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lundi, 18 février 2013

Toujours l'impatience à l'amour est mêlée.

Lectrices chéries, mes amours, du moins les plus pressées d’entre vous.
Vous qui souhaitez entrer rapidement « dans le vif du sujet », méditez sagement ce vers de Corneille.
Avez-vous remarqué quelques détails qui m’empêchent de répondre à votre hâte avec la diligence qui sied à l'esclave bien dressé ?
Avez-vous vu que vous êtes en train de lire l’histoire de deux jeunes gens qui ont dix-sept ans en l’an de grâce 1966 ?
Vous rappelez-vous qu’à ce stade de l’histoire, ils ne se connaissent que depuis trois jours ?
Avez-vous remarqué aussi que l’une est réservée car ne sachant pas à quoi s’attendre, tandis que l’autre est prudent, ne pouvant compter sur l’œil de velours de Rudolf Valentino, et que les deux sont finalement assez timides ?
Rappelez-vous qu’en 1966, et Emilia-Celina ne me contredira pas, un garçon « bien élevé », contrairement au « voyou de la Porte de Clignancourt » ne se jette pas voracement le jour même et pas plus le lendemain, sur une jeune fille, « bien élevée » elle aussi, pour lui plaquer un baiser genre « The End » comme fait le héros à la fille du sherif à la fin du film en technicolor.
Ouaip ! En 1966, on ne disait pas « rouler un patin » –sauf peut-être dans les romans de San-Antonio, car ce commissaire était un grand rouleur de patins-, ni « rouler une galoche » et encore moins « rouler une pelle », sauf peut-être « les voyous de la Porte de Clignancourt ».
De plus, les lectrices chéries qui me connaissent savent que si elles croisent Apollon et votre serviteur dans le même couloir au même instant, il y a peu de chances qu’on les prenne pour des jumeaux monozygotes.
Donc, vous êtes bien obligées, lectrices chéries d’attendre que les évènements se produisent.
Au mieux, vous pourriez supputer leur déroulement.
Mais vous êtes obligées d’attendre pour savoir si vous aviez raison…

 

dimanche, 17 février 2013

Vous devant qui je brûle et tremble.

Après avoir vu le Grand Bourdon –et entendu quelques cloches…-, nous redescendîmes et arrivâmes sur le parvis.
Parvis beaucoup plus petit en 1966 qu’aujourd’hui car la rue d’Arcole arrivait alors jusqu’au pont au Double.
Nous avions à l’esprit d’aller jusqu’au pont d’Arcole, la place de l’Hôtel de Ville, qui était encore ouverte à la circulation, la République et remonter les grands boulevards jusqu’à la rue d’Hauteville.
Nous marchions lentement et plus nous approchions de chez elle, plus nous marchions lentement.
Arrivés à Strasbourg-Saint-Denis, je crois, si nous avions marché plus lentement, que nous eussions reculé.
Nous ne parlions presque plus. Arrivés devant le café à l’angle de l’impasse Bonne-Nouvelle et du boulevard Bonne-Nouvelle, je lui proposai un café qu’elle accepta avec reconnaissance.
- Anne-Marie, je ne crois pas pouvoir vous voir demain car nous serons samedi et je dois attendre mes parents qui reviennent pour le week-end.
Je vis, avec un certain plaisir je dois dire car une bonne vengeance doit être mesquine, son visage se défaire et prendre un air déçu.
- Mais alors, pourquoi avoir voulu que je reste ce week-end ?
- Pour voir ce que ça vous ferait…
Elle eut l’air scandalisé, puis rit quand j’ajoutai « mais si vous voulez, je viendrai quand même vers quinze heures ».
Elle s'avisa d'un coup que « Dimanche, je serai donc toute seule… »
Il me vint des pensées inavouables.
Ça fait ça aux jeunes gens quand ils ont été privés de camarade à câliner pendant quelque temps…
Ce n’était pas l’absence de flirt, non, il est assez aisé de conter fleurette et d’arriver à nouer des relations, dérober quelques baisers et se permettre quelques privautés.
Privautés limitées toutefois car même les moins prudentes n’abandonnaient leurs habits que si elles étaient profondément amoureuses. Mais là, ça ne comptait pas, emportées, elles s’en apercevaient à peine. D’ailleurs, avec un sens aigu de la litote, elles disaient à ce propos « perdre la tête ». Pour mon édification, j’eus l’occasion de vérifier qu'il ne s'agissait pas de ça du tout…
Au moins, avec une histoire qui commence mal, on n’est pas embêté, d’abord ça cesse rapidement ; en plus le risque est nul car, à aucun moment, le chagrin d’amour ne se profile, on n’a pas le temps, on est jeté tout de suite.
Bref, la « veste simple ».
L’alea auquel le garçon des « sixties » est parfaitement habitué.
Et puis on dira ce qu’on veut, mais le câlin maternel par exemple, même quand on vient de se faire plaquer, ça ne vaut pas la promesse d’un câlin avec quelqu’un dont on connaît tout juste le prénom. Je soupçonne d’ailleurs depuis longtemps ma mère d’avoir été plus ravie que peinée de mes chagrins d’amour…
Néanmoins, il ne me fallait pas me laisser emporter par mes envies, ne pas me jeter sur cette fille comme la misère sur le monde !
Surtout si j’avais envie de la revoir.
Plus encore si j’espérais un jour faire ce que j’avais envie de faire.
L’enlacer, l’embrasser, l’enlever, tout ça quoi...
La précipitation allait l’effrayer ou pire, l’agacer.
Et l’agacer, ça c’était mortel. C’était le truc parfait pour transformer d’un coup de baguette maléfique l’objet de son affection en objet de son affliction.
Un coup à être lâché net dans le milieu de la rue et la voir s’enfuir en direction du métro.
On ne s’en rend pas compte toute suite mais les filles sont terriblement cruelles. D’ailleurs dans ma prochaine vie, au lieu de faire mort, je ferai Tirésias.
Je serai un coup fille, un coup garçon, histoire de passer du camp des torturés dans celui des tortionnaires de temps en temps…

