jeudi, 21 février 2013
Un petit baiser, comme une folle araignée, Te courra par le cou...
Non, ce détail affreux n’avait rien à voir avec des drames épouvantables comme le travail, la peau grêlée, la solitude ou pire, les cours d’Histoire. Non, c’était bien plus grave.
Et non, lectrices chéries qui ne pensez qu’à ça, il ne s’agissait pas de « ça ».
Je dois vous rappeler qu’en 1966, à part les bourrins qui se faisaient envoyer aux pelotes neuf fois sur dix, on ne « parlait pas de ça », « ça » arrivait, c’est tout, et seulement des fois, et le plus souvent « ça » n'arrivait pas…
Bon, revenons à notre histoire.
En effet, dans notre programme dominical, il n’y avait pas que l’échange de bisous, il y avait aussi un déjeuner. Déjeuner que avions prévu dans un de ces petits restaurants, nombreux dans les rues avoisinant les grands boulevards.
Bien que nous nous soyons retrouvés assez tôt, nos nombreux arrêts firent que la matinée était bien avancée quand nous atteignîmes le boulevard de Bonne-Nouvelle.
Plus nous avancions, plus il apparaissait, malheureusement pour la capacité d’absorption phénoménale des estomacs adolescents, que tous les petits restaurants qui nourrissaient le travailleur parisien pendant la semaine étaient fermés le dimanche.
Les restaurants ouverts sur les boulevards étaient hors de notre portée. Tous affichaient des prix qui allaient d’inabordable à exorbitant. Malgré la chappe de désespoir qui s’abattit alors sur les épaules de votre serviteur et de sa camarade, nous tînmes bon.
Nous avons donc continué jusqu’à la rue Montmartre que nous avons descendue jusqu’aux Halles.
Je voyais venir le moment où, tels « Carmen et La Hurlette », nous serions sur un banc à manger un paquet de gâteau « acheté chez un Arabe », un vrai repas de clochards.
Heureusement, pas très loin de l’Hôtel de Ville, un café du bas de la rue des Archives nous accueillit.
Enfin… Nous accueillit surtout d’un « non, non, non les enfants ! Là devant, il y a une table, pas la banquette là-bas ! »
Je tentai un « mais… Madame… » que j’eus à peine le temps de finir.
Elle continua, plus gentiment cette fois « je sais ce que c’est ! Vous allez vous mettre là-bas et vous bécoter jusqu’à pas d’heure ! Et moi, demain j’ouvre de bonne heure, alors je ferme tôt ! Qu’est-ce que vous voulez ? »
Je regardai Anne-Marie et lui dis « un sandwich ? », elle acquiesça, j’allai demander deux sandwiches quand la dame soupira et haussa les épaules.
« Un sandwich… J’vous demande un peu… A votre âge, ça mange…Vous ne voulez pas plutôt une omelette ? », elle sourit et ajouta « au jambon, pas aux oignons… » d’un air entendu.
Les dernières bouchées furent mangées froides parce que déjeuner les yeux dans les yeux nécessite un minimum de précautions qui ralentissent considérablement le rythme prandial.
Après deux cafés, « un normal et un serré s’il vous plaît madame » nous partîmes bras dessus bras dessous vers la Seine. Nous nous promenâmes sur le quai de l’Hôtel de Ville, jusqu’au quai Henri IV. C’était bien, il n’y avait pas encore la voie Georges Pompidou.
Nous revînmes vers l’Hôtel de Ville et remontâmes la rue du Temple. En ces temps reculés, la rue était totalement vide le dimanche, ce qui est bien pratique pour échanger des baisers sans être l’objet de la réprobation des bien-pensants.
Au bout d’un bon millier de mètres et d’environ trois cent mille bisous, nous nous arrêtâmes au square du Temple et nous assîmes. A part quelques rares « vieux » -autant dire des gens de plus de trente ans- le square était désert.
Nous étions assis sur un banc, les pieds sur une chaise –je sais, ça ne se fait pas mais nous étions si peu dans ce square…- et nous papotions car nos lèvres servaient parfois à parler quand elle me demanda « au fait, vous préférez « tu » ou « vous » ? »
- Je ne me suis pas posé la question, nous nous voussoyons depuis le début et je n’y ai rien vu de gênant ou de distant.
- Et maintenant ?
Je réfléchis un instant –ne ricanez pas, ça m’arrive quand même-.
- Je crois que je préfère « vous », c’est bien plus doux que « tu ».
- Ah bon ?
- Absolument, « je vous aime » est nettement plus doux que « je t’aime ».
