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lundi, 23 juillet 2012

Fermeture de la boutique à souvenirs...


 

Suite et fin…

Non, je ne vous donnerai pas de détails croustillants, ou pire encore, cliniques…

Nous étions aussi timides l’un que l’autre et il nous fallut encore une semaine avant d’échanger notre premier baiser.
Il arriva de façon impromptue, nous nous promenions les doigts entremêlés et un trou du chemin la fit trébucher, j’eus besoin de mes deux bras pour la retenir.
Comme aurait pu écrire Delly « et ainsi enlacés, la tentation fut trop forte et nous n’y résistâmes point »…
Nos promenades, de fréquentes qu’elles étaient eurent alors tendance à s’éterniser.
Un peu trop même. Un soir, nous revînmes alors que le dîner était entamé.
Je me fis disputer et m’accommodai assez bien de la leçon de savoir-vivre.
L’oncle Fernand, le mari de ma tante, qui n’intervenait que rarement dans nos histoires me regarda. Il se tourna alors vers ma tante « Dis donc, Olga, tu devrais peut-être dire à la Madeleine de faire attention à la p’tiote rouquine. Parce que l’parigot il est déjà musclé de la langue, là il est musclé des lèvres, d’ici qu’il soit musclé de… »

« Fernand !!! » Cria ma tante, l’arrêtant tout net…

On voit là qu'elle partageait sa vie depuis longtemps et savait ce qu'il allait dire avant même qu'il ne le pense...

Ma tante avait encore cet air sévère et vaguement souriant.
Avec le recul je me dis que cet air était sans doute dû autant à une longue expérience qu’à l’état de mes lèvres.
J’en viens à me demander même si le faux-pas de la belle n’était pas un stratagème…
Dûment avertie, « la Madeleine », en revanche, subitement inquiète pour la fille qu’on lui avait confiée, la consigna à la maison toute la journée du lendemain.
Journée du lendemain que je passai à traîner devant la grille de sa maison…

Contrairement à Cyrano, déclarant sa flamme sous la fenêtre de Roxane et surtout à mes habitudes, je restai muet.

Le jour suivant, un jour assez nuageux, sous la promesse de rentrer à l’heure, on lui permit de sortir.
Après cette séparation dramatique, nous partîmes et allâmes de l’autre côté du « pont du canal ».
Il y avait là aussi ces monticules de roseaux. Nous nous assîmes sur l’herbe, à l’ombre d’un immense tas de tiges séchées.
Je l’embrassai.
Puis elle m’embrassa.
Puis nous nous embrassâmes.
Puis nous recommençâmes…
Bien que latiniste longuement entraîné à coups de Morisset-Thévenot, ce ne fut qu’à ce moment là que je saisis le sens profond de l’expression « ad libitum ».
Nous discutions de choses et d’autres.
L’un et l’autre avions la voix qui commençait à s’enrouer et avions du mal à sortir quelques mots de plus.
Une sensation que j’avais déjà connue, la sensation dite « du gargoziau serré ».
J’ignorais qu’elle pût frapper aussi les filles.
Pour nous donner soit du courage, soit une contenance, probablement les deux elle m’embrassa de nouveau.
Et ça dura, jusqu’à ce que je tente timidement de glisser une main dans son short.
Vous avez remarqué comme ces vêtements sont contrariants ?
Vous ne vous y attendez pas et les boutons s’envolent au moment le plus inopportun, dévoilant ce que vous voulez cacher.
En revanche, ils sont indéboutonnables quand il faudrait que ça se fasse facilement et surtout discrètement.
Servi par de précédentes tentatives, j’attendis l’inévitable tape sur la main.

