mardi, 22 mai 2018
Le jumeau.
La lumière de mes jours m’annonce platement :
- Le prince Charles va donner une fête pour ses soixante-dix ans !
Au lieu de me taire comme le bon sens le commandait je remarque :
- Au mois de novembre, je crois…
- On voit que tu es le fils de ta mère…
Pourquoi ça ?
Eh bien, ma mère était une admiratrice forcenée de la famille d’Angleterre.
Qu’il s’agît des Windsor, des Mountbatten ou de « la si belle Alexandra de Kent », elle avait de la famille une connaissance encyclopédique.
Je me rappelle alors la carte que ma mère avait reçue de la reine Elisabeth II.
En personne croyait-elle.
Cette carte disait que « Her Royal Highness the Queen Elisabeth II » remerciait ma maman pour les félicitations de la naissance de son fils Charles.
J’ai souvent vu cette carte à la maison, Heure-Bleue aussi.
C’est là qu’Heure-Bleue me demande :
- Au fait, où est passée cette carte ?
Nous n’en savons rien.
Il n’empêche que lorsque j’eus atteint un âge où je fus en mesure de comprendre ma position dans l’échelle des valeurs de ma mère, elle me donna ce renseignement d’une grande importance « Tu es le jumeau du prince Charles ! »
D’abord, en réalité il est plus vieux que moi de deux mois.
Ensuite il a l’air vraiment plus vieux…
La différence ne s’arrête pas là.
Pour être allé visiter Windsor, je peux vous affirmer que le gourbi de Charlie –je peux l’appeler Charlie, c’est mon jumeau- était vachement plus grand que chez moi.
10:06 | Commentaires (14)
lundi, 21 mai 2018
Un seul tome et j’ai ri…
Il est six heures du soir, l'été.
Je sors juste de l’étude alors je passe et je repasse devant l’immeuble où elle habite.
Avant d’arriver au passage où j’habite, la voie la plus courte de Paris, je passe souvent par la colline de Montmartre.
Chaque fois que j’ai le temps, arrivé au bout de la rue du Chevalier de la Barre, je descends les escaliers du passage Cottin.
J’espère toujours la croiser.
Je sais qu’elle habite dans le passage. Je sais même où, à quel numéro.
Ce n’est pas le chemin le plus court pour revenir à la maison mais ces temps ci, c’est celui que je prends, celui qui me permettra peut-être de la croiser une fois encore.
On s’est croisé le mois dernier, dans la rue Ronsard, le fermoir de son cartable avait cédé, le rabat s’était ouvert.
En un ressac étrange une vague de livres et de cahiers s’était écoulée sur le trottoir.
Elle regardait ce désastre d’un air si malheureux que je n’ai même pas songé à rire.
Alors que d’habitude…
Mais comment rire du malheur d’une fille qui avait de tels cheveux et un tel regard ?
Alors j’ai posé mon cartable, me suis accroupi et ai commencé à ramasser les cahiers…
Elle a fini par s’accroupir à côté de moi et a commencé à ramasser les livres.
Quand j’ai pris le dernier crayon dans le caniveau, elle m’a dit « non, laisse-le il est tout trempé… »
J’ai dit « mais il suffit de l’essuyer ! » Je n’avais pas l’habitude de jeter un crayon neuf sous prétexte qu’il est mouillé.
Elle a eu encore ce regard désolé qui me chavirait « Mais c’est sale ! Si ça se trouve il est plein de pipi de chien ! »
J’ai haussé les épaules et remis à regret le crayon dans le caniveau.
Je le garderais bien mais j’ai peur d’avoir honte de ramasser quelque chose qu’elle jetait.
En vrai, c’est bête parce qu’il suffit de le rincer et de l’essuyer mais bon…
J’ai essayé de réparer le fermoir de son cartable mais ça n’a pas marché alors elle a pris le mien, j’ai tenu le sien dans mes bras et je l’ai suivie.
C’est comme ça que j’ai vu qu’elle habitait passage Cottin et que ce n’était pas si facile de descendre un escalier avec un cartable plein et ouvert dans les bras sans que les livres et les cahiers ne tombent.
Ce passage est moins sale que le mien et plus long mais les immeubles y sont aussi décrépits et noirs.
Dans le passage Cottin comme dans le mien mais comme dans le mien, dès que le soleil revient, le linge apparaît aux fenêtres.
Elle m’a rendu mon cartable, a pris le sien et m’a remercié du plus beau sourire que j’aie jamais vu.
Étourdi par ce sourire, je n’ai pas pensé un instant à lui demander « Comment tu t’appelles ? » Je suis un idiot.
Depuis, je passe aussi souvent que possible devant chez elle.
