lundi, 26 novembre 2012
Les désarrois de l’élève Le-Goût…
Heure-Bleue m’effraie parfois.
Chez elle l’Heure est Bleue mais en aucun cas exacte.
Son PC et sa montre prennent du retard à une vitesse jamais vue tandis que les miens restent obstinément d’accord avec l’Horloge Parlante…
Heure-Bleue, donc, entretient des rapports conflictuels avec la ponctualité.
A chaque rendez-vous à prendre, pas de problème, du moment que ce n’est pas le matin.
Entendez évidemment par « matin », quelque chose comme « pas avant quinze heures ».
C’est au moment de s’y rendre que les ennuis commencent et il arrive parfois qu’ils finissent en dispute.
Votre serviteur, lectrices chéries, est un homme ponctuel, pas en avance, non, ponctuel. Simplement ponctuel.
L’amour de sa vie est plutôt une « retardataire compulsive ».
« Ça fait une moyenne ! » me direz-vous.
Eh bien non, « ça ne fait pas une moyenne ». Voyez les stratagèmes et toutes les excuses avancées pour être « à la bourre ».
La « retardataire compulsive » avance toujours le bien connu « de toute façon il y aura du monde avant moi » ou le plus célèbre encore « Tu la connais, elle ne sera pas à l’heure ! ».
Quand sera venu le moment de ma fin, je l'enverrai chercher la mort.
Je devrais bien gagner un sursis de quelques années...
Je me demande ce qui se passe quand deux personnes systématiquement en retard ont rendez-vous l’une avec l’autre.
Chacune comptant sur le retard de l’autre…
Arriveront-elles à seulement se croiser ? Rien n’est moins sûr.
L’expérience m’a montré récemment, lors d’un rendez-vous entre ma plus jeune sœur, Heure-Bleue et moi qu’on peut obtenir des résultats extraordinaires.
Rendez-vous était fixé à treize heures au métro Porte de Champerret.
L’une, ma moitié, au moment de lever le camp, annonce « bon, il faut que je trouve mes chaussures et que j’aille faire pipi ! ».
Ce n’est que le début de la scène habituelle des départs.
« Minou, où as-tu mis mes ballerines ? » ose-t-elle avec un culot de commissaire politique, sachant très bien qu’elle ne se souvient plus de l’endroit où elle les semées en rentrant la veille.
Puis, très souvent suit, lors de la séquence pipi, « Minou ! Tu veux bien m’attraper un rouleau de papier ? Je suis assise et trop petite ! »
Ces habituelles demandes suivies rapidement par « Tu as déjà ta veste ? Mais tu me stresses à toujours courir comme ça ! On va finir par être en retard à cause de toi ! » termine-t-elle dans un sublime accès de mauvaise foi.
C’est pour ça que je l’aime.
Mais c’est aussi pour ça que nous n’avons pas d’armes à la maison, la possession d’un de revolver pourrait s’avérer fatale.
C’est surtout pour ça que quand j’entends « Minou » une vague d’angoisse me submerge…
La suite est à l’avenant, ma petite sœur qui a, comme Heure-Bleue, tendance à arriver essoufflée, une tonne d’excuses indéfendables en réserve, téléphone, une demi-heure après l’heure du rendez-vous pour dire « tu ne vas pas me croire ! Un éléphant s’est perdu sur les voies du métro et ils ont tout arrêté ! C’est dingue, hein ! Ça n’arrive jamais, eh bien c’est tombé sur moi ! » ment-elle effrontément.
Nous avons donc passé l'après midi sans « petite sœur chérie »...
Vous commencez, lectrices chéries, à saisir l’essence de l’existence du Goût-des-autres ?
Existence faite d’angoisse, d’attente, d’espoirs déçus.
Heureusement, il y a de bonnes nouvelles de temps à autre, Heure-Bleue est arrivée à l’heure chez le dermatologue.
Bon, comme c’était sérieux, elle m’avait suivi sans discuter à propos de l’horaire prévu…
09:24 | Commentaires (13)
samedi, 24 novembre 2012
Bande décimée…
Jeudi, jour béni des écoliers de ma génération, Heure-Bleue, une blogueuse qu’on aime et moi sommes allés voir l’expo « Les Bohèmes ».
Le rez-de-chaussée était consacré aux bohémiens.
C’est sans doute pour flatter leur goût d’être prêt à lever le camp qu’on à placé l’exposition, à eux consacrée, plus près de la sortie.
C’était très chouette, à quelques détails près.
Le pire détail étant la musique, choisie avec un goût qui va du pas terrible à l’épouvantable en passant par le « hors sujet ».