Mais non, à ma grande surprise,  j’eus même droit à un peu d’aide.
J’étais un peu, disons plutôt très, voire très, et même extrêmement maladroit et sûrement pas assez délicat.
Elle se cabra, dit « Aïe ! Tu m'as fait mal ! » mais saisit ma main et la guida.
Elle en choisit avec soin la position et la mût là où ça semblait l’intéresser.
Après quelques instants, elle retira sa main.
Je cessai de bouger, paralysé de trac.
Les yeux clos,  elle souffla « Non… Continue… ».
Je vivais une expérience plus qu’étrange, plus qu’intéressante, en tout cas nouvelle, passionnante et terriblement troublante.

Au bout de quelques minutes j’arrêtai et, inquiété par son souffle qui devenait court,  lui demandai avec difficulté « ça va ? ».
« Chhhuuut… Continue… » coassa-t-elle, la voix encore plus cassée que la mienne.
Des minutes et des minutes passèrent, puis elle se crispa soudain en agrippant mon bras.
Et, comme l’a si bien écrit Maupassant dans « La maison Tellier », elle poussa « un gémissement tellement profond qu’on l’eût pris pour l’adieu d’une âme. ».
Et c’était moi qui avais fait ça ? Idiot que j’étais –que je suis-, j’allais écrire « et c’était moi qui avais fait ça tout seul ! »…
Ce fut à ce moment la plus belle découverte de ma courte existence,  je suis sûr que Colomb fut moins heureux en découvrant l’Amérique.
Elle ouvrit des yeux plus que vagues, et pour tout dire bizarres, me sourit assez tendrement et nous décidâmes sur le champ de nous marier dès le retour de vacances plutôt que retourner bêtement au lycée.
L’idée de vivre d’eau fraîche nous branchait moyen, d’autant que nous avions un appétit aussi féroce que notre ligne était filiforme, mais celle de vivre d’amour nous enthousiasmait…
C’est cette découverte extraordinaire qui m’a mené à poursuivre un travail de recherche acharné dans le domaine.
Vous n’en saurez pas plus.
J’en ai déjà trop dit.
Ce fut le premier des deux-cent-quatre-vingt-seize-mille-huit-cent-cinq serments de mariage entre mes quatorze ans et mes vingt-deux ans.
En revenant à Paris, mon père, à qui il arrivait parfois d’être raisonnable, lorsque je lui annonçai que j’allais me marier incessamment, remarqua platement « Tiens donc, tu as trouvé une méthode pour qu’un grand amour résiste longtemps aux pommes de terre à l’eau ? », il ajouta « fais taire les oiseaux qui te chantent dans la tête et écoute plutôt tes professeurs au lycée. »
Il savait qu’il me condamnait à mourir de chagrin, à pleurer mon amour perdu mais fut intransigeant.
Je ne me mariai donc pas l’année de mes quatorze ans, victime de la dictature parentale.
La semaine d’après, j’allais plutôt bien.
L’emploi du temps ménageait des plages intéressantes qui permettaient d’aller avec des copains jusqu’au lycée Jules Ferry, vivier inépuisable de futures grandes amours.


Et puis.
Des années plus tard, en allant chercher les semi-conducteurs dont j’avais besoin afin de prouver combien mon stage d’ingénieur était efficace, je rencontrai une rousse ravissante, dotée d’yeux verts absolument merveilleux.
Bref, « une bombe » comme on dit aujourd’hui.
Elle était malheureusement dotée du caractère qu’on prête aux panthères, je m’en aperçus hélas trop tard, piégé que je fus sur l’instant.
Je lui proposai de l’emmener voir « Soldat Bleu », elle résista.
Je repassai la voir plusieurs fois. Nous déjeunions parfois dans petit café près de la Bourse. Je la raccompagnais souvent.
J’étais tenace, incapable de résister à un regard pareil et, pour tout dire de résister à une fille pareille.

A force de déjeuner ensemble, nous finîmes par dîner ensemble.
Sans y prendre garde nous prîmes un jour petit-déjeuner ensemble.

Ce fut la deux-cent-quatre-vingt-seize-mille-huit-cent-sixième idée de mariage.
Elle tient toujours.
La rousse en question s’appelle Heure-Bleue.
Et si vous voyiez ses yeux quand elle est en colère, à tomber…

Et voilà, la boutique de souvenirs est fermée pour l’instant.

dimanche, 22 juillet 2012

L’été 1963...

