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lundi, 10 août 2015

"L'effet mère" dure longtemps...

De rien, Mab...
Vous rappelez vous, lectrices chéries ?
Je vous avais abandonnées près de la sortie du square Clignancourt pour parler des prix de la location à Paris et ses environs.
Me revoici donc, trottinant à côté de ma grande sœur vers la porte du square.
Il n’y avait pas encore besoin de « groom » ni de fermetures sophistiquées pour fermer les portes. La pesanteur faisait ça très bien…
La petite porte grillagée retombée sur son butoir de caoutchouc, il n’y avait que quelques pas à faire pour arriver rue Ordener.
Ma grande sœur me prenait la main pour traverser la rue.
Elle la serrait fort, l’absence de feux de circulation sur cette rue en 1957 la rendait prudente. Il y avait pourtant peu de trafic. Une voiture de temps en temps, pas plus. 
Je ne sais pas si elle tenait vraiment à moi ou si elle avait peur que ma mère ne la tue s’il m’arrivait quelque chose…
Bien plus tard, je lui ai posé la question. Elle a voulu me gifler puis a haussé les épaules…
Elle aimait bien aussi passer par là parce qu’en face il y avait la rue Ferdinand Flocon et son école de filles. Je crois que c’est là qu’elle avait connu sa copine Colette et elle espérait toujours y croiser quelqu’un qu’elle connaissait.
Nous marchions lentement en faisant attention à ne pas traîner les pieds.
Ça usait les chaussures trop vite et ma mère nous recommandait toujours de ne pas traîner les pieds. « Ça fait « laisser aller » et « mal élevé » mes enfants ! ».
Bref, ça nous donnait un look « Porte de Clignancourt », horrible quoi.
Je crois que ma mère nous a traumatisés avec sa détestation des gens de la Porte de Clignancourt. Enfin, je crois… J’en suis sûr. Elle nous a marqués à vie avec ça…
Nous allions donc, ma sœur et moi vers la rue Ramey.
Elle aimait bien et moi aussi. C’était une chouette rue, mine de rien. Il y avait plein de boutiques.
Surtout, il y avait, quand la rue Ramey rejoignait la rue de Clignancourt, une chose que je trouvais extraordinaire et dont je me demandais comment ça marchait.
Le pan de mur qui faisait un angle coupé à la jonction des deux rues était occupé par un dispositif de toute beauté.
Ma grande sœur me tenait la main et restait avec moi pendant que je levais la tête et le regardais de longues minutes. Imaginez un panneau de plusieurs mètres carrés piqueté d’étoiles. Et toutes ces étoiles faisaient des motifs qui variaient au moindre souffle de vent.
Je lui serrais la main et je lui disais chaque fois qu’il y avait un coup de vent « c’est beau, hein ? ».
Comme elle était gentille quand elle avait quinze ans, elle me serrait un peu plus la main et me disait « Oui, c’est beau… On y va maintenant ? »
Alors on reprenait notre chemin, on traversait la rue Ramey et on tournait à droite, dans la rue Muller. C’était une petite rue peu passante, avec peu de boutiques et dont les immeubles était plutôt noirs. Elle aimait bien cette rue. Je crois qu’elle préférait le dernier quart. Celui juste avant l’escalier car  ça formait une petite place avec quelques cafés et une boulangerie au coin. J’y suis retourné plus tard, à l’âge de ma grande sœur. Mais je ne vous dirai pas.
La boulangerie est devenue un restaurant branché. Avant, les mômes que nous étions, du moins ceux qui avaient quelques sous dans la poche, y prenaient en sortant du Sacré-Cœur « une part de pudding ». C’est ce qu’il y avait  de moins cher.
Ma grande sœur a quasiment toujours décidé qu’elle ferait autre chose avec ses quelques sous.
Elle a fini par acheter une paire de bas qu’elle n’a pu garder, hélas…
Si elle avait été avec moi cette fois là, je n’aurais pas oublié de la prévenir.
J’étais grand.
J’allais chez les Frères.
Mais surtout, surtout, je connaissais ma mère…

