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lundi, 20 août 2012

Lectrices chéries.

 

J’aime que vous m’aimiez.
Que dis-je, j'adore que vous m'aimiez comme je vous aime.
J’aime voir vos efforts désespérés pour ressusciter un amour éteint depuis des lustres.
Quasiment dix lustres.
A dire vrai, je vous soupçonne parfois de vouloir mettre un peu de sel, voire de piment, dans un ménage qui déjà n’en manque pas…

En outre c’est un coup à me faire défigurer par la dernière héroïne de ma vie amoureuse car elle n'a pas un caractère facile.
N'oubliez par qu'elle fut vainqueur de votre de serviteur par KO en deux regards et trois sourires !
En fait, je vous trouve bien compliquées.
Vous pensiez quoi ?
Que je allais partir fouiner sur le Web pendant des jours pour trouver quelqu’un dont le nom de famille a probablement changé ?
Qui a peut-être même changé de pays ?
Qui a certainement des enfants et des petits-enfants –pff… On ne peut faire confiance à personne…- .
Pire, un mari qui, si ça se trouve, est mieux conservé que moi, quelle horreur !
Et pour y trouver qui ?
Une jeune fille de seize ans ? Que nenni ! Une femme de mon âge -ça j'en suis sûr-.
Si, en plus elle a envie de rire un bon coup, elle n’a plus qu’à demander une photo de moi et comparer votre scribe préféré avec l’adolescent de seize ans qu’elle connut.
Un des commentaires, que je subodore venir d’un farceur ou d’une farceuse, dit assez justement que le réchauffé en la matière, c’est pas top.


 

Alors, pourquoi partirais-je à la recherche d’une disparue qui ne s’appelle même pas Albertine ?

samedi, 18 août 2012

The end.

Les semaines passaient, nous allions au lycée et, toutes les deux ou trois semaines, nous passions l’après-midi chez elle.
Il lui était arrivé de passer pas loin de chez moi, mais comme j’habitais à l’époque un passage dont l’état n’était pas sans rappeler la banlieue d’Alep ces jours-ci, je n’avais jamais osé l’amener à la maison.
Un des ces week-ends bénis, qui commençaient le vendredi vers le milieu de l’après-midi, je montai une histoire à mes parents, à dormir debout bien sûr, une sombre histoire de copains et de sortie en forêt.
Mon père, quand il entendit parler de ne pas rentrer dormir à la maison, eut dans l’œil cette lueur que j’avais déjà vue à propos de rendez-vous et qui me fait dire aujourd’hui que je n’avais trompé personne avec cette excuse plutôt fumeuse.
Ce fut la première des seules quatre nuits que nous avons passées ensemble sur les sept mois que dura le lien qui nous attachait.
Ensemble, que dis-je, ensemble, s’il avait existé quelque chose de plus fin que le papier à cigarette, je crois qu’on n’aurait pas pu en glisser une feuille entre nous…
C’est la première que j’ai pu passer –j’allais écrire dormir, malhonnête que je suis- une nuit avec une  jeune fille qui « colle ».
Après cette histoire, je ne fus abonné qu’aux coups de pied donnés par des filles qui avaient toujours trop chaud, même l’hiver.
Pourtant, c’est bien connu, au dessous de vingt-cinq degrés, il fait froid…
Qui peut bien avoir décrété que « Quand on aime, on ne colle pas » ? A part un marchand de pâtes ?
Un jour du début février 1965, alors que ses parents étaient encore absents, elle reçu un mandat et un télégramme. Elle devait acheter un billet pour Lyon, prendre le train du lendemain après-midi et « ils » viendraient la chercher.
Ce fut la dernière de ces quatre nuits.
Ce fut même notre dernière nuit…
Elle ne fut pas plus désespérée que les précédentes, mais extrêmement agitée comme chacune des nuits que nous partagions, inconscients que nous étions de la séparation prochaine.
D’ailleurs nos rares nuits étaient toujours désespérées, alors…
Le lendemain, je l’accompagnai à la gare et nous attendîmes le départ.
Nous échangeâmes un baiser, long, d’accord et nous dûmes nous y reprendre à plusieurs fois.
N’oublions pas qu’elle partait tout de même au bout du monde.
Et, idiots que nous étions, nous nous dîmes « au revoir »...
Dès le lundi suivant, je passai et repassai pendant les jours, puis les semaines suivantes, devant « the » café et devant la boutique.
Rien. Toujours rien. Jamais rien…
Un jour, vers avril, en passant devant la boutique, je vis le rideau levé.
Mon cœur tripla de volume illico.
J’approchai de la vitrine.
De parfaits inconnus rangeaient des habits sur des tringles.
Pendant des mois, près d’un an et demi en fait, j’ai pleuré dès que j’étais seul à la maison et ce, malgré des flirts assez fréquents –que voulez-vous, je suis comme ça, le badinage est chez moi une seconde nature- , .
Mais bon, comme dit Anna Gavalda, « Je l’aimais » voilà tout.