Cet été 1963 me vit de nouveau, et pour la dernière fois sans les parents, chez ma tante en Bourgogne.
Tous mes amis étaient maintenant « casés », pas avec les amours précédentes évidemment et il n’était pas question, sauf à risquer une bagarre, de ne pas respecter la recommandation biblique qui dit de « ne pas convoiter la femme de son voisin ».
Beaucoup se marieraient plus tard avec les mêmes.
Sauf à étendre le champ de nos promenades, une dure période de solitude se profilait et menaçait de gâcher mes vacances.
Je fus sauvé –et elle aussi- par l’arrivée chez « la Madeleine », une vieille amie de ma tante, de deux filles, à Madeleine confiées par la famille « parisienne ».
Pourquoi « parisienne » ? Parce qu’en fait ces deux filles n’étaient pas des Parisiennes mais habitaient du côté de Clichy. Fausses Parisiennes !
Ces deux filles étaient deux cousines plutôt jolies, mais je trouvai l’une vraiment très jolie.
Du moins correspondait-elle à mon goût en matière de filles.
Elle avait les yeux clairs et les cheveux châtains, de ceux qu’on dit « auburn ».
Manifestement, à défaut d’être fidèle à une fille, j’étais –et suis toujours- fidèle à un genre de fille.
Mon regard, suite à mon expérience malheureuse en chimie, avait quelque chose qui n’était pas sans rappeler celui de Jean-Paul Sartre et je me dis que l’affaire était pour le coup mal engagée. Il allait falloir ruser …

Tel le loup de la fable « Le cheval et le loup » je me dis « rusons donc » et espérai, priant un dieu auquel je ne croyais pas, ne pas finir, comme ce loup, avec « une ruade qui vous lui mit en marmelade les mandibules et les dents » .
Bref, en tournant quelques compliments pas trop flagorneurs et considérations bienvenues je commençais d’intéresser la belle.

Une chose fut absolument décisive pour le succès de mon entreprise.
J’avais eu cette année-là un professeur de lettres un peu cinglé qui, sous n’importe quel prétexte, vous collait « dix sonnets pour vendredi prochain !»
Vous vous mouchiez un peu bruyamment en classe ?
« Dix sonnets sur les trompettes de Jéricho, monsieur Le Goût ! Et pas dix fois le même ! ».
De plus, ce fou avait une culture encyclopédique ce qui fait que toute tentative de « pomper » sur un poète ayant vécu et écrit entre Aristophane et Blaise Cendrars se soldait pas une colle pour tricherie et dix sonnets de plus.

Cet entraînement efficace à la versification sur n’importe quel sujet me rendit le plus grand service.
J’avais pu observer que les filles -et, soyons honnêtes, les garçons aussi- adorent qu’on leur parle d’elles.
Si en plus c’est en vers, le succès est assuré…
Le but des gamins de nos âges, contrairement à ce que nous nous racontions entre nous, n’était pas « d’accrocher une conquête à notre tableau de chasse », non, nous étions simplement –comme si on pouvait dire «simplement» en la matière…- amoureux.
Et nous espérions tous, quoi que nous en disions, qu’elles étaient aussi amoureuses de nous que nous l’étions d’elles…

Certaines choses semblaient immuables dans la Bourgogne de ma tante, ce qui facilita les choses.
Jacques S., était toujours passionné par le Tour de France et la grande sœur d’Arlette.
Et, toujours comme tous les ans, les roseaux étaient en tas le long du canal.