Un silence profond s’installa. Au bout de plus sieurs secondes, elle demanda :
- C’est vrai ?
- Quoi donc ?
- Les deux.
- Que c’est plus doux ?
- « Je vous aime ».
- C’est vrai ?
- Oui.
- Depuis quand ?
- Le premier soir, quand j’ai trébuché sur « Ophélie », j’avais perdu le fil et vous m’avez soufflé
« C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux! »,
j’ai failli vous embrasser, et vous ?
- Le premier soir, sous le réverbère, quand vous m’avez dit « Vous avez trouvé un prétexte ? », vous étiez si belle, avec un tel regard, j’ai eu un mal fou à me retenir.
J’attirai sa tête contre ma poitrine et lui demandai de répéter.
Elle redit doucement « je vous aime » et affirma « c’est vrai, ça bat plus vite ».
Je lui demandai « et vous », elle écarta les pans de sa veste, un je ne sais quoi –enfin si, je sais- dans mon regard la fit s’écrier « ne touchez pas ! » puis elle attira ma tête contre elle. Son cœur battait vite.
- Redites moi « je vous aime … S’il vous plaît… Redites le…».
Je redis « je vous aime » et effectivement, son coeur eut un raté et accéléra mais je fus victime d’un brusque accès de tachycardie quand elle posa doucement sa main sur ma joue et me pressa contre sa poitrine plus longtemps que nécessaire.
C’est là qu’on s’est aperçu qu’on avait quand même plusieurs jours à rattraper…
Mon dieu qu’on est niais à cet âge.
09:24 | Commentaires (10)
mercredi, 20 février 2013
Avec ivresse et lente gourmandise
Le reste de la promenade fut agréable et beaucoup plus détendu que les jours précédents.
Nous flottions au dessus du macadam.
À vue de nez, je dirais environ à trente centimètres du sol…
A croire que chacun avait attendu de l’autre le geste qu’il n’osait lui-même.
Nous retournâmes d’un pas tranquille jusque chez « elle » et là, de nouveau, nous sentîmes empruntés.
Aucun d’entre nous n’osait réitérer de son propre chef cette si intéressante expérience.
Nous passâmes encore quelques minutes en bas, elle me tendit sa joue, je lui tendis la mienne.
Elle se dirigea vers la porte puis se retourna.
Tandis qu’elle me regardait je partis, j’entendis la porte de l’immeuble s’ouvrir.
Je me retournai puis revins sur mes pas, elle s’arrêta, nous repartîmes.
Nous fîmes quelques pas pour nous rapprocher puis je dis « à demain » et on recommença ce ballet plusieurs fois.
Nous nous étions peut-être transformés en douce en « Jokary ».
Mais si, vous savez bien, ce jeu où une balle est liée à son support par un élastique, de sorte que quelle que soit la force qui l’en a éloignée elle y revienne toujours …
Après nous être embrassés une fois de plus sur la joue, elle se dirigea enfin vers la porte tandis que j’attendais que la porte se referme.
Au bout de quelques pas, elle s’arrêta, se retourna vers moi et referma les yeux en disant doucement « vous ne voulez pas recommencer ? Pour être sûre… ».
Et je me demandai ce qu’une fille aussi jolie pouvait bien trouver à un garçon comme moi mais je m’exécutai.
Je n’avais aucune idée de ce que nous ferions dimanche mais ça n’avait plus aucune importance.
Tout ce que je savais, c’est que nous serions ensemble dès le matin car elle était seule et que nous déjeunerions dans un café.
Ce dimanche arriva trop lentement à mon gré, pourtant la soirée avec les parents avait été agréable et, pour une fois, le dîner consistait en « vraie cuisine », pas le sempiternel « pâtes-jambon » ou pommes de terre sautées-omelette. L’humour paternel, celui qui faisait bondir ma mère et lui donnait envie de lui donner des coups de poêle, faisait ses dégâts habituels. Cette fois, je faisais partie de ses cibles.
« Tu devrais y aller doucement, fiston, à force d’astiquer tes chaussures, on commence à voir tes chaussettes au travers… » ou « Fais quand même attention, un poteau est si vite arrivé quand on rêvasse en marchant. »
Ma mère, qui appréciait modérément l’humour paternel le supportait mieux quand il m’égratignait.
Surtout quand il moquait ma préparation à un rendez-vous galant.
Pour ma mère, qu’il s’agît d’un grand amour –pour elle d'ailleurs, aucun ne pouvait exister qui lui enlevât son fils- ou d’un flirt, j’avais droit à « tu vas encore retrouver cette fille ?! ».