Je ne la revis jamais…
Mais ne l’ai jamais oubliée.

 

Je ne pense que très rarement à elle, il peut même s’écouler une décennie sans que son souvenir n’affleure et je serais bien incapable de vous dire quel est l'évènement qui l’a amené à la surface...

 

 

 

vendredi, 17 août 2012

Les zèles du désir

Je sais, lectrices chéries, cette note est encore longue, mais c'est l'avant dernière –je le sais, je les ai toutes écrites- et puis ça vous redonne l'habitude, malheureusement en perte de vitesse, de lire des textes longs de plus d'une page d'écran.

Notre amour, puisqu’il s’agit de cela, eut toujours ce côté sérieux, inquiet et, assez curieusement, plutôt triste.
Pas du tout le côté joyeux qu’ont parfois les amours, grandes ou petites.
En peu de mots nous étions des amoureux « collants » et romantiques (romanesques?) –aujourd’hui, grâce au langage psychanalytique qui court toutes les revues féminines, on dit « fusionnels »- mais heureux de se coller et de « romantiquer » (« romanesquer »?) .
C’est vrai quoi, pas de raison de laisser à Lacan et la presse le monopole du néologisme bidon…
Le mois de septembre approchait, le jour tombait plus tôt ce qui donnait à nos promenades ce côté romantique qui plaît tant aux hebdomadaires que lisait ma mère –elle se précipitait tous les vendredis pour acheter « Confidences », qu’elle-même interdisait à mes sœurs de lire de peur qu’elles ne tombassent enceintes dès l’ouverture de la revue- .
Nous en étions arrivés à ne pouvoir marcher côte à côte que les doigts entremêlés de peur que l’autre ne s’évanouisse dans la nature sans qu’on n’y prît garde.
Ne ricanez pas bêtement, je sais que ça vous est arrivé et ne mentez pas, j’ai des preuves…
Pour ce qui est de trouver un abri, en revanche, c’était fichu.
Parents d’un côté, parents de l’autre, sœurs revenues avec mon père.
En deux mots c’était un véritable enfer. Notre première fois, pour n’avoir pas été un succès, avait tout de même été assez douce, peu traumatisante et lui avait semblée suffisamment agréable pour qu’elle aussi ait envie –et moi donc !- de recommencer le plus tôt possible.
J’avais une idée plus précise –l’expérience de l’année précédente, expérience qu'on n'oublie jamais, était encore présente- de ce que « l’acte de Vénus » comme dit Montaigne, pouvait réserver aux filles comme délicieuse surprise.
Seulement voilà, les porches étaient peu confortables et les fins d’après-midi rafraîchissaient, sans compter que c’était s’exposer à être surpris.
Mais nous étions « bien élevés » et le risque était inexistant qu’une telle mésaventure nous arrivât.