J’espère toujours la voir, chaque fois que j’ai vu en traversant le square, une fille avec des cheveux clairs et bouclés arrivant aux épaules, mon cœur fait un grand bond.
À force, mon cœur est ce qu’il y a de plus musclé chez moi.
Je ne l’ai jamais recroisée…
07:49 | Commentaires (13)
vendredi, 18 mai 2018
À la pointe du Raz, finement…
De rien, Mab, de rien…
Lectrices chéries, votre Goût préféré se délite.
Que dis-je, il devient débile.
Hier soir, occupé à préparer du filet de canard accompagné de haricots verts avec lardons et échalotes pour notre dîner, j’œuvrais calmement quand Heure-Bleue regardant une émission m’apostropha :
- Pfiouuu… Minou, le type a une mémoire !
- Comment ça ?
- Petit, il écoutait une chanson et se rappelait que c’était la deuxième sur la face B de son disque !
Elle reprit son souffle et ajouta :
- Tu te rends compte Minou ?
Je réfléchis deux secondes et lui dis :
- Tu te rappelles le coffret du « Festival de musique classique » que mes parents m’ont offert en 1960 ?
- Oui… Et ?
- Il y a un disque à l’enveloppe bleu clair.
- Hmmm ?
J’avais dû l’écouter la dernière fois en 1962.
- Eh bien, il y a dessus l’ouverture des « Noces de Figaro » de Mozart.
- Ah ?
- Oui, c’est la dernière plage de la face « A ».
- Hé bé… Je n’ai pas une mémoire comme ça, moi…
Elle m’a jeté un regard admiratif.
Un regard du genre de ceux qu’elle me jetait en 1971, quand elle ne savait pas encore que je ne valais pas le dixième de ce qu’elle pensait.
Je suis retourné à mes haricots verts mais le doute s’inséra dans mon esprit.
Je suis retourné dans le séjour et me mis à la recherche de ce fichu coffret.
Je l’ai trouvé.
Je l’ai ouvert.
J’ai cherché de disque bleu clair.
Je l’ai trouvé.
J’ai sorti le disque de l’enveloppe.
J’ai vu qu’il y avait bien sur la face « A » l’ouverture des « Noces de Figaro ».
Hélas, trois fois hélas ! Elle ne se trouvait pas sur la dernière plage mais sur la première.
J’ai avoué mon erreur à la lumière de mes jours qui m’a pardonné.
Mon dieu, tout ce qu’elle a pu me pardonner depuis que je l’ai rencontrée…
J’ai hésité un instant entre aller consulter à La Pitié-Salpêtrière et me couvrir la tête de cendres.
Je me suis dit qu’il était trop tard pour consulter.
Je me suis dit aussi que me couvrir la tête de cendres allait me valoir une engueulade.
Alors je suis retourné à mes haricots verts…
08:52 | Commentaires (10)
jeudi, 17 mai 2018
Où je mets l'ancolie ?
De rien Mab...
Il y a peu, deux semaines tout de même, la radio du matin était plutôt pauvre alors j’ai allumé mon PC et survolé les nouvelles du jour qui défilent sur mon navigateur dès que je l’ouvre.
Que lis-je ?
« Nord : Inquiétude après la disparition d’une jeune fille. »
« Pauvre petite » dis-je avant de cliquer pour en savoir plus.
J’apprends alors que la jeune fille est une adolescente de treize ans.
- Elle est comment ? A demandé Heure-Bleue.
- Elle s’appelle Angélique, mesure un mètre cinquante-trois, elle est mince, elle a les yeux bleus et les cheveux longs.
- C’est tout à fait à ton goût !
- Tu te rends compte, elle s’appelle Angélique !
- Et alors !
Et c’est à ce moment que m’est revenu un épisode de la brève période, environ six mois, que j’ai passée hors de Paris, le temps que ma mère retrouve un appartement à Paris.
- Alors j’ai connu une Angélique !
Je mâchonnais à cette époque un chagrin d’amour dû au déménagement de l’élue sous d’autre cieux, traînée par des parents indifférents et manifestement peu soucieux de notre bonheur, les salauds…
Bref, mes sœurs et moi nous atterrîmes dans ce nouvel immeuble d’une avenue triste comme un jour sans vin et longue comme un jour sans pain.
Dans les années soixante, la règle commune était que les garçons poursuivissent les filles, plus exactement essayassent de les intéresser et comptaient scrupuleusement les râteaux qu’ils ramassaient bien plus souvent qu’ils ne récoltaient des pelles.
Néanmoins, ce long entraînement à la gamelle sentimentale ne nous conduisait pas à insulter celles qui refusaient d’aussi beaux cadeaux que nous.
Il ne nous serait pas venu à l’idée de les traiter de « sales putes » ou pire.
