dimanche, 14 janvier 2018
La solitude, ça n'existe pas...
Lectrices chéries, avez-vous une idée de ce qui fait qu’Heure-Bleue et moi sommes restés mariés si longtemps ?
Bien sûr, il y l’amour.
Mais, il y a plus.
Avec elle je ne me suis jamais ennuyé.
Elle me dit qu’elle non plus ne s’est jamais ennuyée avec moi.
Pour être honnête, c’est surtout parce que quand je ne fais pas une bêtise, elle en dit une…
Hier, en citoyens avisés, nous sommes allés faire des courses vers les Batignolles.
Mais, en badauds avisés, nous sommes passés au cimetière de Montmartre.
Un attroupement a attiré notre attention.
L’attroupement avait évidemment pour centre la tombe de Michel Berger, là où France Gall est allée le rejoindre ainsi que sa fille.
Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu une telle foule de curieux.
Le moins qu’on puisse en dire c’est que le recueillement n’était pas de mise.
Seule une femme, un peu éloignée de la tombe, semblait éprouver un réel chagrin.
Tous les autres sacrifiaient à la mode du « selfie » de façon indécente.
Nous nous sommes approchés.
Un ruban accroché à une couronne arborait fièrement « La rédaction de Gala ».
J’ai pensé avoir la berlue alors j’ai pris une photo.
J’ai regardé de nouveau.
Il y avait bien écrit ça sur le ruban.
Nous nous sommes éloignés un instant puis la lumière de mes jours, attirée par je ne sais quoi, s’est approchée de nouveau.
J’ai vu une fausse blonde qui m’a rappelé quelque chose.
Oui, c’était bien elle.
J’ai tapoté le bras d’Heure-Bleue pour qu’elle la regarde.
C’est à ce moment là qu’elle a dit « Je suis sûre que Véronique Sanson est venue vérifier qu’elle était vraiment morte ! »
À voir le regard noir que la fausse blonde a jeté à la lumière de mes jours en détalant « comme un pet sur une toile cirée », j’ai été sûr que c’était elle…
Puis nous sommes ressortis et avons remonté le boulevard jusqu’à la place Clichy.
Là, une femme que nous avions vue dans l’attroupement nous a demandé où était le métro.
Et on s’est aperçu que la solitude est dévastatrice.
En quelques minutes nous avons appris que cette femme était veuve, que son mari était mort d’un AVC à quarante-quatre ans, que depuis neuf ans elle était seule.
Je lui ai dit :
- Hé bé ! Il va être temps de faire quelque chose !
- Je n’ose pas…
A-t-elle dit d’une voix triste.
Je lui ai indiqué le chemin pour aller à Saint-Lazare à pied, Heure-Bleue lui soutenant que ce n’était pas si loin et lui ferait du bien.
La lumière de mes jours m’a dit « La solitude, c’est vraiment triste… »
Elle fait de ces découvertes, parfois…
10:30 | Commentaires (12)
samedi, 13 janvier 2018
Ma nichma ? L’abbesse.
Je sais, Mab, elle n’est pas pour tous, celle là…
Il y a des jours où je me contenterais volontiers d’un plaisir simple.
Aujourd’hui, par exemple j’avais une envie qui n’avait rien d’extraordinaire.
Une envie qui vous prend justement comme une envie de pisser.
C’était l’envie d’aller tout seul, d’un pas nonchalant le long de la rue Lamarck, jusqu’à la rue Caulaincourt.
De m’arrêter à la maison de la presse de la rue Damrémont pour y acheter Libé, bien que ce canard ne soit plus que l’ombre de lui-même.
Puis, j’aurais continué à remonter lentement la rue Lamarck, le nez dans mon journal, jusqu’à la rue Caulaincourt en évitant autant que faire se peut les passants.
Je me serais arrêté un instant devant les escaliers qui entourent la station Lamarck-Caulaincourt et j’aurais regardé autour de moi.
