger qui, sur le coup, me parut naturel, c’est dire l’effet qu’elle me faisait- et les donnai au cafetier.

Elle se leva, me tendit la main, la bonne, pas celle que j’avais maltraitée, me dit merci et partit vers la sortie.
Je la suivis, ne sachant quoi dire –ce qui est rare chez moi-  ni surtout quoi demander.
Mon don de baratineur, celui qui suscitait l’envie –et parfois la jalousie- de mes camarades, m’avait abandonné.
Cette fille m’avait rendu muet ! Moi qui ne reculais devant aucune ânerie,  aucune flatterie du moment qu’elle était proférée à bon escient, j’avais la bouche cousue.
Je me jetai à l’eau –ce qui n’est pas un exercice si facile sur la rue Caulaincourt, croyez-moi- et osai un timide « vous repasserez par ici ? ».
Je m’attendais à un refus poli, voire « je pars demain avec mes parents » expression favorite des filles ces temps-ci.
En fait j’eus droit à un sourire timide et à « Et votre mouchoir ? Vous me le donnez ?».
Elle ajouta « Nous devrions nous croiser encore, je passe souvent rue Saint Vincent. »
Soit il ne lui vint pas à l’esprit de me rendre à l’instant un mouchoir taché, soit elle avait dans l’idée de ne pas rater une occasion de sortir avec un type aussi extra que votre serviteur.
Par un excès de prudence inhabituel chez moi, je penchai pour la première explication…
Nous n’avions le téléphone ni l’un ni l’autre ni ne savions où habitait l’autre, ce qui limitait sérieusement les possibilités de communication à distance.
Et le plus inquiétant était que nous n’y avions pensé ni l’un ni l’autre.
Deux têtes de linottes, nous devions penser à autre chose.
Je passais le lendemain, puis le surlendemain.
L’espoir fait peut-être vivre mais il fatigue quand il dure…
Je dus pendant les deux jours suivants aider ma mère, ce qui me permit de restaurer une fortune salement entamée par deux cafés.
Le quatrième jour, un lundi, je repassai rue Saint Vincent.
Je la descendis lentement du Sacré-Cœur jusqu’à la rue Caulaincourt puis la remontai jusqu’à la rue du Chevalier de la Barre –mort à dix-huit ans pour n’avoir pas salué une procession-.
Je fis trois fois le voyage. Le pas un peu plus las à chaque fois, non que ce fut la fatigue, à quinze ans on ne s’épuise pas si facilement, non, juste la tristesse.
Pas celle d’avoir perdu un mouchoir, seule ma mère en était attristée. J’étais triste d’une fille qui me manquait depuis trop longtemps.
Je descendis de nouveau la rue Saint Vincent jusqu’à la rue Caulaincourt et m’apprêtai à regagner tristement mes pénates en traînant les pieds de désespoir lorsque je la vis.
Elle faisait les cent pas devant « the » café et me tournait le dos.
Du coup, mon pas redevint alerte, elle fit demi-tour, sourit et dit seulement en me tendant la main  « J’ai oublié votre mouchoir… ».
C’est à ce moment seulement que je remarquai que nous nous voussoyions.

Habituellement je prête peu d’attention au sort des mouchoirs mais je fus heureux qu’elle me donnât encore une chance de la revoir.
Au moins celle de récupérer mon mouchoir…
Et toujours pas de rendez-vous et toujours « je passe souvent rue Saint Vincent » et toujours elle me serrait la main en partant et toujours elle me manquait à peine sa main lâchée.

Rien n'est simple...

Et parfois tout se complique, comme dit Sempé...
Je me demande si Heure-Bleue ne ressent pas une pointe de jalousie retrospective à la lecture de mes notes.
J'ai beau lui dire que toutes ces jeunes filles sont aujourd'hui à la retraite, m'ont probablement oublié -ce qui a un je ne sais quoi de blessant-.
Elles sont mariées, ont des enfants que je ne leur ai pas faits. Infidèles va...
Dans tous les cas, elles ne sont, comme moi, plus rien de ce qu'elles étaient.
Nous avons mal partout alors que nous n'avions mal qu'au coeur.

