dimanche, 17 juin 2018
Fête des pères…
« Mon fils, ton père est mort ! »
Ça m’a fait de la peine.
Beaucoup car s’il avait l’esprit caustique ce n’était pas un homme méchant.
De fait, elle lui a tenu la main jusqu’à ce qu’il passe.
Mais elle lui gardait, au-delà de la mort qui les séparait, un chien de sa chienne.
Je le sais, elle me l’a dit.
Et je sais que c’est vrai car j’avais assisté à la scène originale.
Non, pas celle-là, vous ne pensez vraiment qu’à ça…
Mon père avait ses trouvailles les plus étranges quand il était de bonne humeur et il était de bonne humeur quand il faisait beau.
Un été donc, ma mère, du ton plaintif qui aurait amené n’importe quelle autre femme à être une femme battue, déclara à table « Lemmy… Pfff… J’ai du mal à respirer… »
« Lemmy » connaissait toutes les ficelles que ma mère utilisait pour le faire lever de table, eu la malencontreuse idée de lui répondre « C’est pas grave ma poule… Respire pas… »
Évidemment, nous tous, alors enfants, avons ri sous cape.
Quelqu’un était capable de tenir tête à ma mère, ce qui nous a rassurés.
Nous, « Lemmy » inclus, avions seulement oublié que ma mère était hypermnésique pour tout ce qui lui griffait, même imperceptiblement, l’amour-propre.
Quand, une trentaine d’années plus tard, mon père ne respirait plus qu’aidé par une machine qui insufflait de l’air et exsufflait du CO2, ma mère lui tint la main et lui passait un gant sur le front tandis qu’il lui soufflait difficilement « Ma poule, j’ai du mal à respirer… ».
J’y passai aussi quelques nuits, celles où, chaque matin il m’a dit « Non, fils ! Non je n’ai pas dormi, j’ai fait un petit coma ! »
Comme ça ne pouvait pas durer éternellement, mon père finit par mourir, sa main dans celle de ma mère.
Des semaines plus tard, elle sembla avoir quelque remords.
Nous étions tous deux à table, à manger du frichti que je lui avais préparé.
- Tu sais, mon fils…
- Oui maman…
- Euh… J’ai un peu honte quand même…
Je n’aurais jamais pensé que ma mère put avoir honte de quoi que ce soit.
Pas même des tours les plus pendables et des indiscrétions qu’elle commit à notre endroit.
- Et de quoi maman ?
- Tu te rappelles quand ton père m’a dit « Respire pas… » ?
J’ai revu alors ce déjeuner à la maison, avec mes sœurs.
- Oui, je vois…
- Eh bien…
- Oui maman ?
- Eh bien j’ai honte mais à l’hôpital avec ton père, j’ai eu envie de lui dire « C’est pas grave… Respire pas… »
Ça ne m’a pas étonné outre mesure, je commençais à connaître la famille.
- Et ?
- Eh bien tu vois, mon fils, je ne lui ai pas dit…
Où va se nicher la grandeur d’âme…
11:14 | Commentaires (6)
samedi, 16 juin 2018
Ah les mères... Alzheimer
Je suis arrivé tôt et je suis entré chez ma mère.
Je me suis préparé un café et j’ai pris « Mots fléchés, mots croisés, mots cachés » sur la table.
Mon dieu, quelle table…
Un bordel incommensurable car tout devait être à portée de sa main.
Et elle était petite, alors ça faisait des tas.
Elle m’a entendu et est arrivée, commençant ce que j’avais entendu dix mille fois sans y prêter attention.
« Eh bien… Au bateau… »
Aïe, la journée commence mal.
- Oui maman ?
- Au bateau…
- Oui, au bateau…
- Quoi « au bateau » ?
- Je ne sais plus… Ah si, maman disait…
- Oui…
- Je ne sais plus, mais on était bien.
- Tu veux du café, maman ?
- Oui mon fils, toi tu le fais bien.
- …
- Il n’y a plus que toi qui sais le faire, les autres…
- Bon, je vais faire du café.
- N’oublie pas la petite couche de chicoré dans le fond du filtre parce que.
- Je sais maman !!!
Je reviens avec le café.
Elle se sert, met au moins cinq cuillers de sucre, on dirait moi quand j’avais douze ans et que je revenais du lycée.
Et elle recommence.
- Au bateau…
Je soupire.
Elle prend son recueil de « mots fléchés » et quelque chose attire mon attention.
- Passe moi tes « mots fléchés » maman.
Regard noir de ma mère.
Je soupire et dis « S’il te plaît ».
Là elle sourit. Enfin.
Je regarde et je suis effrayé.
- Tu as vu ce que tu as écrit, maman ?
- Oh tu sais, quand ton père est mort, je me suis assise là…
- Oui, mais tu as v…
- J’ai regardé le mur et j’ai attendu la mort.
