lundi, 15 mai 2023
Devoir de Lakevio du Goût No161
J’ai quelquefois proposé une toile de Marc Chalme à votre inspiration.
En voici une autre, habillée d’une obsession du peintre.
Cette bille monstrueuse qui flotte sur nombre de ses toiles.
Qu’auriez vous dit de cette toile ?
De cette obsession ?
Ici, c’est une autre obsession qui l’accompagne.
Ce crépuscule qui est si souvent présent dans ses toiles.
Alors ?
À lundi ?
C’est cette boule, là…
Que faisait-elle là ?
Tranquillement assis dans le café, le dos contre le dossier de moleskine, je regardais la place devenir peu à peu fantomatique dans la lumière crépusculaire.
Et cette boule est apparue.
Vraiment apparue !
Je n’avais pas un instant tourné le regard, je regardais la place et la boule fut soudain là.
Cette sphère dont je craignais qu’elle représentât un sacré sac de nœuds…
D’ailleurs, comment faisait-elle pour flotter ainsi, soutenue seulement par la lumière triste du réverbère ?
Je serais bien sorti pour la regarder de près mais, je dois l’avouer, j’avais un peu peur de m’approcher de ce défi à la loi de la pesanteur.
Je n’aime pas voir les lois de la physiques bafouées par un élément inconnu aussi simple et élégant qu’une sphère…
Même si la lumière s’y reflétait de façon un peu bizarre, cette boule d’aspect vaguement métallique m’attirait.
J’ai fait signe au bistrotier.
Il est venu m’apporter d’un pas lourd mon septième pastis de la soirée.
Le l’ai remercié et lui ai dit :
- Regarde par la vitrine.
- Ouais, et alors ?
- Qu’est-ce qu’elle fait là, cette boule, là près du réverbère ?
- Quelle boule ?
- Ben là, au pied du réverbère…
- Tu devrais lever le pied sur le pastis, sinon tu vas perdre la boule…
09:05 | Commentaires (20)
dimanche, 14 mai 2023
Devoir de mémoire...
D’abord remercier Adrienne qui réussit si souvent à accrocher par inadvertance un fil qui dépassait à peine et sur lequel je tire.
La note d’Adrienne aujourd’hui m’a ramené brutalement à la dure réalité des choses.
J’allais écrire « la dure réalité de la vie » quand soudain c’est surtout le fait qu’elle est brève et s’enfuit de façon impromptue qui est important.
Léontine donc…
Léontine était cette vieille dame née au mois d’avril 1925 et qui avait un goût marqué pour les escales au café car elle aimait beaucoup « traîner » dans les rues.
Elle aimait beaucoup aussi les tartes fines qu’elle faisait à merveille et qu’elle partageait avec nous et arrosait « d’une petite coupette ».
Bon, les « coupettes » étaient certes petites mais nombreuses et nous sommes parfois revenus à la maison d’un pas trop lent pour être normal et en la laissant avec un sévère « coup dans le nez »…
Léontine est morte en 2020.
Et ce n’est pas le Covid qui l’a emportée, elle était trop solide pour se laisser avoir par un virus, fut-il chinois.
Léontine est morte parce qu’on a voulu lui sauver la vie…
On a défendu à sa fille et les amies qui lui restaient de la voir.
Alors elle s’est laissé mourir.
La solitude l’a tuée plus sûrement que n’importe quelle affection.
Ce matin déjà, Heure-Bleue et moi qui avons parfois au réveil des conversations étranges, nous faisions la remarque qu’à partir d’un certain âge, nous étions plus accompagnés par nos morts que par nos vivants.
Nous avons commencé à battre le rappel ce ceux qui nous avions connus.
C’est là que je me suis aperçu que trois des jeunes filles que j’ai connues étaient mortes, certaines assez tôt.
Deux copains aussi sont allés se faire poser des fleurs sur le ventre.
Un autre, que j’ai connu en 1973 et qui m’a téléphoné l’an dernier ne donne aucun signe de vie.
Ses trois numéros de téléphone restent désespérément muets.
Un copain de lycée, celui qui m’a amené à « La Casita » en 1966, est lui aussi parti demander à Adonaï si par hasard il avait « une bonne signature ».