Bref, le temps est cruel...

Mais je continuerai tout de même mon récit, je n'ai jamais reculé devant l'adversité, je ne vais pas commencer aujourd'hui !
Quatre décennies avec Heure-Bleue, ça vous forge un caractère...

 

mercredi, 08 août 2012

Et puis que...

Borgne peut-être mais pas aveugle et même avec un regard assez acéré pour ce genre de chose, je remarquai de suite que c’était une jolie fille aux yeux clairs et aux cheveux châtains.
Ô merveille, elle évitait aussi cette coiffure que je détestais chez mes sœurs, coiffure dite « choucroute ».
A la maison, cette « choucroute » faisait des histoires depuis quelque temps.
Parce que la « choucroute », c’est assez aisé à faire, il suffit de crêper les cheveux et de les recouvrir avec des cheveux « normaux », c'est-à-dire épargnés par l’embrouillamini du dessous.
En revanche, le décrêpage donnait lieu à des grincements de dents, de mes sœurs piaillant « ça tire ! », de ma mère qui passait son temps à nettoyer les brosses et ramasser les cheveux par terre puis de mon père qui passait trop de temps à son goût à déboucher l’évier…
Et puis je trouvais ça assez laid. Voilà.

Cette jeune fille avait des cheveux souples, mi-longs, atteignant tout juste ses épaules et sacrifiait tout de même à la mode de la frange.
J’avais, quant à moi la chance d’avoir pu convaincre ma mère que pour le lycée, sa coupe préférée pour les garçons, coupe dite « court devant, ras derrière et bien dégagé autour des oreilles », ne convenait pas.
Je n’avais donc pas les cheveux longs, la mode « beatnik » n’était pas encore de mise, mais je n’avais pas non plus la coupe « bidasse » défaut rédhibitoire chez tout garçon à la recherche de l’âme sœur.
J’avais déjà beaucoup de sœurs, manquait encore l’âme…
En revanche,
les séquelles de mon expérience aérospatiale m’avaient laissé avec un je ne sais quoi de flou dans la direction du regard.
Il me fallait donc détourner rapidement l’attention vers d’autres aspects de mon intéressante personne.
J’en gardai l’habitude du badinage…
Cette jeune fille, qui me dit s’appeler Danièle, « avec un « e » accent grave ! » insista-t-elle, me regardait franchement et avait quant à elle ce regard pers auquel je n’ai jamais pu résister.
Ce regard chez les femmes, m’attire encore et toujours aujourd’hui…
Quant à sa peau, que voulez-vous que je vous dise, elle avait la peau d’une jeune fille de quinze ans qui ignorait l’existence du mot « acné », et même qu’il pût y avoir des boutons sur une peau…
D’une pâleur et d’une transparence qui me donnent encore chaud aujourd’hui.
A y réfléchir, dès que l’œil et la peau féminins s’éclaircissent, je ne peux résister…
Et, le sort faisant merveilleusement les choses, elle avait un visage aux traits aigus, au nez aquilin et à la bouche délicate, véritable cerise pâle que j’eus envie de croquer sur le champ.
En garçon bien élevé, je me gardai bien de me ruer comme un affamé et laisser le champ libre à mes envies.
De fait, je me disais surtout que, mat de peau, noir de cheveux, l’œil brun et le regard quelque peu divergent, je n’avais aucune chance d’intéresser cette jeune fille et encore moins d’être aimé d’elle.
Avec un discernement plutôt rare chez moi qui n’ai pas peur de grand’ chose, je me disais que mes chances de succès étaient plus que maigres voire inexistantes.
Devant nos cafés qui refroidissaient, je regardais une merveille.
Et celle qui m’attendait au Sacré-Cœur m’était totalement sortie de l’esprit...

mardi, 07 août 2012

C’est là que…

C’est au début du mois d'août 1964 que je croisai pour la première fois Danièle S.

