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vendredi, 31 mai 2024

Avant...

Une odeur de viande grillée est venue me chatouiller les narines.
J’écoutais la radio, on y parlait de Paul Auster parce qu’il venait de mourir.
Je me rappelle l’avoir entendu parler d’écriture, de ce qui faisait qu’on aurait ou non quelque chose à dire au monde.
Et c’est là que je me suis aperçu que Dostoïevski comme Paul Auster savaient bien mieux que moi dire l’importance des choses.
Il y a un poème de Paul Auster d’un recueil qui s’appelle, je crois « Disparitions » et qui m’est sorti de l’esprit.
Il parlait de l’impossibilité du repos une fois qu’on connaît le langage.
Il disait je crois « Car chaque mot est un ailleurs, une chose qui bouge plus vite que l’œil », si je me rappelle bien, ça se terminait sur « où il n’a pas de chez lui ».
Mais je n’en suis pas sûr, j’ai lu ça dans les années 90 en fouinant chez ma libraire préférée.
Ça traduisait à mon sens assez bien les pensées  qui me viennent à l’esprit.
Maintenant il me revient que comme beaucoup d’enfants de l’époque, celle d’avant la « Guerre d’Algérie » que beaucoup appelaient « Les évènements », j’avais des amis.
Ils ont disparu dans les brumes du temps et des années, dispersés qu’ils furent par le cours des choses et les années qui tuent et voient naître.
Ils ont laissé chez moi des souvenirs, des sons, des odeurs, des images.
Beaucoup d’images.
Des images de rues ensoleillées et d’escaliers à gravir.
Des odeurs d’épices devant des épiceries closes depuis des lustres.
Des voix qui fredonnent des succès de gens qui sont morts les uns après les autres.
Bien que dépourvu de toute veine littéraire, je me suis senti étonnamment proche de Paul Auster.
Un moment j’ai même eu l’impression de le comprendre.
C’est dire...
Comme nous tous, il a remarqué dans ses poèmes que la vie est un ruisseau étrange dont le cours est décidé par le hasard des écueils croisés.
J’ai seulement constaté que l’éclairage des années donne à mes souvenirs la couleur des saisons.
Avec le « temps de mince » qui sévit ces temps-ci, la couleur en évidemment est mélancolique…
Cette odeur de viande grillée est repassée par mon nez, apportée sans doute par la fenêtre de la cuisine, toujours entrebâillée « à l’espagnolette »
Je me suis demandé d’où elle venait.
Ce n’était pas le canard que j’avais fait cuire.
Puis je me suis souvenu.
Cette odeur de viande qui cuit dans la poêle et prend cette fragrance due au gras laissé dans la viande, histoire d’en rendre le prix et l’odeur attrayants.
C’était celle de certains soirs où on attendait mon père.
Celle où il allait arriver, où il allait déposer un léger baiser sur la bouche de ma mère.
Quand c’était comme ça, elle lui disait « Bonsoir Lemmy. »
J’aimais bien les soirs où il y avait l’odeur de la viande dans la poêle et où elle appelait mon père « Lemmy ».
C’était mieux que les « soirs à soupe à alphabets ».
Ceux où elle appelait mon père « Gaby » d’une voix bougonne.
Les soirs de fin de mois précoce…
Il est très fort, ce Paul Auster, quand même…

Commentaires

Un auteur que j'aime...Pas toujours joyeux...L'écouter s'exprimer en français un plaisir certain.

Écrit par : mume | vendredi, 31 mai 2024

Ma mère appelait mon père Joël en toutes circonstances.
Comment mon père appelait-il ma mère ? Je n'ai aucun souvenirs !
Par contre lorsqu'il venait s'installer à table avant que le couvert ne soit mis, nous savions que le repas allait être "terrible" !!!

Écrit par : Fabie | samedi, 01 juin 2024

Chacun ses souvenirs, pour certains les cris et les remontrances donc des repas vite pris en calculer le moment où on allait pouvoir sortir de table !

Écrit par : Lilousoleil | dimanche, 02 juin 2024

Pour moi pas d'odeurs mais tes rues ensoleillées et ces escaliers, c'est Alger (ça grimpait de partout). Les épiceries (joli nom) étaient tenues par des "moutchous".

Écrit par : Nina | dimanche, 02 juin 2024

Mes rues grimpaient de partout mais couraient dans Montmartre, depuis le bas de la butte boulevard Ornano, au nord jusqu'au sud, au boulevard Rochechouart.

Écrit par : le-gout-des-autres | dimanche, 02 juin 2024

Je sais que tu ne connais pas Alger mais il y a certaines coïncidences avec le 18éme arrondissement.

Écrit par : Nina | dimanche, 02 juin 2024

À partir d'un certain âge les canaux par lesquels remontent des souvenirs enfouis, ou pas bien loin de la surface, sont assez multiples et diversifiées. Ça doit être un privilège de l'âge !
On disait jadis que « la nuit porte conseil », à un âge avancé : la nuit porte les souvenirs.
certes, évoquer « l'avant » mais on peut aussi se demander : et après ? Ce sera comment…
Finalement reste encore de quoi s'occuper l'esprit… et le reste…

Écrit par : alainx | mardi, 04 juin 2024

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