Néanmoins, le problème de l’hébergement de nos amours se posait cruellement.
Je suis depuis longtemps persuadé que, contrairement à une idée répandue, le mariage n’a pas été inventé pour que nous croissions et nous multipliions mais simplement pour pouvoir passer des journées entières au lit avec sa petite camarade de cœur sans être obligé de chercher un endroit à l’abri des regards de la famille.

J'en eus d'ailleurs la preuve plus tard, dès qu’on a des enfants, ce cruel problème se pose à nouveau, si vous avez un gosse en âge scolaire, c’est tout juste si vous ne devez pas aller à l’hôtel…
De son côté, des choses se passaient chez elle –mais non, pas que ça, bande de…- . Presque chaque semaine son père était obligé de partir vers Lyon, laissant à sa mère le soin de surveiller la boutique et, malheureusement sa fille.
Elle me dit que les parents de son père étaient très vieux et n’allaient pas bien, qu’elle ne les connaissait que peu et en gardait le souvenir de petits bourgeois de province revêches mais assez aisés.

Au début du mois de septembre, dès le premier week-end ses parents durent retourner s’occuper des grands-parents.
J’appris de sa bouche, cette « cerise pâle » que je regardai toujours avec envie –et toutes les occasions étaient bonnes pour en vérifier le goût-, que ses parents devaient payer quelqu’un pour s’en occuper la semaine tandis qu’eux devraient y aller un week-end sur deux, un oncle ou cousin, j’ai oublié, y allant l’autre week-end, il fallait bien faire marcher la boutique.
Egoïsme des amants privés de câlin, nous dûmes nous avouer –à mots couverts tout de même- que non seulement les ennuis de santé de ses aïeux ne nous dérangeaient pas mais qu’en outre nous n’en avions même pas honte.
Imaginez l’attente de ce week-end. Finalement, Annie Cordy n’avait peut-être pas entièrement tort avec cette sombre histoire de marron chauffé... 

La rentrée approchait et nous savions que nous ne pourrions plus nous voir aussi souvent.
Eh oui, l’exploitation des enfants n’est pas qu’une fable montée en épingle par la LDH pour faire chuter la productivité des entreprises et avancer le communisme.
Le lycée français de l’époque en est un bon exemple qui nous mobilisait comme n'importe quel supermarché mobilise ses caissières.
Toutes mes journées commençaient à huit heures et finissaient à dix-sept heures, avec des interclasses interminables passées « à l'étude » dans la matinée et l'après-midi.
Au moins on était sûr que les devoirs étaient faits, c'est déjà ça.
Avantage collatéral, comme les devoirs étaient faits et les leçons sues, après la sortie on pouvait tranquillement vérifier jusqu'à six heures que le goût des lèvres de l'autre n'avait pas changé pendant les cours...