 

samedi, 16 février 2013

Le rêve dont on sent l'aile qui nous effleure !

C’était bien beau tout ça, mais maintenant que nous avancions la rue Lafayette, il fallait trouver une idée pour demain.
Je lançai « Parc, musée, monument ou église ? »
- Je monterais bien en haut des tours de Notre-Dame, pas vous ?
Je me gardai bien de dire qu’avec elle je monterais en haut de l’Everest à cloche-pied et biaisai avant de lâcher une question qui se retournerait probablement contre moi.
- Et vos parents ? Ils seront d’accord ?
Elle rougit – mon dieu qu’elle était belle, comme ça- et avoua « En fait je ne suis pas obligée d’accompagner mes parents, je voulais juste voir ce que ça vous ferait… »
Je ne dis rien, me contentant d’admirer comme la gêne lui allait bien au teint…
Je lui jetai un regard genre « C’est pas beau du tout, je n’ai jamais raconté de carabistouilles de ma vie, moi »   Elle souffla « vous m’en voulez ? » et c’est là que j’aurais dû en profiter.
Pour une fois que j’avais un avantage moral, je n’osai même pas en faire usage, non mais quelle andouille !
Le plus hypocritement du monde je poussai un soupir à fendre l’âme d’un usurier et me tus. Au bout de quelques instants, je lui dis « Terriblement ! » d'un ton triste puis, gaîment « Treize heures en bas de chez vous ? »
Soulagés et bête comme on l’est à cet âge, notre pas est devenu plus vif.
Comme si demain allait venir plus vite si nous hâtions le pas !
Oui, l’évasion de jugeote frappe souvent les adolescents en manque de contact.
Nous papotions légèrement, détendus maintenant que nous savions nous voir le lendemain.
Arrivés à l’angle de la rue Lafayette et de la rue d’Hauteville, il était près de sept heures.
Cette fois-ci, elle me tendit sa joue sans hésitation et j’ai failli tomber à la renverse quand elle me posa un baiser sur chaque joue.
Je n’avais plus qu’à rentrer à la maison et rêver en attendant demain.
Vous avez déjà essayé, lectrices chéries de la génération « tout le monde a une  salle de bain », de vous laver les cheveux seules dans un logement dépourvu de salle de bain et de chauffe-eau ?
C’est infernal, il faut faire chauffer de l’eau, préparer une bassine d’eau qu’on croit tiède parce qu’on y a plongé une main et une casserole comme engin verseur, se mettre du shampooing sur la tête, se débrouiller les yeux fermés, s’ébouillanter parce que les doigts c’est pas top pour la température, puis se rincer, à l’eau froide bien sûr, et attraper une serviette pour s’essuyer.
C’est l’enfer…
Enfin, briqué comme un sou neuf, je mis mon Newman bleu-marine, une chemise blanche, jetai mon pull gris sur mes épaules et faillis partir.
J’avais oublié un détail affreux ! Rendre leur éclat à mes mocassins !
Je reposai le pull puis un souvenir récent m’incita à la prudence, aussi je retirai ma chemise.
Oui, déjà pas très discret sur un Newman vert,  imaginez du cirage rouge sur une chemise blanche… Surtout qu’à coup sûr, je ne m’en rendrais compte qu’une fois devant elle.
Pire, elle s’en rendrait compte la première.
Impeccable maintenant, je partis. Je n’avais même pas oublié les clefs à l’intérieur.
Alors que j’avais pris le métro et étais arrivé avec quelques minutes d’avance, elle m’attendait déjà, vêtue d’une mini-jupe bleu-marine et d’un chemisier blanc. Une vraie « petite fille modèle » avec ses mocassins rouges à pompons. Si je m’étais écouté, je l’aurais étreinte et embrassée mais je me contentai d’attendre.
Elle me sourit, je fondis.
Elle me tendit sa joue, je résistai à l’envie de croquer dedans.
Elle embrassa la mienne et prit mon bras.
Nous partîmes pour Notre-Dame d’un pas alerte.
Il n’y avait pas, en 1966, la foule monstrueuse qu’on y voit aujourd’hui, Notre-Dame était noire de crasse et attirait, encore pour quelques années, plus les fidèles que les curieux.
Nous prîmes nos tickets pour monter en haut des tours. Les millions de marches à monter n’effrayaient ni nos mollets –qu’elle avait fort jolis- ni nos éponges –qu’elle avait fort joliment habillées-.
Avec le mauvais esprit que vous me connaissez, je me suis dit, en la suivant, que si les règles de savoir-vivre exigent des hommes qu’ils soient devant les femmes lorsqu’elles descendent les escaliers, ce n’était certainement pas ce souci de leur sécurité qui leur commande d’être derrière elles lorsqu’elles les montent…
Mon éducation transforma donc cette montée en un voyage enchanteur.
Je compris aussi l’utilité réelle des rampes d’escalier. Ce fil d’Ariane évite de se vautrer quand l’attention est trop fortement attirée par autre chose que les degrés…
Le vent était assez fort en haut des tours et il y faisait plutôt frais, aussi quand je la vis s’étreindre et frissonner, en garçon bien élevé, je lui couvris les épaules de mon pull.
Elle me remercia d’un sourire, me prit le bras et se serra un peu contre mon flanc.
Par un mystérieux système de vases communicants, les degrés Celsius qui lui faisaient défaut me causaient quelque fièvre…

