Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 08 septembre 2014

Le chiffonnier est mahousse…

Reprenons.
Si, au sortir de notre galetas, nous tournions à droite au lieu de tourner à gauche, nous arrivions, en une vingtaine de pas, rue du Roi d’Alger. Il suffisait de s’engager dans la rue sur la gauche pour arriver au croisement, décemment on ne peut appeler un carrefour, ce petit espace où se rejoignaient la rue du Roi d’Alger, la rue Neuve de la Chardonnière et le passage Kracher.
Vous ne pouvez pas savoir ce que ce coin, vu avec nos yeux de petits bourgeois d’aujourd’hui, aurait eu d’inquiétant si vous l’aviez connu à cette époque, lectrices chéries.
Comme je vous l’ai déjà dit, la guerre avait beau avoir cessé depuis plus d’une dizaine d’années, on aurait dit qu’elle avait pris fin il y a une semaine au plus et cette impression persista jusqu’à la fin des années soixante. Les immeubles y étaient tous noirs de crasse et lépreux.
Les rues étaient évidemment pavées mais le passage Kracher donnait l’impression de l’avoir été avec des ballons de handball. Je serrai un peu les fesses en m’engageant sur les pavés inégaux et luisants mais, bien que Souricette fût aussi timorée qu’un banquier, sa présence me rassura et nous avons avancé vers la rue de Clignancourt d’un pas plus vif que nécessaire…
Ce passage était le pire de notre environnement proche. Celui où nous habitions était très court et animé par un restaurant à un bout, un hôtel à l’autre et le bougnat de notre rez-de-chaussée. Le passage Championnet était éclairé par la rue Championnet et presque vivable, hormis l’ivrogne au tuba et sa bignole voisine qui avait « le bec salé » elle aussi.
Le passage Kracher, lui, était un boyau terriblement étroit, tapissé de ces pavés inégaux, ronds et perpétuellement mouillés. Le manque de confort, plus exactement de latrines, de l’époque lui donnait en plus un parfum rebutant et si je n’avais pas été doté d’une curiosité irrépressible je n’aurais jamais osé passer par là. Surtout seul.
J’ai été plutôt content. Ma mère avait eu tort, si le passage puait et était sombre comme le dessein d’un malfaisant, il était certes peuplé d’Arabes mais pas un ne semblait prêt à nous enlever et ça nous faisait gagner pas mal de temps. Ceux qui connaissent le talent de ma mère pour les paquets savent que tout mètre de marche épargné diminuait d’un centimètre l’allongement du bras porteur…
Arrivés au bout du passage, ma sœur cadette et moi sommes entrés, enfin sommes avancé sur le seuil d’une grande pièce contenant un bordel encore plus monstrueux que celui causé par feu Maillot lors de ses petits déjeuners au 11° à la tireuse.
Il y avait dans cet antre éclairé par un ampoule pendant du plafond, des embrouillamini de fils électriques, de vieux poêles de fonte, d’appareils bizarres et de papier. Des milliards de tonnes de papier !
Le chiffonnier nous vit arriver, s’essuya les mains sur son pantalon et demanda « qu’est-ce que vous v’lez, les gosses ? »
Les gosses sont restés muets. On avait beau le connaître, il faisait quand même un peu peur. Il était immense, une sorte de gitan, la peau teinte à « l’encrier de déménageur » autrement dit « le gros qui tache », perpétuellement vêtu d’une combinaison qui avait dû être bleue cinquante ans auparavant et avec des mains monstrueuses.
Avec le recul de l’âge je suis sûr que les fesses de ma première copine auraient tenu dans une seule de ses mains. Je n’ai revu des mains de cette taille que plus tard, au bout des bras d’un technicien envoyé à la boîte pour une formation.
Le chiffonnier fit rouler son mégot au coin de ses lèvres. Je le revois encore. Il sourit  et prit son porte-monnaie, en sortit une pièce de deux francs, des francs d’avant Pinay, et pris mon paquet de journaux.
Mon bras reprit sa taille initiale tandis que le chiftir poussait un « ouf » de surprise. Il jeta le paquet sur l’énorme balance derrière lui et reprit son porte-monnaie.
Il remit sa pièce de deux francs dans son porte monnaie et en sortit une de cinq francs.
Oui, lectrices chéries, ma mère avait trouvé le moyen de nous faire débarrasser le palier aux frais de quelqu’un d’autre… Ma sœur et moi avons pris l’autre chemin pour rentrer.
On a claqué nos cinq francs en caramels à un franc dans « la boutique rose » de la marchande de bonbons.
La boutique rose existe toujours mais ne vend plus de bonbons.
Elle ne vend pas non plus d’années à l’envers…
Si ça vous intéresse, lectrices chéries, j’ai encore quelque chose à vous raconter à propos de cette marchande de bonbons.