dimanche, 09 août 2015

On arrivera bien à faire une omelette sans eux…

Je laisse de côté pour aujourd’hui la montée vers le Sacré-Cœur pour une montée d’adrénaline.
Oui, lectrices chéries, je risque de devenir homophobe !
Rassurez vous tout de même, je ne viens pas de m’abonner à la cohorte de rétropédaleurs fanatiques de Ludovine Machin ou de celle assez lucide pour se considérer elle-même Barjot et qui a assez peu d’illusions sur son goût pour le genre humain pour de prénommer elle-même Frigide.
Non, non, non, pas du tout.
Deux décennies entre Beaubourg et la rue des Archives vous élargissent l’esprit autant qu’elles vous aplatissent le portefeuille.
Mais alors « pourquoi ? » vous exclamez vous ?
Eh bien,votre Goût adoré était parti pour vous raconter les rues qui mènent de chez lui au Sacré-Cœur, tiré par sa grande sœur et soudain, paf !
Voilà, une Heure-Bleue qui partage ma vie, son sandwich et ma couche, se fait des peurs bleues avec le prix de l’immobilier.
Affolée par la preuve que notre gouvernement censément de gauche appuie là où ça fait mal sur le portefeuille de ses électeurs, regarde plusieurs fois par jour le prix de l’immobilier dans notre coin.
Elle fut aujourd’hui scandalisée au point qu’elle envisagea avec absolument aucune sérénité, l’idée de vivre avec son Goût chéri dans un studio de trente mètres carrés.
J’ai abandonné illico l’idée d’escalader par la face nord la colline de Montmartre.
Ça m’a arrangé sur le coup car n’oubliez pas, lectrices chéries, que si je ne manque pas d’air aux dires de certaines, je manque de souffle aux dires de la Faculté.
Donc, j’ai eu dans l’idée de retarder une peu la montée vers le Sacré-Cœur pour vous parler d’un souci plus récent et surtout plus urgent que les promenades avec ma grande sœur.
D’où cet accès brusque d’homophobie.
Cet accès n’avait bien sûr rien à voir avec une réprobation quelconque des préférences sexuelles, amoureuses ou simplement esthétiques des uns ou des autres, non.
Simplement, un détail outrageusement dispendieux vient de me frapper, tout comme il frappa en plein front et en plein jour la lumière de mes jours :
Dès qu’un quartier commence à voir sa population se diversifier dans le sens de la largeur de vue et que les préférences sexuelles s’y montrent dans toute leur diversité, eh bien c’est horrible pour votre Goût préféré et son Heure-Bleue adorée : Les prix à la location s’envolent !!!
Le pire ?
Être soumis à un choix cornélien.
- Louer une cambuse dans nos moyens dans un coin genre « Manif pour tous »
- Louer un machin minuscule hors de prix dans un coin genre « Mariage pour tous. »
Il va sans dire que notre inclination « Mariage pour tous » risque bien de nous mettre sur la paille…
Heureusement, nous y sommes déjà…

samedi, 08 août 2015

Vue sur la mère...

