lundi, 02 septembre 2019
La fille du train...
Quand elle est entrée dans le compartiment, j’ai levé la tête de mon journal et l’ai vaguement regardée.
Oh, discrètement, ce n’était que l’intérêt passager de quelqu’un que le bruit de la porte qui donnait sur le couloir avait distrait de sa lecture.
Puis, elle s’est assise en face de moi, a fouillé dans son sac et a pris un livre qu’elle a posé à côté d’elle presqu’aussitôt en plissant le nez.
Je me suis replongé dans la lecture de mon journal.
Après quelques minutes d’un silence troublé par les seules annonces qui arrivaient du quai, je l’ai entendue s’agiter.
Puis le train a commencé à rouler et en regardant par la fenêtre j’ai eu cette sensation bizarre que le quai partait en direction du boulevard.
Alors je me suis détourné de la fenêtre et j’ai remarqué alors qu’elle avait de beaux genoux, ce qui n’est pas la chose la plus courante qui soit…
J’ai vu aussi qu’elle avait remplacé le livre abandonné par un quotidien sans doute acheté au kiosque de la gare.
Elle gardait un « silence bruyant », un de ces silences dont on sait qu’ils ne demandent qu’à être rompus, fait de regards fugaces, de mains nerveuses quoiqu’apparemment immobiles, de jambes qui se croisent et se recroisent.
Quand elle a croisé de nouveau les jambes pour faire repasser sa jambe gauche par-dessus sa jambe droite, j’ai vu qu’elle n’avait pas que les genoux de jolis…
J’ai haussé le regard vers son visage, vaguement gêné par cet instant d’intimité impromptue.
J’ai tenté de reprendre ma lecture mais cette fois j’étais détaché des nouvelles.
Où allait-elle ? Pourquoi ?
Je jetais de temps à autre un regard à ma voisine de compartiment.
Assez souvent pour voir que les cheveux qui dépassaient de son chapeau, en boucles désordonnées avaient une teinte claire, entre blondeur et rousseur.
J’ai vu aussi et qu’elle avait une carnation délicate et un visage assez doux pour que son air préoccupé ne le rendît pas renfrogné.
Intérieurement, je pariai aussitôt qu’elle avait les yeux bleus.
À l’instant où je levai de nouveau le regard un cahot probablement dû au passage d’un aiguillage la fit sursauter.
Perdu ! Elle avait les yeux verts !
C’est là que j’ai su qu’elle aussi me surveillait.
Du ton de qui est un peu timoré mais ne veut pas le laisser paraître elle demanda :
- J’ai du noir sur le nez ?
Charmé par sa voix je ne pus que répondre :
- Un peu mais ça vous va si bien…
Elle soupira de soulagement et sourit.
Elle reprit son journal, le reposa et dit :
- À quel arrêt descendez-vous ?
J’aurais volontiers répondu « là où vous descendrez… », seulement voilà, désespérément « bien élevé » je me suis contenté de dire :
- À M. et Vous ?
- Moi aussi.
- Le travail ?
- Non, je vais me marier.
- Tous mes vœux de bonheur ! Quelle chance il a…
- « Elle » a, c’est ma compagne.
- Soyez heureuses !
Nous avons alors papoté tranquillement de choses et d’autres jusqu’à M.
Aucune arrière-pensée n’est venue troubler la conversation…
07:00 | Commentaires (21)
vendredi, 30 août 2019
Devoir de Lakevio du Goût N°6
18:25 | Commentaires (5)
Dans les mailles de l'inspecteur Mylan...
Elle a téléphoné à l’Ours.
Elle est malade.
Gravement.
Je lui ai dit « tu as déjà eu ça, tu as les médicaments qu’il faut pour soigner ça... »
La confiance que m’accorde la lumière de mes jours s’étiole de jour en jour…
Je l’ai senti quand elle m'a jeté à la face « Et si je fais un œdème de Quinck ! Hein ? Tu y as pensé ? »
Bref, elle souffre.
Elle souffre atrocement.
Évidemment, quand elle souffre c’est « atrocement », elle ne peut pas tout bêtement « avoir mal ».
Ça, ça n’est tout simplement pas possible.
Mais il y a quand même un léger progrès.
Auparavant, en cas de bénignité de l’affection, elle se contentait d’être « un bloc de souffrance »…
Aujourd’hui, c’est autrement grave car c’est « atrocement ».
Elle a tout ce qu’il faut pour se soigner mais comme elle subodore un cancer généralisé qui se sera déclaré entre la fin du petit déjeuner et le déjeuner, elle préfère se confier au médecin le plus reconnu de la famille.
Elle a donc appelé l’Ours.
L’Ours l’a aussitôt rassurée mais lui a recommandé de prendre le médicament adéquat.