Peut-être de « pimbêches » mais pas plus et in petto…
Ce bref séjour nous vit vivre, mes petites sœurs et moi d’autres aventures mais celle-ci m’a frappé.
C’était une des très rares fois de ma vie que je fus poursuivi par une fille.
Elle s’appelait Angélique.
Elle était jeune, environ seize ans, blonde, les yeux bleus, mince et pour tout dire assez jolie.
Hélas, elle ne me plaisait pas.
Mais alors pas du tout.
Ce n’est qu’un peu plus tard que je m’aperçus que je n’aimais ni sa voix, plutôt aiguë, ni surtout son accent grasseyant.
Elle habitait l’immeuble, au bout du couloir et je suis sûr maintenant qu’elle surveillait mes entrées et sorties car elle se précipitait sur moi dès que j’atteignais l’ascenseur.
Une fois elle est même rentrée dans l’appartement sans y être invitée et a semblé gênée par la présence de ma sœur cadette.
Jusqu’à ce que nous repartions à Paris, ce fut ainsi.
Pendant six mois je fus poursuivi.
Eh bien je dois vous dire que « ça fait drôle » et ce n’est pas si agréable que je l’aurais pensé.
Avec le recul de l’âge, je me dis que même les garçons étaient dans l’ensemble assez bégueules même si nous avions tendance à penser avec autre chose que notre cervelle.
10:30 | Commentaires (7)
mardi, 15 mai 2018
Même si mon air nie...
Hier, Heure-Bleue m’a accompagné à l’hôpital.
J’ai eu confirmation d’une chose que je n’ai pas le droit de lui faire remarquer mais que je peux vérifier chaque fois qu’il est question d’horaire.
Cette fois-ci, je l’ai laissée mener l’affaire.
- Minou, il faut partir à quelle heure pour être à l’heure là-bas ?
- Grmblblmbl… Grève, pluie… Hhmmm… Je dirais neuf heures et demie.
- Neuf-heures et quart, Minou, c’est bien.
- OK ma Mine…
Le temps passe…
- Il va falloir y aller, ma Mine, sera neuf heures et quart sous peu.
- Bon, le temps de mettre mes chaussures, de prendre mes affaires, de faire pipi et on y va.
Neuf heures vingt-cinq…
- Il pleut, il faut que je mette d’autres chaussures, où elles sont Minou ?
J’amène les chaussures.
- Ah ! Il faut que je mette des chaussettes avec sinon je les perds…
- Bon, il va falloir y aller…
- Ah Non ! Ne commence pas ! Sinon tu y vas tout seul !
Bref, on est parti à neuf heures et demie sous la pluie…
Le bus nous a attendus, le chauffeur était patient et bien disposé.
Nous sommes arrivés à l’heure prévue.
J’ai appris plein de choses ce matin là.
D’abord, du chirurgien qui va m’étriper.
En relisant mes antécédents, il m’a affirmé que j’étais « un accident statistique », ça ne m’a pas traumatisé outre mesure parce que c’est ce que me dit la lumière de mes jours depuis toujours mais en d’autres termes…
J’ai aussi constaté une fois de plus qu’il suffit de très peu pour que les gens se mettent à parler.
Il m’a fallu répondre à quatre femmes et un homme hier matin.
Et il m’a, une fois de plus, suffi de poser une question anodine ou de faire une remarque tout aussi anodine pour que j’ai l’impression d’avoir ouvert des vannes chez ces cinq personnes qui se sont mises à me raconter des choses qui n’avaient rien à voir avec la médecine ou l’administration.
Des choses sur les familles, les baies vitrées des appartements, les enfants des voisins du dessus, les rues où elles habitaient, ce qu’elles aimaient faire en dehors du travail ou l’association et la famille dont il faisait partie, y compris les personnages hauts en couleur de leur entourage.
J’ai trouvé ça étonnant, comme chaque fois, même si Heure-Bleue a trouvé parfois que je mettais bien longtemps pour sortir du bureau de telle ou tel autre.
Je n’ai pas perdu mon temps et la lumière de mes jours non plus qui a appris des tas de choses sur ses « voisins de chaise » dans les deux salles d’attente.
Non, les gens ne sont pas renfermés, je pense seulement qu’on ne leur prête pas assez attention et que c’est pour ça qu’ils se réfugient dans l’écran de leur smartphone.
Ce fut une journée prodigieusement intéressante.
Vraiment, les gens, c’est passionnant…
En attendant, on va me trifouiller le cinq Juin pour réduire une hernie.
Et sans couture s’il vous plaît !
Car maintenant, même le jeune chirurgien sait qu’une reprise ne sert à rien car ça va se déchirer juste à côté de la reprise…
12:08 | Commentaires (14)