Je ne sais pourquoi c’est le mois de mai qui, chez moi ravive ces souvenirs…
Quelque chose qui me fait penser que la mémoire est comme une bibliothèque.
À la naissance, bien que pleine d’étagères, elle est vide.
Presque vide.
Sur une étagère du bas il n’y a qu’un micro-dictionnaire.
« Ouiinn », « Maman », « Papa »
Il y a aussi un mini-Bescherelle.
« Manger », « Dormir », « Toucher », « Entendre », « Sentir », « Voir ».
La bibliothèque se remplit chaque jour.
Pendant longtemps, elle est bien rangée.
Hélas comme toutes les bibliothèques de grands lecteurs, le bordel s’y installe.
Les années passent, les rayonnages se remplissent.
Puis, quand il n’y a plus de place sur les étagères, « on fait des piles ».
Les piles se multiplient avec les années.
Plus il y a d’années, plus il y a de tas informes à côté des piles.
Vient un moment où on a besoin d’une information dont on sait qu’elle est là, cachée au milieu du balagan.
Mais où ?
Tant que c’était rangé sur les étagères, ça allait.
Quand c’est dans les piles, ça va encore, suffit de trouver la pile.
Alors on fouine, on sait que ce n’est pas sur les étagères mais dans les piles.
Peut-être même dans les tas qu’on se met alors à fouiller.
Assez drôlement, on tombe sur un souvenir en cherchant dans un tas et, par je ne sais quel miracle il y a « une table des matières du tas » bien pratique qui permet de retrouver le déroulement de moments de vie…
Aujourd’hui, j’ai fait écrouler un tas par inadvertance.
En me penchant pour le relever, mon regard est passé sur une étagère.
J’ai vu un souvenir compressé et sur les pages collées par les ans, je ne peux lire que « rue Turgot »…
Un jour ça va sécher, il s’ouvrira et je saurai…
11:26 | Commentaires (9)
vendredi, 12 mai 2023
161ème Devoir de Lakevio du Goût
J’ai quelquefois proposé une toile de Marc Chalme à votre inspiration.
En voici une autre, habillée d’une obsession du peintre.
Cette bille monstrueuse qui flotte sur nombre de ses toiles.
Qu’auriez vous dit de cette toile ?
De cette obsession ?
Ici, c’est une autre obsession qui l’accompagne.
Ce crépuscule qui est si souvent présent dans ses toiles.
Alors ?
À lundi ?
08:34 | Commentaires (5)
mardi, 09 mai 2023
Manque de peau
Je vais vous parler de peau.
De manque de peau…
J’y pensais en me rasant ce matin.
Je vais tenter de vous en parler sans vous raser…
Il y a quoi, à peine deux siècles, je tendis sur le conseil de mon père, une joue duveteuse vers lui qui tenait un rasoir.
L’engin en trois pièces.
Un manche de laiton chromé « taraudé « M3 » à un bout.
Une pièce moulée qui s’emboîtait sur ce manche et une autre chapeautant les deux précédentes, équipée d’une tige « filetée M3 » qui permettait d’y poser une « lame Gillette ».
On vissait le manche et hop !
On disposait alors d’un engin propre à défigurer n’importe quel gamin pour peu que l’outil ait déjà servi de façon subreptice à raser des jambes de jeunes filles qui n’en avaient aucun besoin.
Le père de votre serviteur réveillait parfois la maison en pestant.
Quand il faisait sa toilette, il aimait bien l’idée de « s’embeausir » en se rasant.
Las…
Il arrivait trop souvent que la lame qu’il pensait neuve car mise la veille dans l’outil idoine ait servi dans la journée à « raser à sec » des jambes nues mais le rasoir servait parfois à des tests étranges comme le rasage de velours de coussin ou, si le chat ne se méfiait pas, à tenter la transformation du « gouttière » en « chat égyptien ».
Ça ne marchait jamais, heureusement pour le chat mais malheureusement pour le rasoir qui laissait le fil de sa lame dans la bagarre…
Je tendis donc à mon père cette joue duveteuse qui n’avait guère connu que les baisers de la famille et quelques horions scolaires.
Il sourit et la rendit telle une des fesses que j’avais quelque quatorze ans plus tôt.