Nous nous y promenions, je n’osais pas encore lui prendre la main, me contentant de l’écouter et lui disant des bêtises qui la faisaient parfois rire.
Un après-midi, c’est elle me prit la main –encore ? Eh oui, j'ai toujours été timide !- et nous passâmes le reste de la journée à marcher le long des chemins.
Mon dieu ! Que nous avons marché ! Si on nous avait payés au kilomètre, nous serions devenus millionnaires dans la semaine.

samedi, 21 juillet 2012

Un été 62

L’année 1962 n’appelle pas de commentaire sauf les colonies de vacances.
Le premier mois se passa dans un camp de vacances de la mairie du XVIIIème.
Pour faire tenir tranquilles des gamins de douze à quatorze ans, rien de tel qu’un sac à dos, des « barres à feu », un duvet, une tente canadienne pour quatre, portée par le plus fort, et des « pataugas ».
C’était super ! Au bout de trente à quarante kilomètres dans la journée, on s’arrêtait pour la nuit, on faisait des feux de camp, on chantait pendant que les moniteurs commençaient à dodeliner de la tête.
Les vieux, ça ne tient pas l’effort…
Au bout du premier mois, les moniteurs étaient épuisés.
Pas nous. Nos parents étaient venus nous attendre à la Gare de Lyon.
Ils nous trouvèrent tous dans une forme éblouissante.
Quelques détails clochaient néanmoins.
Nous étions bronzés mais en partie à cause d’une couche de saleté à gratter au couteau.
Habillés aussi, mais de façon curieuse, chacun portant le short de l’un, la chemise de l’autre.
Je ne suis pas même certain que les chaussures allaient bien par paire…
Une vraie bande de vagabonds descendit du train.

Le second mois, en revanche fit une partie de mon éducation.
J’appris enfin à quoi pouvait peut-être servir vraiment « comment c’est fait en face »…

Mes parents nous dispersèrent, histoire de souffler quelque temps.
J’appris plus tard que ma mère fut heureuse pendant les trois premiers jours et passa le reste du mois à pleurer en attendant notre retour…
Je fus quant à moi envoyé en Bretagne dans une « colonie de curés » et contraint, comme tous les arabes, juifs et le seul chinois bouddhiste à aller à la messe le dimanche.
Mais ça valait le coup.
Cette colonie, à un ou deux kilomètres de Roscoff, était couplée à une « colo de filles » proche de Santec, charmant village face à l’île de Sieck.

Si les directeurs et trices de ces deux colonies avaient su à quel point « couplée » était vrai  ils auraient entouré chacune de trois rangs de barbelés.
Les moniteurs étaient de jeunes gens dont quelques séminaristes.
La vocation résiste mal aux mouvements hormonaux de la jeunesse et il y eut un peu trop de promenades communes entre les « équipes » de chaque colonie pour que persistât longtemps l’idée de consacrer sa vie à un ministère censé être assez pauvre en joies séculières….
Je me rappelle avoir croisé « mon mono » avec une bouche telle qu’on aurait dit qu’il s’était endormi face contre terre sur un sol en béton.
En voyant la monitrice de « l’équipe » compagne de promenade, les lèvres dans un état lamentable, il n’y avait aucun doute, ils « s’étaient roulé des patins de luxe » -on ne disait pas encore « d’enfer ».
J’eus quant à moi l’occasion, sans effort aucun, de voir une blondinette aux yeux bleus, affectée curieusement d’un accent pied-noir à couper au couteau, tomber amoureuse de votre serviteur.

La mort de Marilyn Monroe me donna l’occasion de la consoler.
Hormis la tentative d’Arlette il y a plusieurs années et quelques bisous sur les lèvres je ne savais absolument rien du baiser.
Cette Isabelle, tandis que nous étions assis à l’abri d’un rocher, se tourna vers moi et me dis « Je t’aime Le Goût ».
C'était la première fois qu'on me disait quelque chose comme ça.
Même ma mère ne me le disait pas, c'est dire. En plus ça semblait avoir une autre signification que quand ma mère m'appelait « mon trésor»...