dimanche, 07 septembre 2014

Interdit de Kracher

Je vous ai parlé il y a peu du passage Kracher.
Au bout de ce passage, on trouvait au coin, à droite, le fournisseur de menue monnaie du quartier, vraiment très menue, la monnaie : Le chiffonnier.
Que je vous dise, lectrices chéries, si l’hiver, le journal servait à allumer le poêle, du milieu du printemps à la fin de l’automne, il était conservé, plié, et mis sur le petit escalier dont nul ne savait où il menait, qui jouxtait la porte de notre logement. Ces quatre marches s’arrêtaient net sur une porte dont on ne sût jamais ce qu’il y avait derrière.
Quand l’épaisseur de journaux était telle que ma mère, jugeant d’un coup d’œil expert qu’elle dépassait les deux kilos, elle m’envoyait les porter chez le chiffonnier.
Ça n’allait jamais aussi simplement que je viens de l’écrire.
Aller chez le chiffonnier, entreprise simple au premier abord, se révélait, au « deuxième rabord » une mission lourde dans sa préparation.
Et « mission lourde » n’est pas qu’une figure de style…
Ma mère allait dans le boyau qui nous servait de cuisine, décrochait un vieux cabas qui servait de réserve à des tas de choses inutiles. Il y avait évidemment le grand pochon de papier qui contenait un tas de petits pochons de papier kraft. C’était l’ancêtre du gigantesque « sac de sacs » qui accompagnerait ma mère jusqu’au seuil de sa dernière demeure.
Il y avait aussi dans ce cabas, l’inévitable chose que j’avais déjà vue chez dans « le bâtiment » de la maison de ma grand’mère maternelle. Un truc informe, une espèce de pelote faite de bouts de ficelle, pelote informe faites de morceaux trop longs pour être jetés mais trop courts pour être utiles à quoi que ce soit.
Ma mère, donc, prenait quelques morceaux de ficelle, les nouait bout à bout et faisait un de ces paquets dont elle avait le secret.
Une fois ce petit paquet de concentré de journaux terminé commençait la longue psalmodie des conseils pour se rendre chez ce chiffonnier.
- Patrice, mon fils, écoute moi bien.
- Oui maman…
A cet instant il était bien vu d’éviter le soupir de lassitude devant le discours mille fois entendu.
Il y eut bien une fois cette idée de dire en même temps que notre cantor privé, façon « chœur des vierges » du théâtre grec, le texte que nous connaissions par cœur mais la tentative fut étouffée dans l’œuf d’une taloche sur le plus proche de la main maternelle.
Ma mère, donc continua.
- En sortant de la maison, tu prends à gauche. 
- Oui maman…
- Surtout A GAUCHE ! HEIN ! A GAUCHE ! Et tu arrives directement sur la rue Championnet, tu vas à droite, vers la RATP et, arrivé à la rue de Clignancourt, tu prends à droite. A droite hein ! Et tu fais bien attention à Souricette ! »
Ma sœur cadette et moi avions fait ce chemin de nombreuses fois et Souricette, qui devait son surnom à son aptitude à piailler comme une souris quand elle était bébé, me donnait la main sans faire d’histoires.
Nous connaissions aussi bien le chemin que la litanie des recommandations qu’on nous répétait néanmoins chaque fois.
Et ça continuait…
« Tu remontes bien la rue de Cligancourt jusqu’au passage Kracher. » Là, le ton montait . « Et surtout, tu fais bien attention à ta petite sœur ! ». Le ton s’atténuait.
« Vous dites « bonjour monsieur » et surtout vous ne touchez à rien, tout est sale là-dedans ! »
Nous savions que nous n’en étions pas quittes pour autant, je posai néanmoins la main sur le paquet de journaux et le pris.
La dernière objurgation tomba. « Surtout, pas question de passer par l’autre côté hein ! De toute façon, je le saurai ! Je le saurai ! Si j’apprends que vous êtes passés par la rue du Roi d’Alger et le passage Kracher, JE-VOUS-TUE ! »
Comme toujours, sa grande hantise avait saisi ma mère et l’amenait au bord de l’hystérie. « Vous allez vous faire attraper par des Arabes et vous vous retrouverez dieu sait où ! »
Je dirai après à quoi ressemblait le passage Kracher car, bien entendu, nous sommes quand même allés une fois chez le chiffonnier en passant par là.
Vous saurez aussi à quoi ressemblait ce chiffonnier…

