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jeudi, 17 octobre 2019

L'haleine du pingouin.

oss117.jpg

Ça y est ! Je l’avais piqué dans le tas de bouquins lus de la table de nuit du côté de mon père !
C’était une table de nuit toute bête, la moitié d’une paire de tables jumelles.
De ces tables communes d’un bois quelconque plaqué d’une mince couche de bois verni, assez laides ces tables.
C’était alors la mode d’avoir de ces meubles dit « acajou palissandré vernis polyester ».
Il y avait dessus une lampe, dessous un tiroir éternellement bouclé au dessus d’un espace formant étagère où échouaient les livres lus jusqu’à ce que le tas parte un samedi chez le libraire « Livres, occasion, vente, achat, échange » qui m’avait viré quelques fois parce qu’on ne vit pas que d’échanges même si en amenant quatre livres quasi neufs vous repartiez avec deux livres quasi vieux…
Sous cette étagère, un compartiment avec une petite porte.
Du côté paternel, encore des bouquins.
Du côté maternel, un pot de chambre.
N’oublions pas que « le confort à mi-étage » ne poussait pas aux voyages nocturnes…
Ce matin là, donc, j’avais réussi.
Je l’avais piqué !
Je le lorgnais ce roman interdit, et depuis longtemps !
J’en revois encore la quatrième de couverture avec ce type moustachu en imperméable blanc, se dirigeant d’un air décontracté vers un avion qui n’attendait que lui.
Je l’enviais. Je n’avais jamais pris l’avion. Je n’avais jamais connu d’aventures autres que celles qui me voyaient sortir du cinéma redressant la tête comme si j’avais moi-même abattu les bandits à la place du shérif.
J’ai pris le livre et l’ai glissé subrepticement dans mon cartable avant d’aller m’habiller pour partir au lycée.
J’avais dans l’idée de le commencer, non dans le métro, je me connaissais, c’était un coup à finir Porte d’Orléans, mais dans mon cartable ouvert sur mes genoux pendant le cours d’Histoire de onze heures.
Ça devrait marcher, on commençait tous à avoir faim et le discours monocorde et hypnotique du prof le plus ennuyeux que j’ai jamais eu réussissait le tour de force de déplacer la somnolence postprandiale avant le repas…
J’ai donc suivi les cours normalement jusqu’à l’interclasse de onze heures.
Nous avions changé de salle pour une de sinistre mémoire pour une histoire d’enterrement.
Je m’étais assis dans le fond, tranquillement, à l’écart des plus remuants dont je craignais qu’ils ne me fissent pincer en flagrant délit.
Pendant que l’hypnotiseur tentait de nous intéresser aux querelles de succession des Hohenstauffen, j’ai ouvert mon cartable posé sur mes genoux.
Ce cartable à soufflets s’ouvrait assez pour qu’on pût y ouvrir ces petits bouquins genre « Fleuve Noir ».
« Hubert Bonisseur de la Bath traversa la chambre et se dirigea vers la salle de bains tandis qu’Héléna se retournait dans le lit en désordre… »
Ça devenait intéressant encore que je ne voyais pas trop ce que ça pouvait bien dire.
J’étais totalement plongé dans l’action, au point de n’avoir pas remarqué le silence de l’hypnotiseur…
Mon bouquin me fut brutalement arraché des mains tandis que la voix de l’hypnotiseur finissait la phrase à ma place.
À ma grande surprise, ce fut d’une voix théâtrale qu’il lut « Une douce fatigue baignait la chair comblée d’Héléna ! »
Il reprit sa voix d’hypnotiseur pour déclamer « Au moins vous tentez de vous instruire, hélas de choses que vous êtes trop jeune pour apprécier… Vous viendrez donc après-demain matin de huit à douze, creuser le sujet de la succession des Hohestaufen… »
Je n’ai jamais su comment finissait cet OSS-117…
Mais je suis sûr qu’il a gagné.
Ces mecs là gagnent toujours...

mercredi, 16 octobre 2019

A bobo, pense, ment...

