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lundi, 09 juin 2014

Le dernier pain perdu.

Ma mère, une fois mis de côté le fait qu’elle me pourrissait la vie dès qu’elle pressentait que je pouvais aimer quelqu’un d’autre qu’elle, avait d’innombrables talents.
Elle pouvait gâcher une soirée de mon père en deux mots soigneusement ajustés.
Elle pouvait pourrir un dimanche de ma grande sœur rien qu’avec un petit truc à faire, celui qui lui ferait rater le garçon qu’elle voulait voir vers l’endroit où la rue Hermel croise le square Clignancourt, petite enclave de verdure entourée d'immeuble en pierre de taille, propre et « bien fréquentée » propice aux rencontres.
Elle pouvait aussi, d’un seul coup d’un seul, interdire à mes deux petites sœurs d’aller retrouver chez elles deux autres sœurs afin qu’elles fissent ensemble leurs devoirs.
De mon expérience de l’aide aux devoirs me reste une leçon d’histoire, censément connue de ma sœur cadette et des deux autres sœurs.
Ma sœur ne l’a jamais sue et ne la sait toujours pas, ce n'est pourtant pas faute de la lui avoir fait répéter.
En revanche, je me la rappelle parfaitement : « Mal vêtus, mal logés, mal nourris, les serfs vivent sous la domination de leurs seigneurs qui les exploitent. »
Ma mère savait aussi avec talent nous ramener dans le droit chemin rien qu’avec la menace de la balayette.
Pour ce que je me rappelle de cette balayette, qui disparut lors du déménagement qui nous amena dans le Marais, c’était une balayette qui perdait ses poils on se demande comment car elle n’avait jamais servi à autre chose que nous menacer de nous en frapper le bas du dos…
Tout lui était bon pourvu que cela dissuade n’importe lequel d’entre nous de prendre le genre « voyou de la Porte de Clignancourt ».
 Cela dit, elle avait quand même parfois un savoir-faire qui ne consistait pas qu’à rater la soupe de mon père ou fabriquer un pot de colle avec un sachet de pâtes.
Elle faisait, « les semaines difficiles », autant dire les trois dernières du mois, ce qu’elle appelait du « pain perdu ».
Vous vous rappelez sans doute, lectrices chéries qu’il nous était absolument défendu de « manger du pain frais car il est difficile à digérer et de toute façon il en reste d’hier il est encore bon »…
Le pain de quatre cents grammes, dit « pain parisien » n’était jamais frais ni terminé et finissait dans le fond de la petite huche où on le rangeait habituellement.
Quand le moment arrivait où les restes de pain empêchaient de ranger le « pain d’hier » à la fin du repas, le moment était venu pour ma mère de faire le « pain perdu », qui servirait de dessert et de goûter pour les jours suivants.
Elle « émialait » selon ses propres termes, le pain dur, le transformant en un tas de graviers de la grosseur d’un pion de loto, préparait une grande casserole et y mettait le tas de grosses miettes.
Elle le saupoudrait ensuite de sucre.
Pas trop.
Puis de cacao.
Encore moins.
Et recouvrait le tout de lait. Quand le tout était ramolli suffisamment à son goût, elle le remuait et le versait dans un immense plat de tôle émaillée. Rouge bordeaux à l’extérieur, gris fer saupoudré de blanc à l’intérieur.
Après un passage au four, le « pain perdu » était sorti brûlant et posé sur le rebord de la fenêtre de « la grande pièce » pour refroidir.
Je me demande encore comment on n’a pas tué la concierge avec un plat en train de refroidir… Cette fenêtre n’avait rien pour arrêter ce qu’on posait sur le rebord. C’est celle qui servit de base de lancement à la fusée qui m’mena à l’hôpital.
Après avoir surveillé que la bande d’affamés que nous étions ne « tapait » pas dans le plat encore chaud, elle le laissait là jusqu’au dîner.
On a toujours trouvé ça délicieux. Ce qui prouve qu’un ventre affamé, non seulement n’a pas d’oreilles mais n’a pas trop de goût non plus…
Je sais que ce n’est pas le vrai « pain perdu », lectrices chéries, mais ma mère appelait ça « pain perdu » !
Et nous en avons mangé la dernière part dans ce passage mal famé près de la Porte de Clignancourt.
Ma mère n’en fit plus jamais…