vendredi, 15 février 2013

La double inconstance

Hier, lectrices chéries, c’était Saint Valentin, la fête des fleuristes la fête des amoureux.
La radio nous saoulait de tous ses petits haut-parleurs avec ces histoires desquelles il ressortait surtout que la passion était dangereuse selon certains psys et l’amour un marché juteux pour les patrons de sites de rencontre.
Heure-Bleue a pris un ton martial pour annoncer à son Goût chéri « pas question de te faire escroquer par la fleuriste ! Pas de fleurs ! On va encore te refiler des rogatons ! Cette fête est stupide ! Uniquement commerciale ! ».
Comme j’avais oublié cette coutume bizarre qui veut qu’on offre des fleurs à date fixe, ça m’a arrangé.
Puis je suis allé au Monop’ chercher des poireaux –non, Heure-Bleue n’est pas enceinte, elle traverse juste une période « poireaux vinaigrette »- et quelques petites choses.
En revenant, j’ai évidemment eu droit à « tu ne m’as pas rapporté de fleurs !!!!??? »
- Tu ne m’avais pas dit, avant que je ne parte « Pas de fleurs ! » ?
Avec sa logique toute personnelle et très particulière, Heure-Bleue m’assène « je t’ai dit « fleurs » mais tu aurais pu prendre des fleurs au Monop’ ! » puis, s’avisant de quelque chose de bizarre, ajoute « Ou un livre ! »
Que voulez-vous répondre à ça ?
Question subsidiaire: Vous êtes toutes comme ça, lectrices chéries ?

 

jeudi, 14 février 2013

Et souviens-toi que je t’attends.

