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vendredi, 08 mars 2013

Flash-back.

R.S. avait très mal ce jour là.
Elle n’avait pas très chaud non plus en ce six janvier 1949.
L’hiver était rigoureux et les fonds plutôt bas.
Son mari, G. était au travail, un de ces emplois d’après guerre, rares et mal payés, qu’on ne pouvait exercer qu’à raison d’une vingtaine d’heures par semaine, faute d’un approvisionnement en électricité suffisant.
Son déjeuner consistait souvent en une baguette qu'il mangeait en faisant le tour de l'usine. Et il s'estimait heureux de n'avoir pas à se contenter du célèbre « sandwich polonais » dont devaient se satisfaire certains ouvriers et qui consistait en un peu roboratif « ticket de viande entre deux tickets de pain »...
G. se demandait, sur le chemin de l’exigu logement qu’il occupait avec R., si c’était pour mener cette vie là qu’il s’était battu pendant plus de quatre ans.
G. avait été « désigné volontaire d’office » pour défendre le pays par son père, un officier de la Royale à la retraite qui ne plaisantait pas avec le sort de la patrie. Il avait passé cinquante-trois mois sur les champs de bataille, y avait été blessé deux ou trois fois assez sérieusement. G. estimait qu’il méritait une vie meilleure que celle qui lui semblait promise. Même en 1949, alors que la guerre s’était éloignée, il faisait quasiment chaque nuit des cauchemars épouvantables dont R. le sortait pour le consoler.
Et consoler n’est pas toujours innocent.
C’est d’ailleurs à cause d’une de ces consolations qu’elle avait très mal au ventre en ce six janvier.
Elle laissa un petit mot sur la table de la cuisine et partit à pied pour l’hôpital Saint-Antoine.
Quelques heures plus tard elle donna naissance à un bébé de trois mille huit cents grammes et cinquante-cinq centimètres.
À onze heures moins le quart du soir pour être précis car à l’époque on n’était pas moderne, il n’était donc pas vingt-deux heures quarante-cinq.
Je me le rappelle très bien car ma mère me l’a rappelé à chacun de mes anniversaires.
Tout comme, signe indubitable d’un destin favorable, elle me rappelait que j’étais né le « jour des Rois ».
Quant à moi, j’ai surtout remarqué, des années plus tard, un détail qui explique sans doute ma répugnance au moindre effort. Le six janvier 1949 était un jeudi, ce jour béni des écoliers…
Précoce déjà, je montrais d’étonnantes dispositions pour pourrir la vie de mes proches, surtout la nuit.
Ma mère s’usa les seins à m’allaiter plusieurs fois par nuit pour permettre à mon père de dormir quelques heures. J’en ai gardé depuis une forte tendance à la goinfrerie et un intérêt certain pour ce qui habille si joliment les poumons des femmes.

 

mercredi, 06 mars 2013

Quand j’avais cinq ans je m’ai pas tué.

Le bus nous a arrêtés là.
Pas très loin de la place de V. à l’automne 1954, une petite place assez triste. Place encore plus triste sous le ciel bas et un vent à décorner les bœufs. Comme toujours, j’ai froid. J’ai toujours froid.
Ma mère m’a pris par la main et m’a tiré pendant qu’elle tenait de l’autre main une petite valise en carton bouilli. Verte la valise. Et lourde…
Ma mère a toujours su faire des valises comme ça. De vrais pièges. Des valises petites mais extrêmement bien rangées et remplies. Des valises qui vous allongent le bras de dix centimètres et vous tassent les vertèbres.
Je suivais ma mère avec un enthousiasme relatif. L’idée de passer des semaines puis des mois, des années peut-être dans cette école n’avait rien de réjouissant.
Je vous ai déjà parlé de ma mère ?
Non ? Il me semblait bien que non.
Pourquoi donc me trouvais-je sur la place de V. le 11 octobre 1954 ?
Je vous parle du 11 octobre parce que j’ai vérifié, je me rappelle seulement que c’était un mardi.
Je me trouvais là parce que mes parents et « la grande école » se sont aperçus, dès le premier octobre 1954, que je savais lire et qu’il était bon de me faire entrer directement en classe de CE1.
Par manque de chance, mon école était au bout de la rue Championnet, proche de cette « porte de Clignancourt » dont j’aurais l’occasion de vous parler plus longuement.
C’était une école dont les élèves étaient assez remuants. Voire franchement voyous pour certains…
Et cette classe de CE1, dirigée d’une main de guimauve dans un gant de tissu éponge par monsieur D. était un vivier de futurs bandits. Leur langage était imagé et on n’en trouvait aucune trace dans les dictionnaires. Langage plus proche de celui des « apaches » que de la Comédie Française.
Ma mère donc, était effrayée à l’idée que son fils unique et chéri finît  les bras liés à une rame sur une galère et avait décidé de me mettre à l’abri chez les Frères.
Je me dis en arrivant devant la porte de l’école des Frères, que ma mère et moi avions des vues divergentes sur la notion d’abri.
Pire, je ne savais rien encore de la vague de honte qui allais me noyer une fois la porte franchie…