On était quand même vachement occupé. La mine vous dis-je...
Mais revenons à ce week-end dont chaque heure qui passait nous semblait bizarrement l’éloigner un peu plus.
La distorsion temporelle causée par l’impatience a de ces résultats parfois…
Ce samedi matin là, elle accompagna ses parents à la gare de Lyon tandis que je l’attendais à « the » café.
A cette époque, j’avais la vue perçante, d’ailleurs elle était au moins à deux cents mètres lorsque je la vis, et je commandai sur l’instant les deux cafés que nous laisserions soigneusement refroidir…
Elle s’assit face à moi, me regarda, se leva, s’assit à côté de moi, se colla, m’embrassa, repassa de l’autre côté de la table et me regarda encore.
Pour autant qu’il m’en souvienne, nous passions beaucoup de temps à nous regarder. Histoire d’être sûr que l’autre existait. Un véritable pathos, quoi…
Sans même attendre que nos cafés soient froids, ni même nous laisser le temps de les boire, elle jeta un peu de sous sur la table, nous nous levâmes, nous prîmes la main et nous entraînâmes mutuellement.
Son pas était de plus en plus vif et si nous ne courions pas, notre allure faisait plus sûrement penser à celle des marcheurs du Paris-Strasbourg qu’à un couple d’amoureux déambulant.
Arrivés devant chez elle, elle s’arrêta, vérifia qu’aucune mauvaise langue n’était en faction et me fit entrer dans le couloir de l’immeuble.
Nous y échangeâmes notre premier « vrai » baiser de la journée puis je pus admirer une fois de plus le balancement de ses hanches le temps d’arriver au premier étage.
Nous entrâmes chez elle pour la seconde fois. Le manque d’habitude nous cloua une fois encore face à face. Puis elle ôta vivement ses vêtements en me regardant tandis que je me dépouillai fébrilement des miens en l’admirant, un coup à se foutre par terre...
Il me faut vous dire que nous ne prenions pas toujours, inconscients que nous étions, ces fameuses « précautions » en latex, faute parfois de stock suffisant mais, plus souvent encore, faute de patience et de jugeotte…
Ça nous valut des châtiments terribles, non, pas le pire, mais quand certains délais prévus par la nature n'étaient pas tenus, ça nous donnait de ces sueurs froides et causait une attente insoutenable qui noyait les trop rares jours que nous pouvions passer seuls dans une ambiance de catastrophe.
En revanche, les jours fastes, notre manque d’expérience était compensé par une bonne volonté sans faille, une curiosité et une faim insatiables.
Et un jour, ces conditions d’expérience idéales que souhaite le chercheur guidé par un esprit purement scientifique, entraînèrent au bout d’un moment une chose que… une chose qui…
Bref, Jean Ferrat explique ça très bien dans les dernières lignes de la chanson « Je vous aime » qui ne sortira que des années plus tard –sept ans, en fait, je viens de vérifier-.

Il nous connaissait ou quoi ?? Parce que, pour autant qu’il m’en souvienne, nous étions absolument sûrs que personne n’avait pu vivre ça avant nous !
En tout cas, Ferrat expliquera ça bien mieux que Johnny dans « Que je t’aime ».
Finalement Johnny fait très « voyou de la Porte de Clignancourt »…
La seule chose un peu gaie et rassurante que nous avions constatée était que, contrairement à ce que prétendaient les racontars des parents sur ce qui attendait les faiseurs de « câlin avec tout » avant le mariage, nous ne ressentions absolument aucune culpabilité vis a vis de la chose.
Ce n'est que plus tard qu’on se dit que si les outils sont fournis avec l’équipement de base, ce n'est pas pour les laisser dormir au fond de sous-vêtements.
Assez curieusement, ces week-ends ne nous rendaient pas plus joyeux, nous n’avions pas l’amour joyeux, voilà tout.
Même Daphnis et Chloé auraient passé pour des rigolos en train de flirter légèrement à côté de nous.
Je ne crois pas un instant qu’on peut voir l’avenir mais il est possible que nous ayons déjà peur de ce qu’il nous réservait.
Alors que si on y avait réfléchi deux secondes, ce qui risquait le plus d’arriver c’était quand même, soit de se faire serrer par ses parents, soit, plus grave, qu’elle tombât enceinte...
Inconscients vous dis-je.
Mais non voyons, juste on était amoureux.
Bon, d’accord, c’est pareil…

jeudi, 16 août 2012

Et là…

Prolégomènes Préface Avant-propos (sur le bonheur, hmmppfff !)
Mes lectrices chéries, que j'aime et tout -vous, les lecteurs presque chéris, n'étant pas l'objet de l'étude, vous faites avec ce qu'il y a, surtout sans, et c'est tout- vous me voyez toutes désolé de faire une note si longue mais je n'ai pas trouvé d'endroit adéquat où placer la césure.
Voilà.

 

Reprenons donc:

Pour la première fois de ma vie je fis preuve d’intelligence ou du moins de prudence.
Ayant une vague idée de la façon dont les choses risquaient de tourner je cherchai dès le lendemain matin une pharmacie que je ne connaîtrais pas et dont je pourrais être raisonnablement sûr qu’elle ne connaîtrait ni moi ni aucune de mes connaissances.