Je me serais alors dirigé vers la place Constantin Pecqueur, là où commence la rue Saint Vincent et je chercherais un bistrot.
Je suis sûr qu’il y en a, même si « Chez Ginette » a remplacé un vrai bistrot.
Sinon, j’aurais remonté la rue Joseph de Maistre jusqu’à la place des Abbesses.
Là aussi il y a des bistrots qui ne sont pas que des « attrape-touristes ».
Bref, j’en trouverais un, un vrai, et je m’assiérais à une table avec mon Libé.
Je demanderais un « sec-beurre-cornichons » et une « Affligem » pression.
Ce serait le pied.
Le pied d’acier.
Je serais tranquille une heure ou deux.
Je terminerais la chronique « Rebonds » en buvant un « express serré ».
Après avoir écouté les propos échangés au comptoir, je rentrerais tranquillement à la maison en descendant la rue Caulaincourt puis la rue Joseph de Maistre.
Hélas, tous ces petits plaisir doivent être raréfiés.
La « complémentaire santé » à laquelle nous ne coûtons rien a augmenté ses tarifs de façon éhontée.
En dix ans, ses tarifs ont augmenté deux fois plus vite que la moyenne des loyers parisiens.
Je le sais, je viens de le vérifier sur les tableaux « Excel » que je tiens depuis 2007.
Nous ne mourons pas de faim, bien sûr, mais tous nos menus plaisirs disparaissent au rythme des « économies » décidées à nos frais par ceux qui ne manquent de rien.
Toutes ces « économies »vont conduire combien de libraires, de cafés, de coiffeurs, d’épiciers, de bouchers, à la faillite ?
J’ai l’impression que le principal problème de l’économie, c’est que l’Homme coûte trop cher.
Mais à qui ?
Parce que la planète ne nous présentera pas la facture de la même façon…
12:20 | Commentaires (6)
vendredi, 12 janvier 2018
Avant...
Une odeur de viande grillée est venue me chatouiller les narines.
J’écoutais Paul Auster parler d’écriture, de ce qui faisait qu’on aurait ou non quelque chose à dire au monde.
Et c’est là que je me suis aperçu que Dostoïevski comme Paul Auster savaient bien mieux que moi dire l’importance des choses.
Il y a un poème de Paul Auster d’un recueil qui s’appelle, je crois « Disparitions » et qui m’est sorti de l’esprit.
Il parlait de l’impossibilité du repos une fois qu’on connaît le langage.
Il disait je crois « Car chaque mot est un ailleurs, une chose qui bouge plus vite que l’œil », si je me rappelle bien, ça se terminait sur « où il n’a pas de chez lui ».
Mais je n’en suis pas sûr, j’ai lu ça dans les années 90 en fouinant chez ma libraire préférée.
Ça traduisait à mon sens assez bien les pensées qui me viennent à l’esprit.
Maintenant il me revient que comme beaucoup d’enfants de l’époque, celle d’avant la « Guerre d’Algérie » que beaucoup appelaient « Les évènements », j’avais des amis.
Ils ont disparu dans les brumes du temps et des années, dispersés qu’ils furent par le cours des choses et les années qui tuent et voient naître.
Ils ont laissé chez moi des souvenirs, des sons, des odeurs, des images.
Beaucoup d’images.
Des images de rues ensoleillées et d’escaliers à gravir.
Des odeurs d’épices devant des épiceries closes depuis des lustres.
Des voix qui fredonnent des succès de gens qui sont morts les uns après les autres.
Bien que dépourvu de toute veine littéraire, je me suis senti étonnamment proche de Paul Auster.
Un moment j’ai même eu l’impression de le comprendre.
C’est dire...
Comme nous tous, il a remarqué dans ses poèmes que la vie est un ruisseau étrange dont le cours est décidé par le hasard des écueils croisés.