pas de bobos.jpg

Aaahhh… Les « bobos »…
Je lis et j’entends régulièrement parler avec hargne de « ces bobos ».
La gauche parle « horribles bobos »
La droite de « et ces p... de
bobos… » 
Le centre de ce qui est « la marque de fabrique de ces bobos. »
Avec un ensemble confondant qui sent bon le « gouvernement d’union nationale » tous crachent sur « les bobos ».
Les uns les insultent et ne savent pourquoi.
Les autres les méprisent et ne savent pas plus pourquoi.
En lisant çà et là ce qu’on dit d’eux, je me demande si le « bobo » ne se voit pas reprocher sa décontraction et son indifférence à des choses comme la couleur, la religion, l’appartenance politique ou la catégorie sociale de ses congénères.
On semble lui en vouloir du fait qu’il se fout de l’état de fortune de son voisin, il ne s’inquiète que des atomes crochus qu’il peut avoir avec.
Ça semble beaucoup déranger de voir qu’il préfère discuter avec « un Indien ou pire, un Noir » qu’avec le boucher en face qui, honnêtement est quand même un abruti de première grandeur.
Je le sais, je le connais et je ne veux même pas lui acheter un poulet tant il est méprisant avec le va-de-la-gueule et obséquieux avec la dame en vison pur nylon.
Bref, on déteste l
e bobo.
Peut-être même qu’on le hait.
De cette haine étrange qui, à y réfléchir ressemble beaucoup à de l’envie.
Et sans doute beaucoup au regret de ne pas en faire partie.
C’est dégueulasse car le comble est que ça ne s’apprend pas.
Eh oui, « être bobo », pour paraphraser Louise de Vilmorin « n’est pas tant une question de fortune  qu’une disposition de l’âme. »
C’est épouvantable, je sais, mais je crains bien que les « bobos » se foutent complètement de ceux qui les détestent.
Je me demande même si ceux qui les haïssent  n’y voient pas une raison de plus de les détester.
C’est vrai quoi ! Non seulement on les hait mais en plus ils s’en foutent !
C’est vexant, non ?

Les Bobos

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Illustration by Damien Florébert Cuypers

What They Do:
Bobos—the real ones, anyway—work almost exclusively in fashion, marketing, advertising, and the music and art industries.

What They Might Say:
A mother to her two small boys, actually overheard on the rue des Abbesses, which is like the Park Slope of Paris:“Phoebus et Persée, vous me faites chier!” (Phoebus and Perseus, you’re pissing me off!)

lundi, 14 octobre 2019

Dies irae...

devoir de Lakkevio du Goût.jpg

Le jour était levé depuis peu et sa lumière ensoleillait la rue.
Je suis arrivé tôt, trop tôt et l’attendais depuis longtemps.
Et elle est là.
Elle est magnifique.
Enfin, je trouve qu’elle est magnifique.
La pâleur de son visage auréolé des flammes que le soleil allumait dans sa chevelure ressort merveilleusement.
Bien que la lumière vive l’amène à plisser les yeux, elle me fixe, un peu interdite.
C’est la première fois que nous nous voyons.
C’est elle qui a décidé que ce serait sur ce pont et à cette heure.
C’est elle qui a choisi la date, l’heure et le lieu de notre rencontre.
Je n’avais qu’une vague idée de ce à quoi elle ressemblait mais vous savez ce que c’est.
Vous supportez mal la solitude, vous allez traîner sur un site de rencontres mythique.
Vous vous présentez au mieux, vous tentez d’attirer l’attention.
C’est l’inverse de la pêche à la ligne, mais reste cependant un point commun : vous attendez que quelqu’un veuille bien vous accorder quelque attention…
Et vous espérez, vous espérez beaucoup…
Et puis elle est intervenue.
Elle semblait triste mais recherchait des éléments assez précis chez celui qu’elle aurait aimé croiser.
Elle le décrivait de façon assez élégante pour attirer mon attention au point que je ne pus résister au plaisir de lui répondre « j’aime beaucoup la façon dont vous écrivez, je cherche quelque chose de spirituel à vous répondre mais rien ne me vient à l’instant… »
Elle répondit gentiment par un « smiley » dit « sourire ».
Et je la vois enfin qui avance lentement dans la lumière vive du matin.
Elle approche, souriante, les mains dans les poches de son manteau et j’ai le temps de voir qu’outre des yeux clairs qui s’embrument légèrement à cause du soleil, elle a aussi de très jolies jambes.
Quand elle est proche, et même de façon surprenante, très proche de moi, elle me fixe et dit « Vous êtes bien tel je vous imaginais… »
Elle se colle contre moi et ajoute, les lèvres contre mon oreille « Oui… Vous êtes exactement comme lui… »
J’ai essayé de ne pas me rengorger.
Elle recule un peu son visage pour me regarder, me fixe de ses yeux magnifiques et ajoute « comme tous les autres… comme celui qui… »
Ses mains sortent de son manteau, l’une se pose sur le bas de mon dos avec douceur et fermeté et je trouve ça agréable.
Je sais ce qu’elle fait de l’autre quand je ressens la brûlure de la lame du coupe-chou qui m’ouvre l’abdomen.
Je sais que c’est un coupe-chou car ça a coupé trop facilement mon pantalon et ma chemise...
J’ai eu le temps de penser, assez bêtement « Au moins elle ne m'a pas coupé la... » et j’ai sombré alors que j’allais lui demander « Mais pourquoi ? »…