Pour en revenir à ces « promenades solitaires à plusieurs », ma grande sœur ne prenait pas du tout le chemin de mon père.
Quand elle eut atteint une quinzaine d’années, elle s’était mise à avoir des envie de solitude, elle ne jouait plus avec nous que sur injonction maternelle et ça l’ennuyait prodigieusement.
La seule chose qu’elle faisait assez volontiers, c’était « jouer au baccalauréat » et recopier interminablement la liste du « langage des fleurs ».
Malgré tout, elle détestait « jouer au baccalauréat » avec mes sœurs.
« Souricette » avait une orthographe approximative  mais il y avait pire, la benjamine trichait de façon scandaleuse, inventait des mots et hurlait quand on lui disait que tel ou tel mot n’existait pas.
Je me rappelle une de ces chamailleries, la lettre choisie était la lettre « N », quand, dans la colonne « animaux » elle avait écrit « nourse », la guerre avait éclaté.
- Nourse, ça n’existe pas ! Avait lancé Grande Sœur.
- Ah mais si ! Avait rétorqué Benjamine.
- Mais non enfin !
- Ah bon ? On ne dit pas « un nourse » peut-être !
La partie était terminée, les feuilles volaient, la petite déchirait, la grande l’aurait piétinée, « Souricette » piaillait, je soupirais et ma mère distribuait les taloches pour calmer tout le monde.
Sauf à « Souricette » qui savait bien jouer du violon…
Alors je me mettais à côté de ma grande sœur qui écrivait « Amarante, amour fidèle »
Et, au milieu de la feuille, avec un soupir à fendre l’âme d’un usurier « Immortelle, amour éternel »…
Elle arrivait même à prendre un teint plus comme celui qu’elle avait après avoir couru quand elle écrivait « Rose rouge, amour ardent ».
Si c’était le début de l’après-midi, elle demandait :
- Maman ?
- Hmmm ?
- Je peux aller faire un tour…
- Ou vas-tu ?
- Je peux aller au Sacré-Cœur ?
Si elle avait de la chance, ma mère disait :
- Emmène ton frère et ramène un pain en rentrant…
- Merci maman.
- Un pain de chez Galy, hein ! Et fais attention aux Arabes ! Ne passe pas par la rue Neuve de la Chardonnière, il y en a plein !
Ma grande sœur me prenait la main et on descendait les quatre étages.
Elle m’arrêtait à la moitié de l’étage, me disait « fais pipi, et attends moi »
On partait vers le Sacré-Cœur, j’aimais bien y aller avec ma grande sœur. Elle me racontait des choses sur ce qu’elle voulait. Elle voulait mettre du rouge à lèvres, avoir une jupe droite, des mocassins rouges. Je les ai eus plus tard, ces mocassins…Mettre des bas, ce qui lui valu une paire de claques peu de temps plus tard. Et nous rejoignions le boulevard Ornano au métro Simplon, nous le traversions et elle prenait la rue Joseph Dijon, en regardant attentivement partout, comme si elle cherchait quelqu’un.
Je savais qu’on passerait par le square Clignancourt.
Ce square est devenu « Square Maurice Kriegel Valrimont » depuis peu.
Sûrement pour célébrer la déesse « Baraka » parce que franchement, quand tu es juif, résistant et communiste, t’es comme Krasucki, tu cumules cher.
Alors en plus réchapper des années 40 après avoir été arrêté, c'est fort …
Bref, arrivés au square Clignancourt, on le traversait et elle avait toujours l’air de chercher quelqu’un. Alors elle soupirait. Elle ne m’a jamais dit ce qu’elle cherchait…
Je vous raconterai le chemin la prochaine fois parce que là, je me suis laissé entraîner à la digression.
Mais on a le temps, hein, lectrices chéries…

vendredi, 07 août 2015

Rêveries d'une promeneuse solitaire. Presque solitaire.

Je vous ai déjà parlé de ma grande sœur.
Une de mes lectrices chéries avait déduit de ma note que ma grande sœur était un meilleur guide que moi pour Paris.
Je n’y avais jamais pensé en ces termes donc je n’en sais rien mais c'est bien possible.
Je sais seulement que c’est elle qui m’a emmené pour la première fois dans des endroits du Sacré-Cœur où mon père ne nous avait jamais fait passer, mes petites sœurs et moi.
Que je vous dise, lectrices chéries, ma sœur, comme toutes les sœurs, comme toutes les filles, avait des envies de promenades solitaires dont elle espérait bien, comme les garçons je l’ai su plus tard, qu’elles ne seraient pas toujours solitaires.
Même Françoise Hardy a chanté ça des années plus tard.
Hélas pour grande sœur, ma mère avait eu elle aussi ces idées de promenades solitaires. Ces promenades avaient fini par lui rapporter ma grande sœur, mes petites sœurs et votre Goût adoré.
Ma mère envisageait donc avec une certaine méfiance cette lubie de promenade solitaire et avait résolu le problème en accrochant à la main de ma sœur une autre main.
Surtout une main toute autre que celle suggérée par la chanson de Françoise Hardy.
Ma mère pensait que la main de votre serviteur serait parfaite dès qu’il était question de promenade.
C’est donc comme ça que j’ai connu d’autres coins du Sacré-Cœur et d’autres chemins pour y arriver.
Avec mon père, par exemple, quand ma mère commençait par « Gaby ! » signe que le temps était à l’orage, il évitait de répondre « Oui ma pouuuuleee ??? » et se contentait de « Oui ? »
Mon père ne disait jamais « Ouaiiis »
Ma mère continuait par « Emmène donc promener mon fils et « Souricette ». Le Sacré-Cœur, c'est parfait. » et pensait, je l’ai su « et c’est assez loin… »
« Souricette », c’est ma sœur cadette, elle devait ce sobriquet aux bruits minuscules qu’elle émettait quand elle était bébé. Mon père, prenait sa veste et, pour une fois rationnel, nous emmenait. Rapidement, son heureux caractère reprenait le dessus et rien que le chemin était déjà agréable. Il prenait malgré tout un chemin simple et direct.
Il n’avait pas besoin de promenade solitaire, lui…
On remontait le boulevard Ornano jusqu’à la rue de Clignancourt qui nous menait  jusqu’au boulevard Rochechouart et ensuite jusqu’à la rue Seveste.
Je connaissais bien parce que ma mère passait par là pour aller au Marché Saint-Pierre chercher du tissu.
Arrivés là, passée la grille, nous montions une volée de marches et traînions dans le jardin. Mon père s’arrêtait sur l’esplanade centrale du Sacré-Coeur, nous mettait sur une chaise et nous montrait les gens et ce qu’ils pouvaient avoir de drôle.
Et il y en avait, des gens bizarres. Mon père savait toujours nous montrer ce que les gens avaient de curieux. Il faisait même ça pour ma mère. Elle n’aimait pas trop…
Quand ma grande sœur m’emmenait, c’était autre chose. Elle préférait m’emmener tout seul, elle savait que je ne disais rien à ma mère. Elle se méfiait à juste titre de « Souricette » qui racontait tout.
Cette manie de tout raconter à ma mère a passé à « Souricette » quand les mêmes idées de promenades solitaires l’ont saisie à son tour…
Je vous raconterai demain les chemins sur lesquels m’entraînait ma grande sœur pour aller au Sacré-Cœur.