samedi, 06 septembre 2014

Excusez moi, je n'ai pas de Monet.

« Cochinchine ». Le mot qui me revient ce matin est « Cochinchine ». Tout simplement parce qu’hier, j’ai croisé dans les allées du Monop’ un Vietnamien d’une trentaine d’années.
Il m’a frappé et je sais pourquoi. Il ressemblait à quelqu’un que j’ai connu.
C'est pour ça que « Cochinchine » me revient ce matin. 
Dans mon coin, plus précisément au rez-de-chaussée de l’immeuble où habitaient mes parents, face à la porte qui donnait sur la salle du bougnat, celui qui aimait mieux batifoler avec la voisine du premier qu’avec sa légitime, il y avait la loge de la concierge, Madame D.
Madame D. avait fini par rejoindre Manitou sur les terres des chasses éternelles.
Oui, à l’époque, je lisais les aventures de Winnetou, pas encore les Mémoires d'Outretombe ni Les Thibault.
Bon, c'est aussi mais pas pareil.
Madame D. fut remplacée par des boîtes aux lettres.
Les habitants de l’immeuble y gagnèrent de ne pas devoir entrer dans une loge qui sentait mauvais et les enfants des habitants de ne pas être acculés dans un coin et tenter d’échapper à « un bisou, p’titbout’dchou ».
Ils y perdirent car ils durent nettoyer eux-mêmes leur palier et les escaliers de leur étage.
Je me rappelle cette Madame D. comme quelqu’un d’incommensurablement vieux, sentant le pipi et n’ai pas souvenir de l’avoir vue autrement que vêtue d’une robe de chambre de feutrine beige grisâtre de crasse par endroits et chaussée de charentaises usées et ouvertes au gros orteil. Elle avait un fils qui passait la voir de temps à autre. Ce n’est que beaucoup plus tard que je me suis demandé comment il avait pu venir à l’idée de quelqu’un de lui faire un enfant…
Sa loge, un petit studio doté d’une minuscule cuisine donnant sur la cour, fut louée à un couple « d’Indochinois ».
Un jour de vacances, de vacances de Pâques si je me souviens bien, et je me souviens bien, je revenais à la maison avec le pain. Arrivé dans l’entrée de l’immeuble, je vis ce monsieur, face à la porte de la loge tenant un bébé par la main. Il me demanda « tiens mon fils, que j’attrape mes clefs, s’il te plaît ».
Sa femme est arrivée à son tour et m’a repris la main du bébé. Je les regardai, c’était la première fois que je voyais des asiatiques « en vrai ». J’en avais déjà vu en film mais en noir et blanc, jamais en couleurs. Je trouvais la femme très belle.
Je me souviens d’eux car elle a dit à son mari « J’ai entendu le cafetier dire « Cochinchine, c’est des Cochinchinois ! » d’un air indigné.
Lui, en un français que lui auraient envié la plupart des gens du coin, lui a répondu « ce n’est pas grave, je sais bien que tu es une Annamite ». C’est quand je me suis mis à voyager que j’ai appris que pour une bonne part de ceux qui sont aujourd’hui des Vietnamiens, le Cochinchinois est au Vietnamien ce que le type du North Dakota  est à l’Américain de la Nouvelle Angleterre. Autant dire le Belge selon Coluche.
Je suis venu chez lui plus tard, l’ai aidé à nettoyer les pinceaux car il repeignait la loge. Je n’avais jamais vu cette loge si claire. Ce que je n’avais jamais vu que comme une caverne sombre, puante et encombrée du sol au plafond de revues jamais jetées, les mur couverts de chromos affreux, de calendriers des PTT empilés sur le même long clou au cours des années se révélait étonnamment agréable. Une pièce petite certes, mais peinte en blanc, tout comme la cuisine, et meublée simplement d’une penderie, d’un lit, d’une table, quatre chaises et d’étagères déjà pleines de livres.
Ce fut la première fois que j’eus l’impression de luxe dans cet immeuble près de la Porte de Clignancourt.
La prochaine fois, si ça vous intéresse, lectrices chéries, je vous parlerai du passage Kracher…