J’allai jusqu’à République –une sacrée trotte, j’ignorais que moins de trois ans plus tard j’habiterais tout près- et entrai dans une pharmacie. J’attendis un long moment que la clientèle s’éclaircît un peu, m’approchai du comptoir en espérant que ce serait le type et non la femme qui me servirait.
Ce fut lui. Je dis ou plutôt chuchotai « Je voudrais des préservatifs, s’il vous plaît ».
D’une voix de marchand de cours des halles il tonna « Des six ou des douze ? »
Je chuchotai « Je ne sais pas, c’est la première fois. »
D’une voix plus faible quand même, il m’instruisit « Ce n’est pas la taille, c’est la quantité. Six c’est deux francs, douze c’est quatre francs. »
Je sortis deux francs. Avec l’optimisme et la foi en la santé de la jeunesse, si je m’étais écouté et surtout si je les avais eus, j’aurais sorti vingt francs…
Il se tourna et devant les cinq ou six clients présents dont deux ou trois auraient pu être ma mère, hurla à la préparatrice « une boîte de six Durex, s’il te plaît !».
Je savais que je pouvais rougir, mais pas à ce point.
Je pris le sachet et partis, que dis-je, je m’enfuis !
Idiot que je suis ils ne servirent pas, du moins la première fois.
En fait ce fut totalement différent de ce que j’imaginais.
Compte tenu de ma précédente et unique expérience, j’étais assez pessimiste quant à la façon dont ça risquait de se passer.
En fait la façon dont ça risquait surtout de se mal passer...
J’avais pu constater que mes copains, à les écouter, étaient tous des empereurs de la couverture mais d’une discrétion à toute épreuve dès qu’il s’agissait de ce qu’ils ressentaient vraiment. Ils s’abritaient derrière des gauloiseries plus ou moins épaisses mais ne disaient rien qui eût pu révéler leur trouble réel.
J’ai appris plus tard que cette maladie dite du « gargoziau serré » nous a à peu près tous atteints –sauf les imbéciles- à un moment ou un autre lors de notre apprentissage.
Je ressassai ce manque d’information tout au long du chemin qui menait de la République à la rue Caulaincourt. Vous ne connaissez pas le chemin ?

Bon, vous remontez le boulevard Magenta jusqu’à Barbès.
Si vous êtes jeune, vous prenez le boulevard Rochechouart jusqu’à la rue Steinkerque, vous montez jusqu’au Sacré Cœur, prenez la rue du Chevalier de la Barre et redescendez par la rue Saint Vincent.
Si vous êtes souffreteux des éponges, vous prenez le Boulevard Barbès puis la rue Custine jusqu’à la rue Caulaincourt, et la rue jusqu’à « the » café.
Passionnant, non ?
Elle m’attendait déjà, « the » café était quasiment vide, je m'assis face à elle dans un box et nous dûmes nous y reprendre à deux fois avant d’articuler difficilement « deux cafés, s’il vous plaît ».
Nous étions de nouveau face à face.
En y repensant, dès que nous étions assis, nous passions plus de temps à nous regarder qu’à nous toucher.
Pour éviter de changer brutalement nos habitudes, nous attendions patiemment que nos cafés refroidissent, je crois bien que nous n’en avons jamais bu un chaud…
Et toujours muets de trac.
Puis, toujours avec cette inquiétude dans le regard qui ne la quitta jamais, elle se leva, me tira par la main et m’emmena.