 

dimanche, 08 juin 2014

Les vieux ont soif…

Aaahhh… Pauvre France…
Hier, après avoir enfin réussi à voir au Petit Palais l’exposition des œuvres de Carl Larsson, nous avons vaqué.
Sous le soleil exactement. Pas à côté, pas n’importe où.
Nous avons remonté les Champs Elysées qui, contrairement à une idée répandue, n’est pas la plus belle avenue du monde. Nous avons descendu l’avenue de Wagram jusqu’à l’avenue des Ternes.
Pas passionnant, lectrices chéries, je sais…
Un appel de l’Ours sur le portable d’Heure-Bleue nous  a convaincus. Il nous fallait absolument aller prendre un « apéro dînatoire » sur leur terrasse.
Nous nous sommes donc arrêtés au Monop’ des Ternes, que j’ai connu « Prisunic » quand j'étais étudiant pour y avoir « travaillé » une dizaine de jours un été au lieu du mois prévu.
Comme manutentionnaire. Ce qui explique la dizaine de jours. Je me suis fait jeter. Non seulement parce que j’étais un mauvais manutentionnaire mais aussi parce que j’étais bavard et distrayait des filles qui devaient gagner leur croûte au lieu d'écouter mes bêtises…
Bref, nous avons donc acheté de quoi meubler « l’apéro dînatoire » en boissons et amuse-gueules et nous sommes allés chez l’Ours.
J’en ai retiré quelques informations.
Non, je n’étais pas saoul en sortant, la preuve : Je me rappelle tout ce que j’ai bu. Du Gewurztraminer au Côtes du Rhône en passant par le rosé de Provence.
Mais… Car il y a un mais.
J’ai appris que quand il fait des températures caniculaires et qu’on à soif parce qu’on cause beaucoup, il faut boire.
Pas du vin…
On dit que l’alcool s’évapore avant l’eau.
Peut-être. Cela dit, une chose s’évapore avant l’alcool : Le jugement. Je m’en suis aperçu quand les syllabes ont eu tendance à se mettre en désordre alors qu’habituellement j’articule assez correctement.
Même Merveille, malgré l’amour inconditionnel qu’elle voue à son papy préféré, j’ai nommé Le Goût, m’a par moment regardé avec commisération…
Manou, qui me servait libéralement chaque fois que mon verre était vide, eut tendance un moment à larmoyer, signe que l’âme slave ressortait chez elle.
Apparemment, le Gewurztraminer rend les Slaves sentimentales…
Ce matin, je n’ai pas mal à la tête mais, chose étrange, alors que je n’en ai pas bu, j’ai la tête pleine d’eau.
Là, me vient l’explication, je me souviens à l'instant que le vin est quand même composé d’eau à plus de 85%...
Je me rends compte aussi que mon organisme s’est modifié parce que depuis toujours, ce qui m’a empêché de sombrer dans l’alcoolisme, c’est que j’étais malade avant d’être saoul, ce qui a toujours limité sévèrement une consommation déjà peu compatible avec mon job…
Maintenant, je devrais pouvoir me saouler mais je crains qu'Heure-Bleue le prenne mal, elle n'a jamais supporté les ivrognes.

vendredi, 06 juin 2014

Ce que la norme en dit...