dimanche, 13 octobre 2019

Bleu Floride

« Sur l’enveloppe de ces lettres, j’avais remarqué que c’était toujours la même écriture… à l’encre bleu Floride… » a-t-il écrit page vingt-huit. 
Comme lui, je me suis demandé à quoi pouvaient servir de tels détails.
Puis, ça m’est revenu d’un coup !
« Bleu Floride » était l’encre de mon « CF », un stylo Waterman que j’utilisais dans les temps où j’écrivais sur du papier des choses qui me semblaient importantes à l’époque.
Avant que je n’aie ce stylo « CF », j’en eus un autre.
D’autres, mais toujours j’écrivais avec ces cartouches « bleu Floride ».
Qu’il s’agît de devoirs ou de lettres d’amour.
Que ce soit pour mon compte ou le compte d’amis moins pourvus en technique de versification.
Oui lectrices chéries, à cette époque lointaine, je suis passé par ces périodes où j’avais ce que j’appellerai pudiquement « le romantisme utilitaire »…
À la lecture de cette phrase, j’étais sûr que j’avais encore ce stylo.
Réchappé de déménagements, d’expatriations diverses, de vols, bref d’années d’errance.
Je me suis mis à fouiller mes affaires.
Mon petit cartable de « jeune cadre dynamique » ?
Rien…
Puis, en y réfléchissant un peu, je me suis dit que l’endroit où il devait être était sûrement l’endroit où je m’assieds pour vous conter mes misères diverses.  
Là, j’ai ouvert le tiroir.
J’étais sûr que j’y trouverais ce stylo, ce « CF », avec sa cartouche d’encre « Bleu Floride ».
Je l’ai ouvert, j’ai « fouiné ».
J’y ai trouvé des choses que je ne m’attendais pas à y trouver.
Et j’ai enfin trouvé ce stylo, ce « CF » en écaille et dont la plume « or » a été esquintée sans doute d’une rature maladroite.
Il est là !
Vous pouvez le voir, lectrices chéries.
Démonté on voit bien que la cartouche encore accrochée au corps est de cette fameuse couleur « Bleu Floride ».
Quand je vous disais que ce type est diabolique.
Même l’encre dont il parle est celle dont je me servais quand lui et moi parcourions les rues de Paris à la recherche d’éléments dont nous n’avions pas conscience d’où elles nous mèneraient…Ça a commencé comme ça :

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Et a fini comme ça, histoire de vérifier :

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C’est ça le « Bleu Floride » et c’est là que je me suis demandé si on ne m’avait pas emprunté mon stylo à un moment, le temps d’écrire un roman…

samedi, 12 octobre 2019

À l'encre de ses yeux...

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La lumière de mes jours m’a offert ce livre que j’ai aussitôt commencé.
Je vous le dis, lectrices chéries, ce Modiano est un type démoniaque !
Dès que je commence un de ses bouquins, j’en sors immédiatement pour vivre le mien.
Il me prend par la mémoire et me traîne dans des rues où nous avons usé les mêmes pavés.
Quand ce ne sont pas les mêmes rues ni les mêmes souvenirs, il ravive les miens et me pousse à m’enivrer de l’ambiance de ces moments enfuis.
Peu de mes souvenirs sont tristes, très peu même, mais assez curieusement, le rythme de ses phrases me pousse à clore les paupières pour revivre d’autres instants.
Je les ouvre à nouveau pour me replonger dans le Paris qu’il conte et, deux chapitres plus loin, je trébuche de nouveau sur un de ses souvenirs.
Je ne m’en relève que pour plonger dans les miens.
Je ne sais pourquoi, alors qu’il parcourt assez souvent le XVème, il conte toujours d’une façon qui fait irrésistiblement penser au IXème arrondissement.
Je suis sûr que ce type a traîné rue d’Hauteville et que les cafés où il s’est accoudé sont ceux qui étaient établis dans le quartier de mon lycée.
À certains moment, je sais qu’il a marché rue du Faubourg Poissonnière. Je reconnais certains détails.
Il me suffit à nouveau de fermer les yeux pour être dans ses pas.
Je le suis, descendant la rue, passant sans le dire devant le lycée Lamartine.
Ne me demandez pas pourquoi je sais qu’il est passé par là, je le sais, c’est tout.
D’ailleurs il y a peu, je l’ai entendu.
J’ai entendu cette élocution qu’on dit hésitante.
En réalité, il s’arrête, il dit quelque chose et pense déjà autre chose.
Il est déjà à revivre quelque chose qu’il n’a pas envie de nous dire mais qu’on devine.
Si vous avez déjà foulé les pavés de bois de la rue Rambuteau ou de la rue des Moines, ceux qu’on ressentait encore dans les années soixante, à la souplesse soudaine de la démarche, sous la fine couche d’asphalte, vous savez que vous avez changé de monde.
Si vous connaissez Paris et ouvrez un livre de Modiano, quel que soit le chapitre que vous commencez, vous foulez des pavés que vous connaissez sur le bout de la semelle.
Vous traversez des rues riches d’années que vous avez traversées, d’aventures que vous avez vécues, de vies que vous avez croisées…
Bref, Modiano vous montre des pans de votre vie qui vous comblent et que vous n’auriez jamais pensé à évoquer s’il n’avait pas forcé la serrure de votre boîte à souvenirs.
Modiano, c’est comme « SEB », c’est bien…
Non, en réalité c’est mieux.
Ça ne s’abîme pas avec le temps.
Il me fait toucher du doigt que le temps érode plus facilement mes genoux que mes souvenirs…