Nous descendions la rue Caulaincourt lentement, silencieusement et pour tout dire en tremblant un peu.
Peut-être même beaucoup… Et en fait pas « peut-être » du tout, nous tremblions absolument.
Vous savez, ce truc qui vous prends au creux de l’estomac, vous serre la gorge et vous fait trembler les jambes et les mains comme le premier ivrogne venu en manque.
Nous étions pris d’une trouille indescriptible.
Moi parce que la dernière fois que j’avais tenté quelque chose de ce genre, ç'avait été rapide, apeuré, sans idée, sans affection réelle et j’avais probablement dégoûté du « câlin avec tout » pour un long moment celle qui en avait fait les frais, comme je l'ai écrit il y a quelque temps, j'en ai encore honte.
Elle, parce qu'elle n'avait jamais tenté l'expérience, non que l'idée ne lui soit jamais venue mais, je l’ai su plus tard, son air inquiet et sa réserve en avaient découragé plus d’un, pfff... aveugles de l'âme, va...
Toutes les conditions étaient donc réunies pour que ce soit une expérience unique dont l’échec serait inscrit en lettres rouges dans tous les traités de sexologie au chapitre « Ce qu’il ne faut jamais faire ».
Elle habitait avec ses parents au dessus de leur boutique.
Clémenceau ne disait pas toute la vérité –il aurait fini en prison s’il l’avait dite- quand il disait « le meilleur moment de l’amour, c’est quand on monte l’escalier », je regardais avec attention –et admiration- le balancement de ses hanches le temps d’arriver au premier étage.
Il y a des jours, comme ça, où on aimerait aller jusqu'au quarantième étage...
Et en aucun cas ce n’était l’approche « bonne du curé » d’Annie Cordy chantant à tue-tête « Chauffe un marron, ça l’fait péter !».
Il vous faut savoir, avant de continuer, que ma culture en matière de nudité se limitait aux pages « lingerie » du catalogue des trois Suisses de ma mère et, bien des années auparavant, la toilette de mes petites sœurs –la grande cachait tout de toute façon et était mariée depuis près de deux ans-  autant dire des petites filles sans seins, sans fesses, sans hanches, bref sans rien d’intéressant pour les garçons, en plus rien n’était permis et ma mère limitait férocement notre curiosité à tous trois.
Et comme beaucoup, à part les affiches, les histoires salaces et les quelques rares photos cochonnes qui circulaient sous le manteau dans la cour et que nous avions à peine le temps de regarder car la présence des pions était dissuasive, nous ne connaissions vraiment rien.
Pas comme « ces voyous de la Porte de Clignancourt », ces salauds qui savaient tout des filles…
Elle me regarda de longues secondes, toujours inquiète, indécise, devant la porte fermée.
Je ne disais rien, je l'attendais, le gosier plein de hurlements silencieux.
Elle prit la décision d’ouvrir la porte.
Je serais mort de chagrin sur le champ –pas vexé non, seulement très, vraiment très, extrêmement malheureux-, si elle avait décidé de redescendre.
L’appartement était assez petit et plongé dans une pénombre légère car le soleil était vif.
Une fois la porte claquée, nous nous rapprochâmes et nous étreignîmes avec douceur.
Nous n’avions pas, du moins pas encore, envie de nous jeter l’un sur l’autre avec voracité.
Ce n’était pas le manque d’appétit qui nous retenait mais… En fait je n’en sais rien.