jeudi, 06 août 2015

La retraite c’est laisser les sous venir…

La note que Berthoise a écrite avant-hier nous parle de livres.
Bon, c’est déjà bien qu’elle nous rassure.
Elle nous jure qu’elle n’a pas fait que boire pendant ses vacances.
C’est bien.
Je suis toujours content quand j’apprends que quelqu’un que je lis avec plaisir ne s’est pas noyé dans un lac de vin.
Même blanc.
Berthoise donc, nous parle de livres.
De Modiano qui, manifestement l’emm…nuie profondément.
D’autres aussi, mais c’est Modiano qui a attiré mon attention et m’a fait sombrer dans un abîme de réflexion.
Non, ne ricanez pas, lectrices chéries. Il m’arrive de sombrer dans des abîmes de réflexion et de m’en tirer vivant. Un peu vivant.
J’aime beaucoup Modiano mais celui que j’ai entamé il y deux jours m’est tombé des mains et a fini posé sur ma table après trois chapitres.
Je le reprendrai un jour, c’est sûr. Et, comme souvent, je me dirai « mais que tu es c… mon pauvre Goût, t’aurais pu faire un effort… »
Je l’avais déjà lu pourtant.
Il y a 37 ans.
Pile poil quand il est sorti et quand je l’ai piqué dans les rayons de la librairie de la lumière de mes jours.
J’avais été tenté de savoir si Modiano avait la plume plus sûre que la langue après l’avoir vu bafouiller à « Apostrophes ».
J’avais aimé mais aujourd'hui, après avoir lu et relu bon nombre de ses livres, celui là « je l’a pas kiffé sa race » comme les autres.
Peut-être parce qu’il aborde le fond de sa quête sous un angle différent des autres.
Plus dans la forme « roman » que dans celle que j’aime chez lui, celle qui donne l’impression de converser à bâtons rompus de part et d’autre d’une table de bistrot.
Cette impression d’échanger des souvenirs communs avec quelqu’un qu’on ne connaît que de vue, quelqu’un qu’on a souvent croisé mais à qui on n’a jamais parlé avant cette rencontre rêvée dans un bistrot qui n’existe pas.
Si j’y réfléchis un peu, je me dis que, comme beaucoup dont moi, Modiano se promène dans sa mémoire, se perd dans ses méandres.
Si quelqu’un sait parler de la mémoire et de ses hésitations, du flou des situations qui vous reviennent à l’esprit, des yeux qui malgré leur regard vague parlent de façon si claire, c’est bien Modiano.
Comme Henri Calet, ce type aime Paris et le connaît.
Presque aussi bien que moi.
Et il en parle extrêmement bien.
Bien mieux que moi.
A y regarder de près, lire un bouquin de Modiano, quel qu’il soit, me donne pour quelques €uro, l’impression que ma grande sœur me tient encore la main pour m’entraîner dans une de ces promenades interminables dont elle avait le secret et dont je revenais sur les genoux mais plein de choses mal rangées mais merveilleuses dans la cervelle.
J’ignorais seulement à l’époque qu’elles referaient si facilement surface, rien qu’à lire quelques lignes de ce Monsieur Modiano.
Tu vois ce que je veux dire, Berthoise ?