La tentative fut belle.
La tentative fut hélas vaine.
Nous avons tenté, nous n’avons pas pu, nous avons échoué.
Nous fûmes stoppés dans notre élan culturel.
Nous, votre Heure-Bleue vénérée, et votre Goût adoré, républicains s’il en est, fûmes arrêtés sur la voie de la connaissance par l’émanation charnelle, symbolique, vieillissante et quelque peu boiteuse de la Royauté.
Camarades lectrices ! Lectrices chéries ! Lançons une pétition ! Que dis-je, « the » pétition.
Après le soulèvement populaire de 1789 qui vit raccourcir Louis XVI en 1793.
Après celui de 1830 qui vit bafouiller les Français qui sortirent un roi pour en caser un autre, les c…, pfff…
Après celui de 1848, qui vit Louis-Philippe viré à coups de pied dans le séant.
Eh bien, oui, après tous ces évènements qui nous montrèrent à l’envi que le meilleur système est la République, nous avons été empêchés d’accéder à ce bien commun censé nous ouvrir les yeux sur les mystères du monde.
J’ai nommé « La Culture » lectrices chéries.
Découvrez vous je vous prie…
Et qui nous a empêché d’atteindre le Petit Palais où nous nous rendions pour l’avant dernier jour de l’exposition des œuvres de Carl Larsson ?
Oui, qui ?
E-li-za-beth-II !
Oui, la reine Elizabeth II nous a empêché d’accéder au Petit Palais.
Elle-même !
Honnêtement, pensez-vous qu’il était indispensable d’arrêter tous les bus à Pereire pour permettre à une vieille dame de parcourir à pied les douze mètres qui séparent sa voiture de la tombe du Soldat Inconnu ?
De vider les rues, à grand renfort de fourrière, des véhicules qui ne dérangeaient personne ?
Au moment où le machiniste du 93 qui nous a accueilli Porte de Champerret nous annonça qu’il s’arrêterait, comme tous ses collègues à deux stations de là, j’ai eu un de ces accès de nostalgie qui habituellement font vos délices.
Oui, j’ai à ce moment rêvé au remontage de la guillotine sur la place de la Concorde, histoire de raccourcir un autre représentant de la Royauté…
Comme nous sommes plutôt de bonne composition, nous n’avons pas manifesté. Il faut dire qu’une manif à deux vous amène plus sûrement au commissariat du coin qu’au 20H de TF1. Nous avons donc entamé une chouette promenade qui nous a amené de la Porte Champerret à Pont Cardinet.
Mais non, pas tout droit, en prenant des chemins qui, comme par hasard, passaient tous par des endroits où Heure-Bleue avait des souvenirs d’enfance.
Je vais bientôt devenir historien de toutes les boutiques qui ont disparu depuis les années cinquante dans le coin délimité par le boulevard Pereire au nord, la rue de Rome à l’est, l’avenue Niel à l’ouest et le boulevard de Courcelles au sud.
Vous ne saviez pas, j’en suis sûr, que la librairie de la rue Poncelet l’a vue, enfant,  venir chercher « la Veillée des Chaumières » de son arrière-grand’ mère.
Vous ignorez aussi, je le sais, que la rue de Tocqueville l’a vue courir en socquettes blanches et jupe bleu marine.
Vous ne savez pas plus que le marchand de produits italiens de cette rue était un charcutier en 1962.
Que le « Brazza » existait déjà et n’a pas plus changé que sa clientèle.
Bref, les boutiques changent mais l’esprit des lieux reste, immuable.
Même le ciel de l’ouest, dont je vous ai récemment parlé, est resté le même, la preuve :

rue de Rome au printemps.JPG

Cliquer pour mieux voir...

 

mercredi, 04 juin 2014

Chéri bibi…

Je vous ai déjà parlé de cette cousine ?
« Béline », elle s’appelait Béline. Il me semble vous en avoir déjà touché deux mots mais je n’en suis pas sûr.
Elle était gentille, Béline.
Mais pourquoi diable viens-je vous parler de Béline, lectrices chéries ?
Mais parce que je viens d’aller chercher le pain.
Et alors ? Vous écriez-vous ?
Eh bien, en allant chez le boulanger, une grosse feuille est venue s’échouer sous mes pas. Une grosse feuille étrange, toute pelucheuse, épaisse duveteuse.
Et c’est là que m’est revenu le mot, « the word », le bon, celui qui va pour qualifier cette feuille.
Mais alors, quel rapport avec la cousine ?
Cette cousine était quelque peu « campagnarde » de vocabulaire, alors qu’on dit aujourd’hui « j’ai  une gastro » elle disait « Pfiouu… J’ai le veson… »
Ce à quoi je trouvais le côté imagé qui exprimait pleinement cette notion d’urgence.
En dehors de ce côté campagnard elle avait par ailleurs un réel souci du mot juste et ne se privait pas de nous reprendre quand c’était nécessaire.
Et c’était souvent nécessaire…
Le mot, donc, le bon, m’était revenu à considérer cette feuille, arrêté sur le trottoir, espérant que la queue avançât avant que ma baguette n’ait le temps de rassir sur le présentoir.
La cousine Béline, je l’aimais beaucoup parce qu’elle n’était pas avare de câlins et vous savez bien, lectrices chéries, que ce besoin de câlin dans des bras féminins ne m’a jamais quitté. La cousine Béline portait toujours, en venant rendre visite à mes parents, un manteau beige et portait un petit chapeau que j’aimais toucher car il était extrêmement doux.
Ma mère lui dit, la première fois qu’elle vit ce chapeau « Mais il est ravissant, ce petit bibi ! Mais qu’est-ce que c’est comme tissu ? C’est tout pelucheux. »  
- Tss… Tss… Roberte, ce n’est pas pelucheux, pour ça on dit « tomenteux ». Oui, c’est comme ça qu’on dit pour ce tissu.
- Bref, c’est duveteux ! A tranché ma mère.
C’est ce jour là que j’ai su que ma cousine Béline, morte il y a des années, portait « un bibi tomenteux. »
Si je ne vous avais pas, lectrices chéries, ce mot aurait probablement complètement disparu.
Bon, ce n'est pas toujours facile à caser.
Elle me manque, parfois, la cousine Béline…
Vous avez remarqué comme une feuille, lorsqu’elle vous arrive sous les pas, pendant que vous rêvassez devant une boulangerie et venue d’on ne sait où, peut vous faire revivre des moments de douceur et raviver des souvenirs lexicaux ?