Je me rappelle vous avoir dit que Freud s’est lamentablement planté, et que ce n’est pas le père qu’il faut tuer.
Je confirme.
Je quittai la maison joyeusement après avoir extorqué un supplément de plusieurs dizaines de francs à mon père qui n’était pas tenaillé, lui, par une envie furieuse de contrarier mes buts et savait bien l’importance du nerf de la guerre.
Et il savait combien les guerres de conquêtes sont dispendieuses…
Pour éviter d’empoussiérer mes chaussures, je pris le métro. J’attendis avec impatience le vacarme de ces rames vertes avec leur wagon rouge dans le milieu.
Vous souvenez-vous de ces plaques émaillées de couleur « blanc cassé » sur les flancs intérieurs des wagons ? Avec leur grecque tarabiscotée et difficile à suivre du doigt ? Ces merveilleuses créations de la société « Le Verre Etiré » faites exprès, j'en suis sûr, pour calmer l'impatience de ceux qui se rendaient à un rendez-vous.
Le dimanche, cette ligne était encombrée mais j’avais peu de stations à parcourir entre Simplon et Gare du Nord et ça m’éviterait une séance d’astiquage de mocassins poussiéreux.
Après avoir descendu la rue Lafayette, avant même d’avoir atteint la place Franz Liszt je la vis.
Hé hé… Cette fois c’est elle qui était en avance.
Nous nous commençâmes par échanger, alors que l’ai su plus tard, pas plus que moi elle ne songeait à ça, un baiser sur chaque joue.
Plus jeune, comme beaucoup de garçons, j’avais rêvé parfois vivre entouré de filles nues, livrées à ma curiosité sans limites et satisfaisant avec plaisir des caprices qui n’avaient rien à voir avec les bonbons.
Apparemment, la vie semblait un peu plus compliquée que ça…
Je fus même surpris à cette époque de constater que je n’avais pas qu’un zizi mais aussi un cœur et que l’un n’allait pas sans l’autre.
Ce qui ne va pas sans causer bien des problèmes, surtout dans ce monde plein de bellâtres blonds à deux yeux pour vous faire concurrence.
Nous avons commencé à remonter sa rue en direction des grands boulevards puis nous nous sommes regardés et nous avons « fait comme hier ».
Nous y avons pris goût et réitéré la chose avec assiduité.
Nous tentâmes même avec succès la « version The End » mais il n’était pas pour autant question d’amour, hein...
Elle fut éblouissante dans le rôle de la fille du shérif.
Je tins honorablement celui du héros qui gagne à la fin.
Au lieu de nous enlacer nous aurions mieux fait de réfléchir à un détail affreux.
Enfin, affreux pour des adolescents…
09:26 | Commentaires (9)
mardi, 19 février 2013
« Soulève ta paupière close ».
Notre café bu, la première gorgée chaude, la seconde tiède et la troisième froide nous reprîmes notre route, toujours lentement. Le temps fraîchissait avec la fin d’après-midi aussi je lui remis mon pull sur les épaules. Nous papotions de choses et d’autres, de nos goûts, de ce que nous ferions après nos études.
Elle ne semblait pas reprocher au petit vent frais de l’avoir fait frissonner au point d’occuper illégalement mon pull et se serrer contre mon côté.
Le chemin nous parut court, occupés que nous étions à nous écouter mutuellement. Arrivés au pied de son immeuble, nous eûmes un peu plus de mal à nous séparer que les jours précédents et nous serrâmes l’un contre l’autre plus affectueusement en nous embrassant sur les joues.
Le lendemain matin je ramassai le désordre raisonnable de la maison.
Ce n’était pas que je sois particulièrement ordonné mais je passais peu de temps à la maison où je ne faisais que lire, écouter la radio ou de la musique en dînant et dormir.
Si bien, qu’à part faire mon lit et faire la vaisselle du petit-déjeuner, je n’avais pas beaucoup d’efforts à faire pour rendre la maison présentable. J’allais donc éviter une mercuriale parentale, c’était déjà ça de pris.
De plus, je savais que mes parents allaient amener avec eux quelques victuailles –il était temps- et refinancer la semaine qui venait. Cette façon de faire me convenait parfaitement. Je mangeais « utile et économique » de façon à garder le plus de sous possible dans la poche car un « Vittel-menthe » et un diabolo-fraise en terrasse avec « elle » trouaient plus férocement mon budget qu’un repas à la maison, composé de deux œufs, de coquillettes et de pain.
Donc, les parents arrivés, les histoires de la semaine narrées, ma mère se montra un peu déçue de me voir partir si vite qu’elle me fit des adieux en cinémascope, comme si je partais aux Indes.