Elle lui a donc jeté l’antienne qu’habituellement elle me réserve :
« Tu sais bien que je n’ai pas peur des médecins mais des médicaments ! Et si je fais un œdème de Quinck ? »
Elle a ajouté imprudemment « en plus avec celui là, je vais pourrir la vie de ton père pendant six jours ! »
J’ai alors laissé échapper « Bof… C’est comme ça depuis près de cinquante ans, alors je ne suis plus à six jours près… »
Assez étonnamment, ça l’a fait rire.
Elle ne mourra donc pas cette semaine.
Tout n’est donc pas perdu.
Tant que je réussis encore à faire sourire Heure-Bleue, la vie est belle…
07:28 | Commentaires (16)
jeudi, 29 août 2019
Ce n'est pas une création d'Otto Preminger
Le monde compte une merveille de plus.
Bon, j’eus préféré l’apprendre autrement qu’en étant arraché des bras de Morphée à six heures et vingt-trois minutes ce matin.
Mais la joie explique sans doute la chose.
À moins que, le connaissant comme je le connais, il n’y ait derrière cette annonce a priori heureuse, une volonté de me faire sursauter en plein sommeil.
Oui lectrices chéries, mon ami, celui avec lequel je ne suis d’accord sur rien sauf les vinyles des années soixante, mon ami donc a été transformé en grand-père cette nuit.
Il m’a envoyé une photo de sa fille, que j’ai connue étudiante en médecine et qui est maintenant médecin et aujourd’hui a gagné le droit d’être patiente pour une bonne vingtaine d’années…
C’est une petite fille dotée d’un très beau prénom qui vient d’arriver.
D’après la photo, cette petite est douée pour dormir.
Ses paupières n’ont pas un pli disgracieux.
« En même temps », comme dit un président, ça me donne un peu de répit dans la réalisation de la bidouille que je concocte pour cet ami.
Bref, elle est belle.
07:40 | Commentaires (7)
mardi, 27 août 2019
"Médême R."
« WWLF » a dit Adrienne ce matin.
Je crois que je fais ça avec ma cervelle.
Une information m’arrive via la radio ou une phrase entendue dans le bus et, de proche en proche, je me promène en des endroits et croise des gens disparus depuis des lustres.
Heureusement que ma grande sœur est là pour me rappeler que ça a existé tout de même.
C’est pour ça qu’il y a quelques jours, j’ai appelé ma grande sœur.
Bon, cette façon de dire n’est pas sans rappeler Fernand Raynaud mais il ne s’agit pas de ça ni de « 2 CV ».
J’appelais ma grande sœur après avoir entendu quelque chose à la radio à propos « d’international de football ».
Le type était payé un bras et s’offrait, avec l’accord de la banque et du garagiste, des bagnoles à un œil.
Ça s’est gâté quand, aux dires des journalistes, il avait tenté de s’offrir, sans l’accord de la loi ni de la dame, les charmes de cette dernière sans sa permission.
Bref, ça avait fait des histoires…
Et ça m’a rappelé une autre histoire « d’international de football ».
Quand j’habitais dans « ce coin de voyous plein d’Arabes » dixit ma mère, je regardais souvent à la fenêtre qui donnait sur « l’autre passage », celui des copines de mes deux petites sœurs.
A l’une des fenêtres de l’immeuble en face, je voyais souvent s’appuyer une dame.
Je me rappelle qu’on l’appelait « Médême R. » car on avait le respect appuyé dans ce quartier où, hormis mon père dit « Lemmy », monsieur « de C. » et les commerçants qui se rasaient tous les jours, le rasage hebdomadaire était plutôt la règle.
Quand l’heure de la déférence sonnait, les hommes ne disaient pas « m’dame » ni « ma p’tite dame », non, ils disaient « Médême ».
« Médême R. » donc, me revint à l’esprit et pour être sûr qu’il s’agissait bien d’elle, j’ai appelé ma grande sœur.
De qui se souvenait-elle de l’immeuble en face ?
Pas « Médême R. » non mais de monsieur « de C. » qui avait un fils qu’elle se rappelait parfaitement car il la regardait comme un gâteau quand elle avait quinze ou seize ans.
Elle avait donc parfaitement compris de quoi il retournait et ça l’avait suffisamment frappée et flattée pour qu’elle s’en souvînt soixante ans plus tard…
Quant à « Médême R. » elle s’était échappée de sa mémoire et ne se rappelait que la dame en peignoir de soie qui fumait.
Je me rappelais bien finalement cette dame.
Elle traînait dans la pièce, devant la fenêtre ouverte, en peignoir que je pensais de soie alors qu’il s’agissait plus probablement de rayonne, tenant d’un geste précieux un fume-cigarette de cinquante centimètres au bout duquel était fiché une cigarette au papier de couleur violette.
Les bruits couraient dans la rue qu’elle avait été mariée à un « international de football » et qu’elle fumait des cigarettes russes dont les mégots multicolores jonchaient le trottoir au bas de chez elle.
10:19 | Commentaires (4)