Je fus fort flatté et un peu interdit mais elle avait de si beaux yeux interrogateurs que je m’approchai pour lui faire « le bisou qui tue ».
Et là, c’est moi qui fus « tué ». Elle colla sa bouche, qu’elle avait fort douce, à la mienne et, une chose en entraînant une autre, je sentis sa langue.
Ça me fit un drôle d’effet.
Contre toute attente, et à rebours de ce que disaient les adultes qui nous prévenaient du danger de ce genre de chose avant le mariage, ce n’était ni « sale », ni « mal ».
Bien au contraire.
Nous continuâmes donc ce jeu passionnant un long  moment.
Elle à se coller contre moi et à se débarrasser de mains indiscrètes.
Moi à essayer d’en savoir plus.
Le tout en s’embrassant.
La souplesse articulaire de la jeunesse est absolument remarquable.
C’est à cette occasion aussi qu’on se rend compte que les maillots de bain, chez les filles ça ne dévoile pas grand-chose.
En revanche chez les garçons, avoir les sentiments à fleur de maillot de bain, c’est voyant et pour tout dire gênant.
Je dus attendre de longues minutes avant de pouvoir reparaître en public.
Il me fallut faire attention aussi à ne pas regarder ma dulcinée trop attentivement…
Cette année là marqua le début de longues, très longues études en « psychophysiologie  appliquée».
Si cette année vit aussi ma première expérience,  –que je ne vous raconterai pas, j'en ai encore vaguement honte, malgré l'indulgence que je porte à la jeunesse et à l'inexpérience, complètement ratée, trop rapide et finalement décevante qu’elle fut, surtout pour celle qui en fit les frais-,  ma plus belle découverte se fit l’année suivante.

vendredi, 20 juillet 2012

Check point Charlie.

Il est des frontières peu faciles à franchir…
Cet été 1961 fut sans histoire, mes douze ans avaient augmenté ma curiosité mais n’avaient pas effacé mon ignorance des filles.
Il me restait bien plus à découvrir que je ne pensais.
Je peux même affirmer aujourd’hui qu’il en reste toujours autant.
A croire que le territoire s’étend au gré de l'exploration…

Danielle, ma première « découverte » en la matière me battait un peu froid à cause de l’abandon de l’année dernière.
Elle avait vu pousser deux petits pois sous son T-shirt et j’en avais vu descendre deux dans mon short…
Nous reprîmes sans entrain un embryon d’idylle qui ne dura que quelques jours.
Histoire de se convaincre que l’amour éternel dure environ deux mois et que, selon ma grand’mère, « le raccommodage, ça vaut pas du neuf »…
Je m’ennuyai cette année-là, comme tous les gamins qui ne savent pas trop quoi faire de leur peau, qui cherchent ils ne savent quoi, souffrent vaguement de manque sans savoir ce qui leur manque.
S’il ne m’avait fallu être en classe à huit heures tous les matins, j’aurais été totalement  heureux de retrouver le lycée, c’est dire.
C’est dire aussi si l’emploi du temps des élèves intéressait les professeurs, une fois chaque professeur satisfait du sien…
Mes camarades aussi, je ne sais pourquoi, semblaient traîner eux aussi un sac à dos de vague tristesse.
La classe de quatrième me vit commencer le grec.
J’aimais bien. L’alphabet fut aisément intégré dans la base de données ainsi que quelques tournures de phrases.
Ça me valut, des décennies plus tard, un éclat de rire d’une réceptionniste d’hôtel à Rhodes qui me dit « Oh ! Que c’est gentil ! Merci ! Mais vous savez, monsieur, on ne parle plus comme ça depuis plus de deux-mille- cinq-cents ans ! »