Ah tiens ! Juste une question d’ordre technique aux Casanova du Web: Vous avez déjà essayé de déboutonner un corsage avec les mains qui tremblent, vous ?
Un corsage en « liberty » plein de boutons minuscules ?
C’est un test impitoyable de résistance nerveuse.
Eh bien, c’est un coup à vous faire éjecter si votre petite camarade est impatiente…
Heureusement, elle était patiente.
Patiente mais prudente et n’avait manifestement pas envie de raccommoder un corsage déchiré par des mains malhabiles –surtout que coudre correctement des boutonnières est une vraie torture (demandez à emilia-celina, elle doit savoir).
Pudique, elle me dit doucement « Tourne toi, s’il te plaît, tourne toi. » et fit quelques pas.
Je lui tournai le dos. J’étais persuadé que j’allai mourir là d’un infarctus, rien qu’à entendre le froissement de tissus et leur chute sur le parquet.
Au bout de peu de temps elle me dit «  et là ? ». Je me retournai et me trouvai face à face à une statuette d’albâtre des plus délicates.
A moins que ma mémoire, mais non, je ne pense pas, je suis même sûr que non…
Non, non, pas un Tanagra, aussi délicat, certes mais les Tanagra sont trop hâlés. D’ailleurs je n’en avais jamais vu, de Tanagra, juste entendu parler, vu des photos et vu que c’était beau –merci les copains bourgeois du lycée qui m’avaient instruit au point que l’idée m’en vienne !-
Elle se tenait devant moi, telle ses parents l’avait faite et je n’avais encore jamais rien vu d’aussi beau, les bras le long du corps.
Je ne sus que coasser « Oh que tu es belle ! », bruit bizarre entre le chuchotement et le raclement de gorge. Je me demandai comment, si petite, elle faisait pour avoir des jambes si longues.
Il faut dire que c’était la première fois que je voyais une jeune fille entièrement nue.
Surtout une jeune fille qui s'était mise entièrement nue pour moi. Pour moi tout seul.
D’une voix aussi brisée que la mienne, elle me dit « et toi, fais le aussi » et me regardait avec des yeux qui éclairaient la pièce.
Je m’exécutai, manquant me ficher par terre en retirant mon jean « milleraies ».
Et je me retrouvai, moi, pauvre moi, gêné, épais comme un salaire de Chinois, en costume d’Adam, face à elle.
Elle n’avait que très vaguement, voire jamais, entendu parler de quelques détails mécaniques, et ce costume d’Adam, vu son état, comment dire… « Amidonné de frais » ? « Raide comme la justice » ? , l’effraya.
Elle s’approcha et me chuchota « j’ai peur. » je la pris par les épaules et, avec une confiance que j’étais loin d’éprouver, lui dis doucement « moi aussi, tu sais… ».
Apeurée, elle insista, chuchotant encore,  « jure-moi que tu ne me feras pas mal, dis, jure-moi, jure-moi ».
Je jurai et elle parut un peu apaisée.
Jamais je n’avais vu tant de peau faite exprès pour être caressée, embrassée et si gentiment offerte.
Et c’est là que le fait que les garçons aient plein de mains, voire trop de mains selon certaines, fut un énorme avantage.
Ça aide à faire passer bien des choses en douceur…
Il me revient maintenant la bluette que chantonnait mon père quand il me croisait avec une fille : « avec un peu d’adresse et beaucoup de tendresse… »
Inutile de vous dire que si ce fut plein de tendresse et de délicatesse, ce ne fut pas non plus le truc dont on parle dans « L’amant de lady Chatterley ».
Mais l'amour masque tant de choses, et pas seulement les yeux...