Leur histoire tourmentée nous était joliment contée.
La chanson s'était évidemment trompée...
Quand Dalida nous hurle « D’où viens-tu Gitan », pas question de répondre « Je viens de Bohème ». Aujourd’hui, il vient du métro ou du commissariat.
En revanche à « Où vas-tu Gitan », ça marche, il peut répondre sans sourciller « Je vais en Bohème », en avion en plus…
Le talent des peintres n’est plus à démontrer. Ils ont saisi l’image, certes, mais aussi l’âme bohémienne.
Clairvoyance entachée des préjugés habituels.
Si les peintres de l’époque revenaient aujourd’hui, aucun doute qu’ils nous feraient de magnifiques toiles, toiles montrant de jolies bohémiennes captant l’attention du benêt opulent tandis qu’une vieille bohémienne lui étoufferait son i-Phone…
J’ai remarqué aussi, en lisant les commentaires et explications fournies, que la route est droite, comme dirait Raffarin, et tous les chemins mènent au Rom.
Je n’ai pu qu’admirer la perspicacité de Confucius à propos de cette vieille histoire de lanterne et d’expérience.
Il semble en effet que les mêmes politiques soient appliquées, de Louis XIV à Manuel Valls.
C’est sans doute à cela que l’on reconnaît la « France terre d’accueil »…
Le second étage était, lui, consacré à « la bohème ».
J’ai été estourbi d’entrée par la kitschitude des décors.
Un misérabilisme surjoué qui a semé le doute dans mon esprit.
M’étais-je trompé d’expo ? Etais-je entré par mégarde dans une de ces associations qui veulent faire le bonheur des pauvres en leur montrant combien ils ont de la chance de vivre dans des galetas insalubres mais « so romantic » ?
Il semblait toutefois que le décorateur avait fait attention à ne pas choper des maladies en poussant trop loin la vraisemblance.
Le papier peint était déchiré avec un soin jaloux, histoire de laisser dans la mémoire du mécène le souvenir d’un « architecte d’intérieur » plein de talent et qu’on pouvait payer une somme rondelette sans regretter ses sous.
Cela mis à part, j’ai été ravi de constater que la rue du Chevalier de la Barre n’avait pratiquement pas changé entre l’an 1900 et mes années de lycée.
Je l’avais reconnue sur le champ.
Aujourd’hui il y a juste un peu plus de boutiques.
Les marchands se sont déplacés du Temple au Sacré-Cœur…
J’ai voulu voler le manuscrit de « Ma Bohème ». Pas moyen, malgré la fatigue évidente des gardiens –supporter la musique hors de propos pendant des heures doit être épuisant- ils semblaient avoir l’œil.
Pas vu le célèbre « Melancholia » de Verlaine. Béatrice A. avait dû faire du charme au commissaire pour en interdire l’exposition, servie par l’exemple d’un mari évaporé qui l’avait bien eue avec cette histoire de « qui m’aime et me comprend » mais qui, malheureusement n’était justement « ni tout à fait la même ni tout à fait une autre »…
Bref, votre scribe préféré, qui n’était pourtant pas allé là pour avoir quelque chose à vous raconter, a passé trois heures délicieuses, si délicieuses que, comme les dix-huit jours de Juliette Gréco, « finalement ça m’a semblé court »…
10:07 | Commentaires (8)
mercredi, 21 novembre 2012
Rêve parti…
Aujourd’hui, on a visite au Monop’, histoire que vérifier que les pauvres dont me parle Heure-Bleue ne vont pas gaspiller les sous de l’aide sociale en achetant du vin.
Nous voici donc au premier étage, celui du « schmattes », placé là pour éviter que les pulls en cachemire ne sentent le saucisson ou le pâté.
Ma douce moitié chérie –ces temps-ci, j’ai intérêt à être un peu faux-cul suite à l’édition de quelques notes sur ma jeunesse folle, Heure-Bleue n’est pas une mégère mais on ne peut pas dire non plus qu’elle soit apprivoisée…- me dit « Ah ! Il faut absolument que je t’achète des T-Shirts ».
- Pourquoi ça, ils sont très bien mes T-Shirts !
- Ils sont devenus gris et troués de partout !
- Et alors ? Sous la chemise, ça ne se voit pas !
- Et aussi parce que je viens encore de transformer un de tes T-Shirts en chiffon à poussière.
- Qu’est-ce qu’il avait ?
- Des trous sous les bras qui descendaient à mi-torse.
- Ouais mais ils sont vachement doux !
- Tu ne ressembles à rien avec ça !