J’ai seulement constaté que l’éclairage des années donne à mes souvenirs la couleur des saisons.
Avec le « temps de mince » qui sévit ces temps ci, la couleur en évidemment est mélancolique…
Cette odeur de viande grillée est repassée par mon nez, apportée sans doute par la fenêtre de la cuisine, toujours entrebâillée « à l’espagnolette »
Je me suis demandé d’où elle venait.
Ce n’était pas le canard que j’avais fait cuire quand Imaginer et Chéri sont partis de la maison.
Puis je me suis souvenu.
Cette odeur de viande qui cuit dans la poêle et prend cette fragrance due au gras laissé dans la viande, histoire d’en rendre le prix et l’odeur attrayants.
C’était celle de certains soirs où on attendait mon père.
Celle où il allait arriver, où il allait déposer un léger baiser sur la bouche de ma mère.
Quand c’était comme ça, elle lui disait « Bonsoir Lemmy. »
J’aimais bien les soirs où il y avait l’odeur de la viande dans la poêle et où elle appelait mon père « Lemmy ».
C’était mieux que les « soirs à soupe à alphabets ».
Ceux où elle appelait mon père « Gaby » d’une voix bougonne.
Les soirs de fin de mois précoce…
Il est très fort, ce Paul Auster, quand même…
10:22 | Commentaires (9)
mercredi, 10 janvier 2018
Le traitement des os usés…
De rien Mab…
Mardi, il faisait le temps de mince auquel je n’ai jamais pu m’habituer.
Malgré tout, il faut bien sortir alors nous sommes sortis.
De temps à autre, la corde aventurière nous saisit et nous partons dans la direction opposée à celle qui nous attire.
Quand il fait triste, comme le temps ces temps-ci, notre côté préféré prend un air romantique, genre Verlaine avec le doux bruit de la pluie par terre et sur les toits ou les sanglots longs des violons de l’automne, tout ça.
Quand il fait triste, l’autre côté, trois cents mètres parcourus, prend en revanche tout de suite un air qui me rappelle Maxence Vandermeersch, genre « Quand les sirènes se taisent ».
Cette extrémité de la rue Championnet, je la connais depuis moins longtemps que l’autre.
A ce bout il y avait l’entreprise d’appareils de mesures « Chauvin-Arnoux », je n’ai donc connu cette extrémité que plus tard.
A l’autre il y avait une « École de Garçons » et, à côté, une « École de Filles ».
Je n’y ai passé que trois mois.
Assez pour apprendre qu’il fallait rendre les coups pour ne pas se faire piétiner et ne pas être trop regardant sur le « fair play » si on voulait s’en tirer vivant.
Arrivé là de ma digression, je me demande pourquoi j’en suis arrivé à vous parler de la rue Championnet.
C’est tout bêtement que nous ne serions pas descendus « de l’autre côté » s’il n’y avait pas là, au coin de l’avenue de Saint Ouen, la meilleure boulangerie de la rue Championnet.
Si ce n’était de surcroit le trajet qui mène au Monop’ de Villiers en une chouette promenade, on ne descendrait jamais de ce côté.
Nous sommes allés lundi y boire un café au « Café d’ID » rue de Lévis.
Ils ont mis de la musique, on se croirait dans une boutique de fringues.
On ne peut plus être tranquille nulle part…
Aujourd’hui je ne sais où nous irons, mais une chose est sûre, nous irons vers « le bon côté ».
Peut-être le « bon côté » est-il celui qui, bien qu’il soit en pente raide, me retire des années à chaque pas dans la direction de la basilique.
Allez savoir, lectrices chéries…
Les immeubles n’y sont pourtant pas plus gais, même s’ils n’ont plus le côté lépreux qu’ils avaient dans les années cinquante et soixante.
Non, c’est autre chose.
Je suis incapable de vous dire quoi.
En y repensant, je me dis de l’autre côté, Paris est affairé, occupé alors que du « bon côté », il est vivace.