Ôtez-moi d’un doute, vous ne vous attendiez tout de même pas à un cours d’anatomie, non ?
Allez, arrêtez de baver, bande de…

Vous en saurez à peine plus, et plus tard.

mercredi, 15 août 2012

«Tu »…

Deux semaines passèrent légèrement et beaucoup trop rapidement à notre gré.
Nous marchions dans les rues d’un Paris quasi désert mais largement pourvu en porches ombreux fort pratiques dès qu’elle voulait vérifier que j’aimais toujours ce goût de « cerise pâle » ou simplement quand j’avais envie de le vérifier moi-même.
D’aucuns pensent que les porches sont faits pour protéger les entrées d’immeuble.
Les idiots ! Quel manque de pragmatisme ! Quelle absence de réalisme ! Les porches, surtout les porches ombreux, n'ont été inventés que pour dévorer les lèvres de ses petites camarades !
Cela dit je n'étais pas fou et évitais, les jours de beau temps, de proposer des sorties comme la piscine.

J’avais souvenir d’effets secondaires assez discutables du point de vue de l’esthétique et qui m’avaient déjà placé dans des situations gênantes.
Exit donc la piscine, où la vivacité des sentiments devenait rapidement voyante...
Il y avait encore, sur le boulevard Ornano un cinéma « fréquentable », qui fut remplacé par un Prisunic qui, pour ce j’ai vu la semaine dernière en allant aider un copain du forum à restaurer un tourne-disque vinyle B&O, a laissé la place à un Intermarché.
Tout fout le camp...
Cet été là, dans ce cinéma qui ne rechignait pas à passer des films passés et repassés, quel que soit leur âge, ils donnaient « Psychose ».
J’aurais préféré voir « Scaramouche » dans un autre cinéma, ne serait-ce que pour le duel entre Stewart Granger et Mel Ferrer mais quand on aime, non seulement on ne compte pas mais surtout on ne contrarie pas.
Nous allâmes donc voir « Psychose » qui finalement lui fit peur mais me permit de passer mon bras autour de ses épaules.
J’avais et ai toujours avec la notion d’effort des rapports tendus. Je n’étais pas un partisan acharné du travail mais je me mis à apprendre, avec un plaisir que je n’aurais jamais soupçonné, des poèmes dont elle me demandait de lui parler.
Il m’est resté ce goût de la poésie, assez étrange pour un type comme moi, et que je suis seul à avoir dans la famille.
Ce furent mes premiers contacts, si l’on peut dire, avec « Les Chants de Maldoror » que j’appréciais particulièrement –on est quand même cinglé à ces âges là…-. Elle-même me parlait d’autres, Verlaine emportait ses suffrages avec Melancholia – je pense qu’elle avait une idée derrière la tête avec « Mon rêve familier » qu’elle me disait avec des regards en coin…- tandis que j’aimais lui dire « Ophélie » de Rimbaud –que je suis bien incapable de réciter aujourd’hui-, histoire de vérifier si elle irait jusqu’à se jeter dans une mare quelconque si je l’abandonnais.
Quand je repense à cet été là, je me dis que j’étais beaucoup plus courageux qu’aujourd’hui, du moins en matière intellectuelle…
L’expérience me montra plus tard qu’on ne meurt vraiment d’amour que dans les poèmes et les romans, mais il faut bien se jurer quelque chose d’éternel quand on a la vie devant soi.

Mais, car il y a un mais, nous nous disions toujours « vous » et je vous assure que c’est très curieux d’échanger des baisers avec quelqu’un à qui l’on dit « vous »…

Les choses changèrent cette dernière semaine d’août. Pour une raison qui ne fut clairement élucidée que plus tard, il fut vaguement question de famille dans la région de Lyon, ses parents fermèrent leur boutique plus tôt et lui confièrent l’appartement pour les trois ou quatre jours à venir.
Elle m’annonça la nouvelle à peine arrivée à « the café ». Le café était plein de gens encore en train de déjeuner car il était très tôt dans l’après-midi.
Il faut dire que nous disparaissions de la maison après avoir déjeuné à une telle vitesse que les parents devaient se dire que nous revenions d’URSS où, c’est bien connu sauf du PCF, tous les enfants mouraient de faim…
J’accueillis la nouvelle avec un intérêt prudent, ne sachant trop comment la prendre.

Je sortais avec une jeune fille qui m’embrassait, me disait des poèmes, certes, mais me disait « vous » quand elle me parlait, et moi itou, je ne montrai donc pas un enthousiasme que de toute façon elle aurait trouvé suspect, voire l’aurait inquiétée si ce n’est effrayée.
Devant nos cafés –bientôt froids, encore…- et toujours face à face, elle me regardait avec plus d’attention qu’un biologiste son microscope.
Et toujours cet air inquiet sur le visage.
Elle se leva soudain, fit le tour de la table, me poussa de la hanche et s’assit à côté de moi.
Puis tout contre moi.
Là, ce fut moi qui fus inquiet…
Elle m’attrapa par le cou et, me tutoyant pour la première fois, me chuchota, la bouche –cette fameuse cerise pâle- tout contre mon oreille « Si tu veux, je veux aussi. » et sa voix se cassa sur ce dernier mot.
Quant à moi, n’en parlons pas, je n’avais pas de voix du tout…