Mon père posa sa cigarette sur le bord de l’assiette pour m’embrasser.
Se fit engueuler par ma mère parce que « franchement ! Lemmy ! Les cendres dans les assiettes, ça ne se fait pas ! » et tous deux me libérèrent.
Mon père en me souhaitant un bon après-midi.
Ma mère en pestant « et tu vois encore « cette fille » demain !? »
Je redonnai un coup de brosse à mes chaussures sous un œil paternel goguenard.
A ce train, j’aurais usé le dessus de l’empeigne avant les semelles...
Et je partis joyeux vers ma probable gamelle.
Arrivé en bas de chez « elle », je commençai par faire, non pas « les cent pas » mais seulement « un cent pas » pour éviter de salir mes mocassins.
Ça m’apprendrait à être en avance. Elle arriva enfin.
Comme à chaque fois, j’eus le cœur qui accéléra lorsque j’embrassai sa joue.
Puis qui s’emballa lorsqu’elle me prit le bras et se serra.
Elle avait mis sa veste et elle avait bien fait car il y avait encore ce léger vent frais qui lui rosissait délicieusement les joues.
C’est en arrivant boulevard des Italiens, à la hauteur de la rue de Richelieu qu’il faillit arriver une catastrophe, « the » catastrophe. Une brusque saute de vent sortant de la rue de Richelieu lui arracha un « ssshhh ! ».
Elle se tourna vers moi, les yeux fermés une fine mèche de cheveux lui barrait le front.
Comme elle levait son visage moi et que je repoussai cette mèche de la main pour épargner ses yeux, ses paupières closes et l’éclat de ses dents à travers ses lèvres entrouvertes furent trop tentants.
La catastrophe se profilait, je la voyais venir. Et ce serait entièrement ma faute.
Il y a des moments où la meilleure éducation du monde ne peut vous retenir.
D’ailleurs elle n’y parvint pas…
Après avoir contemplé un bref, très bref, trop bref instant son visage, j’embrassai ces lèvres comme si elles m’avaient été offertes gracieusement par le sort.
Mais doucement quand même.
Ce ne fut pas un baiser de cinéma, non, un baiser léger, et je regrettai, trop tard bien sûr, mon impatience.
J’attendais une tarte.
Je n’ai pas reçu de gifle.
Il y a des jours comme ça.
« Je suis désolé, je n’ai pu résister. »
Elle rouvrit les yeux, me jeta un regard malicieux et me dit « Hon, hon… j’ai vu ça… », sourit et me reprit le bras. Comme s’il était à elle, cette fois-ci.
Sans le faire exprès, je venais de trouver une bonne raison de nous revoir dimanche.
Il n’empêche qu’une fois de plus, elle m’avait bien eu…
Non, Emilia-Celina, ce n’est pas pour te satisfaire, c’est simplement que c’est à ce moment que c’est arrivé.
Et je sais bien que ce n’est pas « le vif du sujet » mais il te faut attendre…
07:22 | Commentaires (12)
lundi, 18 février 2013
Toujours l'impatience à l'amour est mêlée.
Lectrices chéries, mes amours, du moins les plus pressées d’entre vous.
Vous qui souhaitez entrer rapidement « dans le vif du sujet », méditez sagement ce vers de Corneille.
Avez-vous remarqué quelques détails qui m’empêchent de répondre à votre hâte avec la diligence qui sied à l'esclave bien dressé ?
Avez-vous vu que vous êtes en train de lire l’histoire de deux jeunes gens qui ont dix-sept ans en l’an de grâce 1966 ?
Vous rappelez-vous qu’à ce stade de l’histoire, ils ne se connaissent que depuis trois jours ?
Avez-vous remarqué aussi que l’une est réservée car ne sachant pas à quoi s’attendre, tandis que l’autre est prudent, ne pouvant compter sur l’œil de velours de Rudolf Valentino, et que les deux sont finalement assez timides ?
Rappelez-vous qu’en 1966, et Emilia-Celina ne me contredira pas, un garçon « bien élevé », contrairement au « voyou de la Porte de Clignancourt » ne se jette pas voracement le jour même et pas plus le lendemain, sur une jeune fille, « bien élevée » elle aussi, pour lui plaquer un baiser genre « The End » comme fait le héros à la fille du sherif à la fin du film en technicolor.
Ouaip ! En 1966, on ne disait pas « rouler un patin » –sauf peut-être dans les romans de San-Antonio, car ce commissaire était un grand rouleur de patins-, ni « rouler une galoche » et encore moins « rouler une pelle », sauf peut-être « les voyous de la Porte de Clignancourt ».