vendredi, 05 septembre 2014

Quand c’est trop conséquent...

Des fois ça étouffe…
Il arrive que certaines de mes lectrices chéries, par inadvertance ou par manque d’attention, se méprennent sur ce que j’écris.

Petit interlude.
Ce matin, donc, je commence la rédaction de ce délicieux billet que vous attendez toutes avec impatience. En même temps, j’écoute France Inter me débiter les mauvaises nouvelles qui tombent sur le Président de la République aussi drument que la pluie à chacune de ses sorties.
J’y apprends avec stupeur qu’on dit de lui qu’il n’aime pas les pauvres.
Ça, ça m’étonne parce que j’ai remarqué qu’il en fabrique à la pelle…
Je m’aperçois soudain que, contrairement à l’habitude j’ai un peu de mal à écrire en écoutant la radio.
Un peu inquiet, je dis à la lumière de mes jours, dont j’espère toujours un peu de réconfort et de compréhension :
- Dis donc, ma Mine, j’ai la cervelle en cafouillon, je n’arrive plus à écrire en écoutant la radio !
Elle m’a aussitôt rassuré d’un méprisant :
- Minou, tu as toujours eu la cervelle en cafouillon alors c’est pas ça…
Fin de l'interlude.

J’ai néanmoins éteint la radio pour continuer ce qui m’était venu à l’esprit en lisant les commentaires que vous, lectrices chéries, avez la gentillesse de laisser au bas de mes notes.
Bon pas toujours la gentillesse mais que voulez vous, on ne peut contenter tout le monde et sa mère, comme disait justement la mienne quand elle a vue Heure-Bleue enceinte…
C’est justement à propos d’Heure-Bleue que je voulais rétablir la réalité des faits.
Non Ckan ! Heure-Bleue n’est pas un couguar !
Si tu la connaissais, tu verrais tout de suite que c’est une panthère.
Cela dit, l’idée d’une Heure-Bleue couguar n’a pas que des inconvénients.
J’aurais adoré.

Non pas les années que ça lui eût alors ajouté mais, égoïstement j’en conviens, les années qui m’eussent été retirées.
Néanmoins, Ckan, je suis ravi à l’idée des années que tu nous as d’office retirées en te lançant dans des supputations quant à nos âges respectifs.
Si c’est l’image que nous donnons à voir dans nos écrits, c’est au moins la preuve que si nous vieillissons, nous ne devenons pas vieux…

jeudi, 04 septembre 2014

L’amante religieuse.

Je lis distraitement la note écrite avant-hier par la lumière de mes jours et soudain me frappe cette superbe phrase qui fait mentir le cardinal de Retz :
« Le Goût continuait à grandir tranquillement pendant que mon ventre s'arrondissait... »

Et c’est là que je constate une fois de plus un goût marqué pour l’ambigüité. Le Cardinal de Retz ne connaissait manifestement pas Heure-Bleue sinon il n’aurait pas prétendu à tort qu’on en sort qu’à son détriment.
Il avait tort ! La lumière de mes jours montre avec brio que rester dans l’ambigüité peut être à son détriment…
Dis moi, mon ange, as-tu un instant songé à ce que peut penser quelqu’un à l’esprit mal tourné ?
Quelqu’un comme ton mari par exemple ?
Quelle image peut donc lui venir à l’esprit  en lisant ce « Le Goût continuait à grandir tranquillement pendant que mon ventre s'arrondissait... »
Hmmm ? Y as-tu pensé ?