mardi, 05 mars 2013

Les sous de Bruxelles…

Je viens d’apprendre avec un certain étonnement que l’Europe, pourtant toujours à court de sous pour donner à manger à ses affamés, vient de trouver un milliard d’€uros pour construire une machine capable de simuler le fonctionnement du cerveau humain.
Mon étonnement est d’autant plus grand que ledit fonctionnement étant quand même largement inconnu chez l’homme, je me demande comment on va pouvoir concevoir une machine capable de l’imiter.
Il y a pire, considérant le fonctionnement aléatoire et parfaitement déraisonnable du cerveau humain, on peut craindre que les mêmes alea conduisent, par un hasard malheureux à faire une machine qui simulera effectivement le fonctionnement dudit cerveau.
Vous avez déjà pu apprécier le nombre important de décisions stupides prises par ceux dont le cerveau serait paraît-il le mieux ordonné, du moins aiment-ils nous le faire croire.
Déjà, je craignais en ces temps troublés où le populisme gagne du terrain, de voir le commun des mortels prendre à son tour des décisions encore plus stupides.
Une crainte supplémentaire vient assombrir un moral qui n’est pas au beau fixe.
Est-il vraiment indispensable de construire des machines capables d’un comportement d’autant plus stupide qu’il est copié sur le nôtre mais incommensurablement plus rapide ?
Imaginez alors l’avalanche d’emmerdements qui ne manquerait pas d’emporter l’humanité.
Une humanité qui serait alors d’autant moins utile qu’elle aurait des remplaçants électroniques qui, eux, n’ont absolument rien à cirer de la diversité biologique…
On a de ces idées, parfois…

 

lundi, 04 mars 2013

La poupée ruse...