- Tu veux simplement supprimer chez moi ce côté « bête sauvage » qui plaît tant aux femmes…
- Non, je veux surtout éviter de mourir de honte quand on ira chez le médecin…
Mais où est donc passé le bon vieux temps où l'épouse jurait « amour, fidélité et obéissance », surtout obéissance, à son seigneur et maître ?
Tout fout le camp...
06:52 | Commentaires (13)
mardi, 20 novembre 2012
L’os de sèche...
Pas toujours sage, votre Goût préféré, lectrices chéries…
Votre serviteur fouinait dans ses souvenirs pour savoir par quel cheminement tortueux il en était venu à arrêter de cloper vers ses cinquante-sept ans.
Et là, le souvenir de la première « sèche », de la première bouffée et autres plaisirs vraiment minuscules lui a sauté à la figure comme un pavé sur le casque d’un CRS.
En quatrième, au cours d’un troisième trimestre bien entamé –rappelez-vous comme il faisait beau au printemps quand on entrait dans l'adolescence- un soleil de milieu de matinée, particulièrement printanier nous poussait à nous dire « C’est idiot de donner un temps pareil à un cours de sciences nat’ ».
Nous étions trois ou quatre à avoir décidé que finalement, le Sacré-Cœur serait autrement enrichissant en matière de sciences naturelles que les salles de classe du lycée.
Profitant de la récré de dix heures, nous sortîmes en douce sans nous demander un instant comment nous reviendrions l’après-midi…
Nous voilà partis, pas si fiers que ça en fait, en direction du Sacré-Cœur, l’animation de la rue Steinkerque nous redora un peu un moral déjà entamé par le remords. Les boutiques de souvenirs, déjà ouvertes, attendaient le touriste et nous regardions de minables statuettes de plâtre peint en remontant la rue.
Le jardin du Sacré-Cœur –qui s’appelait encore « square Willette »- était assez dépeuplé, on n’y voyait que quelques vieilles gens venues réchauffer leurs os au soleil de ce matin de mai.
Nous nous mîmes à l’écart sur quelques chaises mises comme « les chariots en cercle » des westerns pour éviter la curiosité malsaine des gardiens.
Pourquoi cette discrétion obligée ?
Parce que nous avions décidé de nous lancer dans la vie « de grand ».
Comment ça ?
Eh bien, lectrices chéries, les trois néophytes de notre bande des quatre avaient décidé de suivre l’initié. Celui qui « l’avait déjà fait » -mais non, pas ça, pfff… vous ne pensez qu’à ça-, celui qui avait déjà fumé.
L’état de notre fortune, misérable, nous avait permis l’achat d’un paquet de « P4 » et, mieux, pour les chochottes, dixit l’expérimenté de la clope, un paquet de « Highlife ».
L’initié avait déjà dans la poche une petite boîte d’allumettes, performance risquée en ces temps où chaque lycée avait son Big Brother.
Et nous voilà, commençant par les « P4 ». Rien que l’allumage posait problème. J’avais beau avoir un père fumeur, je ne voyais pas trop comment on amorçait la cigarette, la flamme ne l’allumait pas.
Le professeur de clope nous expliqua qu’il fallait « quand même tirer un peu » .
Au bout de trois allumettes, votre serviteur se retrouva avec une cigarette allumée entre les lèvres.
Ne sachant toujours pas quoi faire.
« Celui qui savait » me dit alors « c’est fastoche ! Tu aspires un grand coup avec la bouche en gardant la cigarette dans la bouche ».
J’en tousse encore…
Je n’ai allumé la seconde cigarette qu’à vingt ans passés, ça allait bien avec le café et ça aidait à gérer le stress des exams.
Mais je me demande encore si les « P4 » n’étaient pas fabriquées avec les mégots ramassés dans la rue…
10:28 | Commentaires (10)
lundi, 19 novembre 2012
Epîtres selon le-Goût
Voilà de quoi il s’agit.
En fait, lectrices chéries, je devais avoir dix-neuf ans, ma sœur cadette en avait dix-huit et fréquentait assidûment le garçon qu’elle devait épouser plus tard.
Un peu trop assidûment aux yeux des parents des deux puisqu’on nous invita, à l’automne 1968, à faire connaissance, dans le coin du garçon –vers Saint-Etienne- , avec la famille du garçon.
Ils se fréquentaient même si assidûment qu’un jour, au moment de mettre la clef dans la serrure je fus arrêté net, dès le palier, par un chant que normalement on n’entend pas et que surtout on n’entend pas sortir d’une chambre avant que monsieur le maire n’y ait mis bon ordre.