Je vous parle de ça aujourd’hui car, maintenant que je me rase seul chaque matin, je vois, que dis-je, je ressens les différences qui s’entassent à chaque rasage.
Chaque rasage… Chaque année plutôt !
J’ai constaté il y a quelques années que ma peau, si douce et si souple il y a quelques… Bref, ne parlons pas de siècles…
Cette peau, donc, passa de peau souple à peau molle.
Le temps passant, le passage de la lame fit entendre quasiment un ricanement.
La peau de ma joue et celle de mon menton passèrent de peau molle à peau flasque.
Ce matin, ce fut l’effondrement.
Je me suis coupé ! Oui, coupé !
Des décennies d’entraînement n’ont servi à rien !
Moi qui me pensais adroit, du moins pour le rasage, n’allez pas penser à des trucs genre autre chose, je dus constater que je ne l’étais pas.
Ma peau, le miroir en témoigne, est passée de peau flasque à peau flétrie !
À moins que ce ne soient les restes de l’épuisement des six jours passés avec Merveille et P’tite Sœur.
Penser que des vacances avec des filles de ces âges pouvait être reposant…
Non mais quelle andouille, ce Goût…
14:22 | Commentaires (22)
lundi, 01 mai 2023
Fête du Travail.
Aujourd’hui, c’est le 1er Mai.
Donc, je n’écrirai pas parce que le 1er Mai, on ne fait rien.
Puis je me suis rendu compte que je n’écrivais que quand j’ai envie ou que quelque chose m’a frappé que je tenais à vous raconter.
Aujourd’hui, je n’ai rien a dire.
Comme souvent et je ne sais toujours pas comment m’y prendre pour vous dire que je n’écris pas parce que je n’ai rien à dire.
Pas la peine de me hurler « Alors tais-toi ! »
Je vais me taire, d’ailleurs, moi, quand on me dit de me taire, je me tais, c’est pas la peine d’insister.
Eh bien, c’est justement le 1er Mai qui me rappelle un type de la boîte, ce que l’on appelait « un tireur de câble ».
N'y voyez pas un signe de mépris, c’est grâce à ces gens que la boîte gagnait de l’argent et à cause de présidents de banque recyclés dans l’industrie qu’elle a périclité.
Pour en revenir à ce « tireur de câble », il avait l’habitude de travailler seul et commentait chacune de ses actions, histoire d’être sûr qu’il les menait à bien.
Un jour, il fut convié de façon impromptue à une réunion portant sur l’avancement du projet en cours.
Comme toujours, si le « hardware » coûtait cher, le « software », de corrections en modifications, n’était pas gratuit et, après des matinées perdues dans les réunions, j’en étais arrivé à la conclusion que ce qui coûte le plus cher dans les grandes boîtes reste le « bavardware ».
Ce « tireur de câble » donc, arriva et, à chaque phrase dite, abondait dans le sens de l’orateur du moment.
Dans le style « Oui, absolument, d’ailleurs moi-même si… etc. »
Au point qu’au cours d’une démonstration à laquelle ce garçon, n’y ayant rien compris, ajouta un grain de sel malvenu, se vit intimer l’ordre de « la fermer ».
Il commença alors, de la façon dont j’ai commencé cette note, « Oh moi ! Si on me dit de me taire, faut pas me le dire deux fois ! On me dit de ma taire je me tais ! Vous n’êtes pas près de m’entendre à partir de maintenant mais vous verrez ! Vous pourrez me le demander à genoux ! Vous n’entendrez pas un mot sortir de ma bouche ! Et pourtant dieu sait que des fois, hein … Alors… »
Il était parti comme cela pour au moins dix minutes, je le savais, je le connaissais et je commençais à rire intérieurement.
Celui qui exposait, dont je savais qu’à défaut d’avoir du caractère, il avait mauvais caractère, ne tint pas la distance.
Il hurla « Mais ta gueuuuuleeee ! »
Lui et le « tireur de câble » furent les seuls à ne pas rire.
Je fus quant à moi ravi de voir la fin soudaine de la énième réunion dont, comme d’habitude, il ne sortirait rien d’autre que la date de la prochaine réunion…
10:09 | Commentaires (6)