- Bon, tu es là et tu as vu comment tu as fait ces « mots fléchés » ?
- Je m’en fous, j’ai attendu la mort pendant six mois…
La mort est venue dix-sept ans plus tard.
Pendant ce temps là, nous avons entendu « au bateau » et nous n’avons pas vu que ma mère avait perdu les pédales.
10:37 | Commentaires (7)
vendredi, 15 juin 2018
Les nageurs sans brasse.
De rien, Mab, de rien…
Heure-Bleue me disait il y a peu à propos de poésie que je m’étais livré avec OBNI à un concours de composition de haïkus.
C’était il y a très longtemps.
Elle avait poussé l’indulgence jusqu’à dire que je m’en étais bien tiré et que « c’était pas mal ».
Pour qui connaît Heure-Bleue et son peu de goût pour la poésie, l’idée de l’intéresser en trois vers de trois, sept et cinq syllabes semble un poil débile.
Alors je tente ça :
Un nuage
Un éclair qui fend le ciel
un grondement lourd.
Et ça :
Un pétale
Un éclat de soleil
Eclatant et rose.
On ne sait jamais…
Juste pour voir si elle va se précipiter sur moi, jetant ses habits à tous vents.
Puis je me rappelle que si ses jambes sont toujours aussi belles, ses pieds l’empêchent de courir, comme les ailes de l’albatros l’empêchent de voler.
Bref, ces temps-ci je n’ai pas l’âme épistolière.
Elle est trop occupée par des tas de choses.
Ces choses se transformeront en souvenirs.
Et vous savez bien que je finis toujours par vous raconter mes souvenirs.
Enfin, presque tous…
10:01 | Commentaires (6)
mercredi, 13 juin 2018
Salut l’artiste.
Elle a fini comme elle a vécu.
En fumant…
Et elle est partie comme elle a toujours été.
Tout feu, tout flamme…
Alors je vous en parlerai plus tard.
09:55 | Commentaires (15)
lundi, 11 juin 2018
Appassionata...
Il m’énerve ce type, au dessus, à tapoter « La lettre à Elise » depuis une heure.
On dirait qu’il ne connaît que ça.
Peut-être que c’est « La lettre à Elise » qui m’a poussée à aller voir s’il y avait quelque chose dans la boîte à lettre.
Il y avait quelque chose.
Tiens ! Il s’est arrêté de jouer !
J’ai ouvert la lettre.
C’est à ce moment qu’il a commencé à jouer cette sonate que j’aime particulièrement.
Oui, j’ai l’âme à écouter « Appassionata » en ouvrant la lettre.
La petite fleur de « mouron » bleue dans le coin de l’enveloppe donne un air niais à cette lettre.
Il n’y a rien au dos, pas une seule indication de l’expéditeur.
L’autre, là, au-dessus y met du cœur à « Appassionata ».
Il se débrouille pas mal du tout.
Bon, ce n’est pas Yves Nat et il y met plus de sentiment que de technique mais ça commence à me plaire.
« Mademoiselle,
Je vous regarde passer tous les matins sur le trottoir en face.
Tous les matins je me demande comment je pourrais vous aborder.
Le midi ? Rien. Vous ne rentrez pas chez vous déjeuner.
Mais je regarde toujours par la fenêtre, des fois que je vous aperçoive.
Et chaque soir j’attends de vous passer.
J’entends la gâche électrique zonzonner quelques instants et la porte qui claque puis votre pas léger.
Il est léger votre pas, Mademoiselle, si léger…
Si j’osais, je me lancerais à vous conter des histoires de papillon voletant au dessus des marches mais je pressens que ce serait accueilli par un haussement d’épaules.
Alors je me contente de supputer quelle serait votre attitude en m’écoutant jouer « Appassionata », cette sonate qui dit si bien ce que je ressens et que je joue hélas si mal…
Dites moi, faites moi seulement un signe, même discret.
Un signe qui me dirait que vous n’avez pas jeté bêtement cette lettre en haussant les épaules.
Dites moi, faites moi seulement un signe qui me ferait comprendre que vous aimeriez que je vous joue d’autres sonates.
Un seul petit signe. »
Il est joli garçon, le pianiste au dessus et ça fait un moment que je me demande si sortir avec lui serait une bonne idée.
Aller au cinéma avec lui serait sans doute agréable.
Je pense que ce sera agréable, et il a un toucher si délicat que je me dis que.
Je ferme les yeux et j’écoute ses doigts glisser sur le clavier.
Et je me dis que… Un tel toucher…
Je passe le bout de ma langue sur les lèvres…
Bon, je vais monter lui demander s’il veut bien m’accompagner au cinéma dimanche.
Ces doigts si délicats, je suis sûre que…
Ce toucher… Mon dieu…
09:54 | Commentaires (13)