Si ma mère avait eu idée des connaissances de son oie blanche supposée et préférée, elle aurait traîné le garçon à la mairie sur le champ, un fusil dans le dos.
Je suis donc redescendu boire un café au bistrot en bas de chez nous pour ne pas déranger.
C’est dire si les études dont je vous entretiens depuis cet été sont sérieusement suivies dans la famille…
Quand les parents de nos deux tourtereaux se sont rencontrés, il y eut une petite fête dans le restaurant d’un petit bled du côté de Saint-Etienne.
Il y avait quelques amis des parents du futur mari dont un couple qui avait une fille de dix-huit ans itou.
On lui aurait donné le bon dieu sans confession et j’avais sympathisé avec elle.
Nous avons dansé ensemble tous, absolument tous, les slows de la soirée.
A son détriment –je plaisante- elle était très brune, à son avantage, une peau diaphane et des yeux clairs, de ceux qui justement me chavirent.
Les meilleures choses ayant une fin, nous nous sommes séparés sur un léger baiser sur la joue mais non sans qu’elle ne m’ait donné, à ma demande, une adresse où lui écrire pendant la semaine.
Elle était interne dans une pension de bonnes sœurs du coin.
Nous avons donc commencé à nous écrire –moi le premier, vous savez bien comment je suis- et échanger des lettres régulièrement, à raison d’une tous les deux ou trois jours.
Eh oui, pas de portable, pas de mail, pas de téléphone fixe ne restaient que les lettres...
Ces lettres, de convenues au début devinrent plus affectueuses.
Puis, les semaines passant nous avons commencé à échanger des poèmes.
Enfin des lettres d’amour.
Ça dura plusieurs semaines, puis, comme disent les accroches de PurePeople sur le Web, ça devint de plus en plus « hot ».
Nous étions devenus les champions de l’hexamètre licencieux, de l’alexandrin érotique, de l’octosyllabe leste.
On s’envoyait des sonnets d’enfer, experts que nous étions devenus de l’acrostiche cochon.
On écrivait des poèmes à lire en diagonale, d'autres encore dont la lecture du dernier mot de chaque vers ne laissait aucun doute sur ce que nous ferions si nous nous retrouvions seuls un moment.
J’ai encore souvenir d’une petite suite d’alexandrins plus que lestes - je m'en souviens parfaitement mais ne comptez pas sur moi pour vous les écrire- envoyés par une jeune fille finalement aussi au fait que moi de ce qui pouvait advenir à deux jeunes gens en bonne santé s’ils se retrouvaient dans un lit.
Petit poème qui prouve qu’elle n’était pas aussi ignorante que ses parents l’auraient souhaité.
Inutile de dire que quand je recevais ce genre de lettre, j’étais dans une forme éblouissante pour la journée…
Quand nous avions fini de nous expliquer par courrier tout ce que nous pouvions faire pour pallier notre absence, nous avions vraiment très chaud, surtout quand nous nous écrivions que comme notre mère nous avait fait des doigts, ce n’était pas pour rien et que c’était un excellent moyen de vérifier que ce que nous racontions produisait bien l'effet escompté…
Bref, nous étions devenus parfaitement libertins dans nos écrits en moins de deux mois.
Tout cela aurait pu se solder par une belle histoire sans la malchance qui fit qu’un jour, crac ! Plus de réponses du tout.
J’envoyais toujours aussi régulièrement des lettres qui restaient sans réponse.
Je finis par abandonner, la mort dans l’âme.
Ma sœur se maria l’année suivante et, lors de la réception, le frère de son mari m’apprit que la fameuse brune (M.) avait été virée de son école de bonnes sœurs avec pertes et fracas parce qu’une de mes lettres et les brouillons des siennes avaient glissé sous son lit et avaient été trouvées bien sûr par une des sœurs…
Elle fut donc jetée « pour mauvais esprit » et « conduite immorale » et mise par ses parents (des bigots terribles, fâchés du coup avec les beaux-parents de ma sœur) dans une « pension-prison » avec censure du courrier.
Tout cela pour dire qu’il n’est pas besoin de contact ou de vue permanente pour être séduit ou pour séduire, il suffit d’évocation.
L’écrit est finalement aussi dangereux que le toucher ou la vue…
Je suis sûr que c'est pour préserver la moralité de la jeunesse qu'on supprime les postes dans l'Education Nationale.
Rien qu'à lire ce que sont capables d'écrire ceux qui ont eu des professeurs, reconnaissez, lectrices chéries, que ça fout la trouille, non ?
09:43 | Commentaires (12)