Dites-moi, lectrices chéries, vous ai-je déjà parlé de Merveille ?
Ce petit être délicieux comme un chaton, c'est-à-dire plein de griffes et prêt à tout pour obtenir ce dont elle a envie ?
Eh bien, je suis allé chercher Merveille à l’école vendredi dernier.
Parents démissionnaires quasiment puisqu’ils ont laissé aux grands-parents le soin de s’occuper de leur progéniture pendant, ô merveille du langage institutionnel, « la pause méridienne ».
Vous connaissez mamy, plus connue sous le nom d’Heure-Bleue.
Vous savez donc que midi tapantes ne fait pas partie de sa période de veille.
Non, elle n’est plus au lit mais elle erre dans ces limbes mystérieux remplis de vos billets et de Ricoré préparées avec amour et eau chaude par son camarade de vie.
Le rôle de récupérateur de Merveille échoit donc, de façon aussi habituelle qu’obligatoire à votre Goût préféré.
Vous remarquez j’espère, et j’espère itou avec admiration, l’art de délayer de votre serviteur à qui sa grand’mère déjà disait « mais d’une merde de chien tu fais un pain de sucre, mon garçon ! ».
Bref, me voici donc sur le chemin de l’école, réfrigéré comme un excrément maghrébin –Oui, « Political correctness » oblige, on n’a plus le droit de dire « gelé comme une merde arabe »-, vouant aux gémonies mon fils, sa moitié, la mienne et l’hiver qui se prolonge. Je me hâte vers l’école maternelle car au moins, les écoles sont chauffées, pour combien de temps encore, je ne sais pas mais j’en profite.
Et je retrouve une Merveille pas trop en forme, elle copie Elisabeth Windsor.
Oui, vous ne le savez peut-être pas mais Madame Sa Majesté a une gastro. Yahoo m’en a averti dès l’ouverture de mon navigateur.
Merveille donc, à vomi dans son lit mais est tout de même allée à l’école.
Avec entrain malgré tout, il était question de cinéma, perspective autrement palpitante que la mise à jour du « cahier de vie »…
Et nous voilà tous deux sur le chemin de la maison.
Merveille tenant absolument à me donner la main. Signe indubitable qu’elle veut me dire quelque chose d’important.
- Papy…
- Oui Beauté ?
- Tu sais, Hatim, eh bien…
- Oui, qui donc est Hatim ?
- C’est celui qu’a des…
- Non ! C’est celui qui a !
- Bon, Hatim, c’est celui qui a des « naillques grises », enfin gris-clair.
- Et ?...
- Alors Ibrahim s’en va pour soigner sa grand’mère.
- Ah bon ?
Etrange coq à l’âne…
- Oui, il s’en va au Maroc.
Là, je me dis que la grand’mère d’Ibrahim est mal partie mais je commence à entrevoir un secret qui a du mal sortir.
- Et donc ?
- Eh bien Hatim il a drôlement mal au pied, il boîte.
- Il est blessé ou il a un pied de travers ?
- Ah non ! Il n’a pas un pied de travers ! Il s’est blessé en marchant sur un gros bout de verre ! Tu te rends compte ? Ça a traversé sa chaussure !
- Ah… Alors…
- Oui, il a eu très mal, voilà, alors Hatim…
- Eh bien, qu’est-ce qu’il a Hatim ?
- Hatim il a très mal.
- Oui, je sais, le pauvre… Mais je ne le connais pas, il ressemble à quoi, Hatim ?
Silence de plusieurs secondes puis « Hatim… », long soupir et enfin « Hatim, il est très bôôôô »…
Sur cette confidence importante, elle a serré la main de papy et s’est serrée contre lui.
J’ai vu, le soir même, Hatim sur la photo de classe.
Vous savez à quoi ressemble Merveille.
Eh bien Hatim est un petit garçon, très brun, avec le teint mat. Comme Julien, l’abonné à « la chaise des punis », parti depuis sous d’autres cieux.
Cette famille est une fabrique de cœurs d’artichauts « label rouge »…

dimanche, 03 mars 2013

Que serais-je sans toi…

C'est l'anniversaire de Merveille.
Elle devient vieille aujourd'hui, elle a six ans et, comme la racaille de base, elle a deux dents en moins.
Nous devisions en regardant le télé sur les méfaits des ans, pas sur nous évidemment...
Avec Heure-Bleue, nous regardions Dany Brillant et Hélène Segarra.
Bon, aucun intérêt, la télé était restée allumée après les infos.
Avec Hélène Segarra, c’est un peu comme avec Lara Fabian, j’ai toujours peur qu’elle se mette à hurler.
Lara Fabian, c’est pas pareil, c’est la seule qui réussit à crier plus fort que ma mère quand j’avais fait une connerie, et ça, ça fait peur.
Enfin, là ça allait, Danny Brillant et Hélène Segarra chantaient une chanson de Montand, « A Paris ».
Heure-Bleue m’a dit, l’air étrange « Tu ne m’as même pas fait danser un slow ! »
Je lui ai fait gentiment remarquer « Euh… Tu sais, tu étais enceinte jusqu’aux dents… »
Elle a eu l’air de me croire. Genre trois secondes…
Puis, l’illumination lui vint d’un coup « Mais non ! Tu ne m’as même jamais emmené en boîte ! »
Je lui ai alors fait remarquer « Que si si ! Nous sommes allés en boîte ! Avec des copains ! Ils nous ont même emmenés et que si, on y était allé avec des copains, en 4L, oui ! En 4L ! »
C’est alors qu’elle a daigné se souvenir que non seulement nous étions allés en boîte mais qu’en plus nous avions l’Ours dans son couffin.
Et sans mettre le couffin dans le coffre…
Et l’Ours dans le couffin, avec une Heure-Bleue qui ne le quittait pas des yeux, pour danser, c’est pas top…
Nous n’avons pas dansé de slow.
Les slows, c’est avant les bébés…