Elle n’abusa pas de sa supériorité du moment et se contenta de demander « Où habitez-vous ? Dans quel quartier ? Paris est vaste… »
Je n’osais pas lui dire que j’habitais dans un quartier de voyous, dans un immeuble qui ressemblait à un bâtiment rescapé de la bataille de Stalingrad, je lui répondis néanmoins.
 - Du côté de la Porte de Clignancourt, ma mère a été longtemps effrayée à l’idée que le quartier déteigne sur nous.
- C’est si terrible ?
- Ça dépend… Vous parlez de ma mère ou du quartier ?
Elle était décidément très gentille car elle rit de bon cœur…
Puis nous sommes allés jusqu’à l’allée centrale, demander l’heure à quelqu’un qui avait une montre.
Que le temps passait vite ! Il y avait dix secondes à peine que nous nous étions retrouvés devant la Victoire de Samothrace et il était déjà près de six heures.
Nous décidâmes de rentrer à pied, nous parlions peu.
Le prétexte que je lui avais donné pour la revoir, quoique totalement sincère, ne marcherait probablement pas deux fois.
 En plus j’étais un peu désarmé car habituellement, dans mes relations avec les filles, j’écoutais et étais assez attentif pour attirer leurs confidences. Là, c’était l’inverse, c’est elle qui me poussait à la confidence…
Tandis que nous cheminions, elle accentuait la pression sur mon bras de temps en temps. Histoire de me réveiller ? De s’assurer que j’étais avec elle ? Qu’elle ne traînait pas un ectoplasme ?
Je ne sais pas, je ne savais pas interpréter ses envies.
C’est quand nous sommes arrivés au bout du boulevard Haussmann, là où commence la rue Lafayette, que je sus que le choix de la posture allait être déterminant.
Je lui demandai « Et demain ? Que faites-vous ? »
Elle se contenta de me poignarder d’un « Je ne suis pas là, je suis invitée à la campagne. » qui m’évita de choisir entre allure dégagée et indifférence étudiée.
Je devais avoir l’air du type qu’on vient d’envoyer aux galères pour un crime qu’il n’a pas commis car elle ajouta « J’y vais avec mes parents. Vous pourrez tenir jusqu’à la semaine prochaine ? ».
Là, pris d’un doute, je demandai « Et vous ? »
Elle sourit avec indulgence « Ce sera très dur mais je pense survivre ».
Nous avions encore, à cette allure –à croire qu’on s’entraînait pour devenir sénateur-, plus d’une demi-heure de marche.
Au bout de longues minutes,  après avoir lu à la volée une affiche sur un mur –si c’est embêtant d’avoir un œil percé, il est appréciable d’avoir l’autre œil perçant- je lui demandai « vous aimez la musique ? »
Elle m’assura que oui.
- Mozart au kiosque du Luxembourg, mardi prochain, ça vous dirait ?
- Qu’est-ce qu’on donne ?
- Son concerto pour clarinette.
- Comment vous savez ça ?
- Je l’ai lu il y a trois minutes sur une affiche…
Elle me regarda avec intérêt.
- Vous m’attendrez en bas de chez moi, mardi prochain ?
- Bien sûr, « J’attendrai l’hiver pour tomber »…
Elle eut dans le regard une lueur amusée « Vous avez toujours un vers approprié à citer ? Hier soir, si je vous avais hier soir demandé si, plutôt que Rimbaud, vous aimiez Baudelaire, que m’auriez vous dit ? »
- Hier soir, m’aurait échappé
« Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères,
  Des divans profonds comme des tombeaux »
et, comme hier soir, je me serais mordu la langue aussitôt après.
Elle me jeta un regard surpris et continua
« Et d’étranges fleurs sur des étagères
   Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux » et, après un silence, prenant un air méfiant ajouta,
- Vous connaissez aussi celui-là ?
- Vous le connaissez bien, vous !
- Dites moi, la poésie, vous l’aimez vraiment ou c’est juste pour draguer les filles ?
- Eh ! C’est vous qui avez commencé avec Rimbaud, mais oui, j’aime la poésie. Et la musique.
Elle dit doucement en me serrant le bras « je ne sais pas si je vais aller à la campagne avec mes parents », puis ajouta « malgré tout je suis sûre que c’est pour draguer ».
- C’est ça, je vais lire et retenir des poèmes rien pour aller dans une boîte et prier pour croiser une fille qui aime Baudelaire… En plus, pour la mettre à l’aise, je commencerai par « La mort des amants », pfff…  Et vous, vous aimez vraiment la poésie ?
- Bien sûr, mais à part la lire et la retenir, je n’ai jamais pu en parler en dehors du lycée, et seulement en cours.
- Allons, ne me dites pas que vous n’avez croisé que des garçons obnubilés par les westerns et des filles obnubilées par Sissi !
- Oh non ! Mais aucun ne m’a parlé de poésie, et encore moins aidé à dire Ophélie…
Elle s’arrêta, se tourna vers moi « Finalement je n’irai pas avec mes parents, vous avez une idée pour demain ? »
Encore une fois, elle m’avait bien eu…