Je me souviens néanmoins que dans la langue de l’époque, un général c’était « archontas », et que c’est devenu depuis « strategos »…
Rien de bien important, donc.
Oh ! Si ! En cours de latin, nous devions étudier Ovide.
Sans en savoir davantage nous nous précipitâmes, chacun chez notre libraire et achetâmes « L’Art d’aimer » VO et en VF.
Nous aurions dû nous méfier, si Ovide était abordé dans « le Morisset Thévenot », nulle trace de « L’Art d’aimer ».
Ce qui devait arriver arriva et si nous lûmes en douce l’édition de poche de « L’Art d’aimer », nous dûmes transpirer sur « Les Métamorphoses ».
Cette année aurait pu passer sans anicroche ni évènement marquant sans la guerre d’Algérie, « les évènements » comme on disait.
Je connus alors ma première expérience politique qui fut assez féroce.
Au coin de la rue du XVIIIème où j’habitais, il y avait « l’épicier arabe ».
Ce monsieur, un vrai pruneau, très brun et très frisé,  vivotait tant bien que mal de son échoppe, faisant comme beaucoup de commerçants de l’époque, crédit à partir du vingt du mois.
Le FLN prélevait sans doute déjà sa dîme chez l’épicier, qui devait la payer pour éviter un jet de grenade.
L’OAS en eut sûrement vent qui commença par lui dévaster nuitamment sa boutique avec des explosifs, signant son action courageuse d’un « mort aux traîtres » bien senti sur le mur.
D’après mon père, il se mit donc à verser aussi de l’argent à l’OAS, pensant avoir la paix en donnant des sous aux deux parties.
La technique ne fonctionna pas.
Un matin, en partant au lycée, je vis donc ce pauvre homme, assis sur les trois marches de l’entrée de sa boutique, la tête dans les mains, sanglotant.
Je ne le connaissais que pour les pommes de terre mais j'eus le coeur terriblement serré.
C'était la première fois que je voyais un « vieux » pleurer.

Environ une fois par mois –coïncidant sans doute avec le passage des « percepteurs »- je le voyais dans cet état.
Un matin de printemps, je vis la boutique fermée.
Elle le resta jusqu’à l’automne 1962.
Notre arabe revint alors.
Ses cheveux étaient tous devenus blancs…

mercredi, 18 juillet 2012

Confiteor...

Vous savez maintenant mon goût pour la chimie et les déboires qu’il peut engendrer.
Je songeai donc à me livrer désormais à d’autres activités qui, quoique moins risquées  m’emmenaient parfois bénéficier des talents qu’on rencontre à l’AP-HP.

J’eus malgré tout la chance de ne connaître de l’hôpital que les services de traumatologie.