J’étais sur le chemin du Sacré-Cœur, cette église dont je me demande encore aujourd’hui laquelle, de la basilique Sainte Thérèse à Lisieux ou du Sacré-Cœur à Paris, est l’archétype du mauvais goût.
Cet énorme gâteau de crème Chantilly posé au sommet de la colline de Montmartre était un lieu de rendez-vous pratique pour tous les adolescents des IXème, Xème et XVIIIème arrondissements.

Le vaste jardin du Sacré-Cœur était largement pourvu de bancs, chaises et points de repère pour qu’on s’y puisse donner rendez-vous aisément.
En réalité ce square s’appelait square Willette jusqu’à ce qu’on s’avise que l’engagement antisémite du sieur Willette faisait tache et qu’on renomme le square « Louise Michel ».
Probablement en attendant que quelqu’un trouve du plus mauvais effet d’honorer une anarchiste dans notre pays assez jacobin…

Je montai d’un pas alerte la rue Saint Vincent –oui, celle de la chanson-, j’avais un rendez-vous avec une fille, qui semblait sensible à mon charme ou peut-être s’ennuyait ferme, rencontrée il y a peu.
Distrait et rêvassant –comme d’habitude-  à la façon dont pouvait tourner cet après-midi.
Je fus sorti brutalement de mes supputations par un choc.
J’avais si brutalement heurté quelqu’un que je l’avais fichu par terre.
Ma première pensée fus « m… ! », la seconde fut tout de même d’aider ma victime.
Je revins donc rapidement sur terre et vis une jeune fille que j’aidai à se relever.
Je l’avais sérieusement aidée à s’écorcher une main et elle avait encore trop mal pour songer à m’agonir d’injures.
Mon rendez-vous était mal parti et l’après-midi s’annonçait sous les pires auspices qui soient.

Je sortis de ma poche un mouchoir miraculeusement propre et tentai de nettoyer la plaie.
Elle hurla…
Puis pleura…
En la voyant les larmes aux yeux, je me dis égoïstement que j’avais de la chance, je n’étais pas tombé sur une bête féroce prête à m’étriper pour ma distraction.
Je tenais toujours sa main. Pour la détendre, la consoler et m’excuser, j’osai timidement « vous voulez un café ? ».
D’autant plus timidement que les deux francs qui devaient constituer toute ma fortune seraient terriblement écornés dans l’affaire.
J’attendis un moment sa réponse.
Un timide « oui, merci » arriva, ruinant tous mes espoirs de conserver mes francs.
Je n’étais pas radin, juste pauvre.
Je tenais toujours sa main. Elle se secoua en hochant la tête et la dégagea.
Elle se tint la main tout au long du chemin qui menait à un café.
Nous descendîmes jusqu’à la rue Caulaincourt –vous ne me la ferez pas, c’était mon quartier et je le connais sur le bout du doigt…-.

Elle connaissait aussi bien le quartier que moi et entra dans un café de la rue Caulaincourt où le café coûtait, dans mon souvenir, autour de trente centimes ce qui attirait un tas d’adolescents.
Le mastroquet se rappelait sans doute sa jeunesse et avait astucieusement disposé ses banquettes de façon à former des boxes, d’où l’affluence.
Notre rencontre augurait mal de nos relations et nous ne soupçonnions pas plus l’un que l’autre que ce café serait le premier de nos nombreux cafés…
En attendant, je repris sa main –oui, cette fois-ci c’est moi qui prit la main- et après avoir humecté mon mouchoir, j’entrepris de réparer les dégâts causés à la plus jolie paume qui soit.
Après des minutes de « aïe ! », de « sshhh » et de soupirs divers, dont des « mmmmfff ! », sa main ressemblait à une main.
J’avais été fort occupé pendant la demi-heure écoulée et n’avais prêté attention qu’à la main de ma victime.
J’avais d’ailleurs du mal à la lâcher et je me rappelle avoir gardé cette main dans la mienne plus longtemps que réellement nécessaire mais du moment que sa propriétaire ne disait rien...
J’enveloppai cette main de mon mouchoir –ma mère me reprocherait longtemps ce mouchoir perdu.- et commandai deux cafés.
Je prêtai alors attention à tout ce qu’il y avait d’attaché à cette jolie main…