De plus, les lectrices chéries qui me connaissent savent que si elles croisent Apollon et votre serviteur dans le même couloir au même instant, il y a peu de chances qu’on les prenne pour des jumeaux monozygotes.
Donc, vous êtes bien obligées, lectrices chéries d’attendre que les évènements se produisent.
Au mieux, vous pourriez supputer leur déroulement.
Mais vous êtes obligées d’attendre pour savoir si vous aviez raison…
07:39 | Commentaires (10)
dimanche, 17 février 2013
Vous devant qui je brûle et tremble.
Après avoir vu le Grand Bourdon –et entendu quelques cloches…-, nous redescendîmes et arrivâmes sur le parvis.
Parvis beaucoup plus petit en 1966 qu’aujourd’hui car la rue d’Arcole arrivait alors jusqu’au pont au Double.
Nous avions à l’esprit d’aller jusqu’au pont d’Arcole, la place de l’Hôtel de Ville, qui était encore ouverte à la circulation, la République et remonter les grands boulevards jusqu’à la rue d’Hauteville.
Nous marchions lentement et plus nous approchions de chez elle, plus nous marchions lentement.
Arrivés à Strasbourg-Saint-Denis, je crois, si nous avions marché plus lentement, que nous eussions reculé.
Nous ne parlions presque plus. Arrivés devant le café à l’angle de l’impasse Bonne-Nouvelle et du boulevard Bonne-Nouvelle, je lui proposai un café qu’elle accepta avec reconnaissance.
- Anne-Marie, je ne crois pas pouvoir vous voir demain car nous serons samedi et je dois attendre mes parents qui reviennent pour le week-end.
Je vis, avec un certain plaisir je dois dire car une bonne vengeance doit être mesquine, son visage se défaire et prendre un air déçu.
- Mais alors, pourquoi avoir voulu que je reste ce week-end ?
- Pour voir ce que ça vous ferait…
Elle eut l’air scandalisé, puis rit quand j’ajoutai « mais si vous voulez, je viendrai quand même vers quinze heures ».
Elle s'avisa d'un coup que « Dimanche, je serai donc toute seule… »
Il me vint des pensées inavouables.
Ça fait ça aux jeunes gens quand ils ont été privés de camarade à câliner pendant quelque temps…
Ce n’était pas l’absence de flirt, non, il est assez aisé de conter fleurette et d’arriver à nouer des relations, dérober quelques baisers et se permettre quelques privautés.
Privautés limitées toutefois car même les moins prudentes n’abandonnaient leurs habits que si elles étaient profondément amoureuses. Mais là, ça ne comptait pas, emportées, elles s’en apercevaient à peine. D’ailleurs, avec un sens aigu de la litote, elles disaient à ce propos « perdre la tête ». Pour mon édification, j’eus l’occasion de vérifier qu'il ne s'agissait pas de ça du tout…
Au moins, avec une histoire qui commence mal, on n’est pas embêté, d’abord ça cesse rapidement ; en plus le risque est nul car, à aucun moment, le chagrin d’amour ne se profile, on n’a pas le temps, on est jeté tout de suite.
Bref, la « veste simple ».
L’alea auquel le garçon des « sixties » est parfaitement habitué.
Et puis on dira ce qu’on veut, mais le câlin maternel par exemple, même quand on vient de se faire plaquer, ça ne vaut pas la promesse d’un câlin avec quelqu’un dont on connaît tout juste le prénom. Je soupçonne d’ailleurs depuis longtemps ma mère d’avoir été plus ravie que peinée de mes chagrins d’amour…
Néanmoins, il ne me fallait pas me laisser emporter par mes envies, ne pas me jeter sur cette fille comme la misère sur le monde !
Surtout si j’avais envie de la revoir.
Plus encore si j’espérais un jour faire ce que j’avais envie de faire.
L’enlacer, l’embrasser, l’enlever, tout ça quoi...
La précipitation allait l’effrayer ou pire, l’agacer.
Et l’agacer, ça c’était mortel. C’était le truc parfait pour transformer d’un coup de baguette maléfique l’objet de son affection en objet de son affliction.
Un coup à être lâché net dans le milieu de la rue et la voir s’enfuir en direction du métro.
On ne s’en rend pas compte toute suite mais les filles sont terriblement cruelles. D’ailleurs dans ma prochaine vie, au lieu de faire mort, je ferai Tirésias.
Je serai un coup fille, un coup garçon, histoire de passer du camp des torturés dans celui des tortionnaires de temps en temps…
08:30 | Commentaires (12)