Cette année scolaire 1960-1961 fut une année qui me dévoila la duplicité de l’âme professorale dès le premier trimestre.
J’en garde le souvenir d’un trimestre qui se solda de façon désastreuse en français. Le latin, comme les mathématiques, oblige à un travail soutenu, ne serait-ce que pour savoir de quoi on parle, le français en revanche peut se satisfaire d’un travail de dilettante –au sens noble du terme- quand on a bénéficié d’un entraînement chez les Frères.
Je vous rappelle qu’il ne manquait guère chez eux que des miradors aux quatre coins de la salle pour parfaire l’illusion d’un camp de travaux forcés.
Les choses arrivèrent insidieusement.
Mon nom me classait à peu près au début du dernier tiers de la liste d’appel. J’échappais la plupart du temps à l’invitation d’aller sur l’estrade pour montrer à mes petits camarades comme je savais bien telle fable de La Fontaine ou telle scène de Corneille.
Comme il fallait bien dispenser le cours, la vérification s’arrêtait rapidement, huit ou dix élèves au plus étaient interrogés.
Si j’étais interrogé le deuxième ou troisième, je m’en sortais bien car doté d’une assez bonne mémoire, j’arrivais à faire parfaitement illusion.
Un matin toutefois, la malchance fit que le stylo de la prof de lettres tomba en premier lieu sur mon nom.
Je fis la brillante démonstration que, contrairement à une légende répandue par le corps enseignant, un élève est capable d’observer un silence total en classe.
J’écopai d’une bulle, d’un droit de visite pour le jeudi et d’une mercuriale de ma mère « Si tu crois qu’on se saigne aux quatre veines pour que tu te conduises comme ces voyous de la Porte de Clignancourt ! ».
Oui, pour ma mère, l’archétype du Mal était, selon qu’elle s’en prenait à mes sœurs ou à moi, « ces filles de la Porte de Clignancourt » ou « ces voyous de la Porte de Clignancourt ».
Bref, la guigne de la semaine.
Ça ne m’empêcha d’aller voir « Hiroshima mon amour » à l’Ornano 43.
Contre toute attente, attiré par les mots « mon amour » dans le titre, alors qu’à la vue des premières images je pensais être déçu, le film me passionna.
Les choses reprirent un cours normal mais un peu cahotant tout de même, la prof de lettres se méfiant de moi et de mon goût marqué pour le moindre effort.
De temps en temps, elle m’interrogeait le premier, histoire d’être sûre que j’étais ce qu’elle pensait que j’étais : Doué peut-être, flemmard sûrement.
J’appris mes leçons quelque temps pour échapper au mauvais sort, elle se calma, pensant que la leçon avait porté.
Peu de semaines avant la période dite « des compos », une avalanche de zéros m’emporta, surpris brutalement que je fus par la reprise des hostilités.
Le jour de la composition de récitation, mon tour survint.
Elle commença par « Le cheval et le loup », impeccable.
Et c’est là que sa duplicité s’exposa.
Pour tous les autres, les bégayeurs, les cancres avérés –très rares, un oubli de l’administration sans doute, ou des parents redoutablement efficaces dans leur plaidoiries- et les « bons élèves », les « Agnan », une seule tentative de les coincer suffisait, sans illusion qu’elle était sur le résultat.
En revanche, quand mon récit s’acheva, elle demanda « et si vous nous disiez, avec les mots de Corneille, comment Rodrigue subvertit les arabes ? », je gagnai donc le droit de réciter le Cid, « sous moi donc cette troupe s’avance ».
Je ne portais pas « sur le front cette mâle assurance » mais je m’exécutai.
Puis, « Le loup et le chien », puis « Les animaux malades de la peste ».
Je me demandai ce qu’elle cherchait exactement.
Je savais toutes, oui toutes, absolument toutes les récitations du trimestre.
Je le savais bien, j’avais travaillé d’arrache pieds pendant les trois derniers jours !
Et à la fin elle m’annonça « Zéro, monsieur Le-Goût ! »
Je  la regardai, effaré, « Mais pourquoi ?».
« Pourquoi ? Eh bien parce que je sais maintenant que vous n’avez jamais appris vos leçons pendant tout le trimestre et que vous avez été capable en moins d’une semaine –comment le savait-elle ?- d’apprendre tous les textes du trimestre, un scandale ! Un gaspillage ! »
Et elle persista, « Vous êtes ici pour apprendre à apprendre, pas pour ingurgiter bêtement les textes qu’on vous désigne ! En deux mots vous êtes ici pour travailler, pas pour m’accorder une vague attention quand ce que je dis vous intéresse !»
Je ne m’étais jamais fait sermonner de cette façon.
Je me le tins pour dit, au moins jusqu’à la fin de l’année.
Il n’empêche qu’en pensant à cette compo de récitation, j’ai encore la honte au front.
Un autre épisode l’année suivante me fit encore plus honte, rien que d’y penser.
Et je ne pense pas avoir le courage de le raconter.
La cruauté des enfants est effroyable. Je n’étais pas seul en cause mais j’ai encore honte à chaque fois que j’y pense.
Heureusement, pour adoucir ma peine, il y eut Nicole K. une des copines de ma sœur.
Pour occuper les jeudis désormais sans visite au lycée, j’en tombai immédiatement amoureux fou.
Pour au moins un mois et demi… 
Les grandes vacances arrivaient.
La Bourgogne était prévue.

Ce ne sera pas encore cette fois que Mab sera satisfaite...
Mais si ce n'est l'année prochaine, ce sera l'année suivante.