mardi, 03 juin 2014

Le courrier de lion…

Hier, mon rhume allait mieux.
Il allait nettement mieux.
Je l’ai senti à l’éclosion dès le matin, alors qu’un peu de soleil égayait la salle de séjour.
Oui, je l’ai senti, lectrices chéries, au retour de ce caractère taquin qui fait le charme de votre Goût préféré.
C’est normal car je commence toujours gentiment. Après c’est selon…
J’avais justement quelque chose à faire ce matin là et ne savais pas encore que ça allait me permettre de vérifier que mon savoir-faire ne s’était pas dangereusement émoussé à vivre en reclus et ne me soucier que du prochain reniflement ou de la prochaine quinte de toux.
Je pus donc profiter pleinement de mes heureuses dispositions et suis parti, joyeux pour des courses lointaines.
A la Poste, plus précisément.
J’avais un colis à y déposer, quelques photocopies à faires et à envoyer.
J’ai donc emprunté la passerelle qui m’amène de l’autre côté de la voie et suis entré dans le bureau de Poste.
Seules deux personnes – oui, les femmes sont aussi des personnes- en assuraient le fonctionnement.
Il y avait déjà cinq queues.
Oui ! Cinq ! Dans un bureau de poste où il n’y a que deux guichets.
Et quelles queues, mes chéries !
Ça n’était pas sans rappeler une boucherie moscovite en 1954.
Pourquoi cinq ?
Parce qu’il y a deux machines d’affranchissement, un photocopieur, un guichet pour les colis et un pour les questions de sous.
J’ai honteusement profité de mon statut de bancal pour me présenter avant tout le monde au guichet des colis.
Une dame à peu près aussi souriante que Manuel Valls m’a accueilli d’un sec et rogue :
- Le volet interne du colis, v’l’avez ? C’est la preuve de dépôt, j’dois tamponner.
- Ben non, je ne l’ai pas…
- J’peux pas prendre votre colis…
- Ne me dites pas que j’ai claqué 12.70 € pour rien !
Plus désagréable encore, elle a jeté aigrement :
- J’ai pas dit ça ! J’ai dit que je voulais le feuillet !
- Allons, s’il vous plaît, donnez moi un autre formulaire, je vais le remplir et il remplacera celui que j’ai mis sur le colis.
Elle a fait la moue et m’a tendu, en soupirant d'agacement, un formulaire, désolée de ne pas m’avoir dissuadé.
C’est là que je me suis dit qu’il faisait beau et qu’après tout, j’aurai bien une idée…
L’idée m’est venue en faisant la queue devant le photocopieur. Une dame, devant une des machines d’affranchissement, attendait vainement l’arrivée de la vignette.
Elle s’est perdue en conjecture devant l’écran.
- Oh ben ça ! Qu’est-ce que ça veut dire ?
J’ai regardé.
- Votre transaction est annulée, vous n’aurez pas votre vignette…
- Mais pourquoi ?
J’ai regardé de plus près, ai vu que la zone de la vignette qu’elle souhaitait était inactive.
- Probablement plus de papier dans la machine, le rouleau est vide.
C’est là que l’idée est née…
- Oui, elle doit le savoir mais ça l’embête de remettre un rouleau dans la machine…
La dame a commencé à pester  et s’est dirigée vers Miss Malgracieuse.
Et j’ai continué à attendre. J’ai enfin pu faire mes photocopies et me suis mis à faire la queue à l’autre machine d’affranchissement.
 Devant la première machine, un type a dit :
- Mais je peux pas avoir mon timbre ! Ça déconne leur truc !
- Ouaip… Plus de papier mais apparemment ça la dérange d’en remettre…
Il est allé engueuler Sœur Sourire et est revenu en disant « Elle m’a dit «  Ouais on sait, c’est en panne on n’y peut rien »  cette s… ! »
Quand j’ai pu accéder à la seconde machine, ça râlait beaucoup derrière moi. J’ai posé ma lettre sur la machine, qui m’a réclamé 1.10 € pour l’envoyer.
Je me suis retourné vers les gens.
- Eh ! vous avez remarqué ?
- Quoi ? ont dit quelques uns.
- Vous avez remarqué qu’on paie de plus en plus cher un boulot qu’on est obligé de faire nous-mêmes ?
- Mais... Mais c’est vrai ça ! A dit l'une.
- y’en a marre au bout d’un moment. A dit un autre.
J’ai pris ma vignette et suis parti pendant que les gens commençaient à gueuler très fort après Miss Malgracieuse.
Je n’aime pas qu’on me maltraite sans raison…