C’est ça !
Notre côté préféré est vivace alors que l’autre est occupé…
Vendredi nous irons par un autre chemin au square d’Anvers, au petit marché qui le borde et nous y achèterons de la saucisse d’Auvergne et du chou.
Enfin, normalement…
Parce que nous savons bien, Heure-Bleue et moi qu’une envie soudaine de lentilles du Puy et de « petit-salé » peut nous prendre soudain et chambouler le programme.
D’ailleurs je suis sûr que vous savez bien lectrices chéries que nous faisons des programmes pour les chambouler, surtout pas pour les respecter…
10:23 | Commentaires (12)
lundi, 08 janvier 2018
Absence…
Je monte difficilement l’escalier aujourd’hui.
Aujourd’hui plus que d’habitude.
Je ne m’habituerai jamais.
J’ai mal.
Elle me manque.
Elle me manque tant…
Ça fait des années qu’elle est partie.
Je n’ai jamais su pourquoi.
Je me demande tous les jours pourquoi elle m’a quitté.
Même les enfants ne me l’ont pas dit.
Ils ne m’ont jamais rien dit.
Pendant que je ressassais ça, comme tous les jours depuis…
Pfff… Depuis des années.
Je ne sais plus combien.
Elle me manque depuis si longtemps…
J’aurais dû être guéri, depuis le temps, mais non, tous les jours c’est comme si elle avait claqué la porte la veille.
J’insère la clef dans la serrure et ouvre la porte qui donne sur l’entrée.
Et je revis !
La console n’est plus ce meuble désert, vaguement occupé par la coupelle dans laquelle je pose la monnaie du pain ou une agrafe qui encombre ma poche.
Elle est revenue !
Je sais que c’est elle, rien qu’au bouquet de tulipes.
Elle adore les tulipes.
Je reconnais ses gants, cette paire de gants que les années n’ont pas même effilochés.
Et cette petite pochette !
Cette petite pochette de tissu que je lui avais ramenée de je ne sais où et qui lui plaisait tant.
Elle m’embrassait chaque fois qu’elle la prenait.
Oui, elle la prenait, la faisait tourner autour de son poignet et me donnait un baiser.
Évidemment, comme toujours elle a laissé traîner sa boîte d’allumettes et son étui à cigarettes.
Elle est revenue !
C’est la première fois depuis des années que je suis vraiment heureux.
C’en est douloureux...
***
Elle arrive essoufflée au deuxième étage, y trouve son frère devant la porte.
Les pompiers et la police sont à l’intérieur, appelés par un voisin.
En entrant, elle pose son sac sur la console déserte, à côté de la petite coupelle où reposent quelques pièces de monnaie et un trombone.
Le corps de leur père est là, en travers de l’entrée.
Elle dit alors à son frère :
- Heureusement, il a toujours cru qu’elle s’était enfuie avec on ne sait qui.
- Si on lui avait dit qu’elle était morte...
- Oui… Je sais bien comment il était, il serait mort peu après…
- Oh oui, il aurait passé ses journées à attendre la mort.
- Alors que là, il a juste attendu pendant des années qu’elle revienne.
- Tu crois vraiment qu’il ne savait pas ? Il n’était pas idiot, quand même…
Elle a regardé son frère :
- Il avait besoin d’une raison pour vivre, alors il l’a attendue, même s’il savait qu’elle ne reviendrait jamais.
- Bon, là, c’est lui qui l’a rejointe.
Ils ont payé le médecin et attendu les pompes funèbres dans l’appartement froid aux fenêtres grandes ouvertes.
Elle a dit :
- Tu te rends compte ? Il a pleuré plus de dix ans sans savoir qu’elle était morte.
- Tu le crois, ça ? Que nos parents s’aimaient comme ça ?
- Peut-être que pour lui, il était simplement impossible que maman soit morte...
09:37 | Commentaires (17)