lundi, 20 janvier 2014
Mal armé...
Ce matin, l’oreille frappée par un commentaire, l’œil attiré par une petite annonce et la cervelle occupée par des pensées indignées, je ne peux m’empêcher de faire des rapprochements dont je m’empresse de vous faire part, lectrices chéries, afin de susciter chez vous ce sursaut d’indignation qui vous va si bien et vous maintient en forme.
« Le succès de la lutte contre le chômage passe par un niveau de formation élevé. »
Quelque chose me laisse toutefois rêveur.
« Cherche ingénieur, niveau bac+5, vous serez à la tête d’une équipe de 5 personnes et aurez en charge l’étude et le développement de systèmes dans le domaine de l’avionique. 35/42 k€/an »
« Avec une moyenne de 1,3 but par match, Bidulovic, 23 ans, entre dans la légende et vient de rejoindre le club de … pour un salaire de 14 M€ par an net d’impôts. »
Bon, vous connaissez mon amour modéré pour le sport mais je me demande si je n’ai pas commis une erreur tragique en devenant ingénieur.
Et encore, j’ai eu la chance de travailler à une époque où celui qui aurait osé proposer des salaires aussi minables à un ingénieur aurait été giflé…
Pourtant, quand j’avais quelques mois, années, décennies de moins, j’avais l’œil vif, la jambe fine et musclée, la cervelle pas encore embrumée par des bêtises comme Ophélia, La divine comédie, la loi de Lentz, la constante de Planck, La mort des amants, les quatuors Rasumovski ou les équations de Maxwell ou Hamilton, j’aurais pu, j’en suis sûr, être footballeur.
Bon, ça n’a évidemment pas que des avantages, j’aurais pu me retrouver marié avec Nolwenn…
Et puis, je dois avouer que rien que l’idée de me taper des matinées entières à arpenter un stade à petites foulées sous les engueulades d’un entraîneur caractériel et aller courir comme un cinglé pendant quatre-vingt-dix minutes une ou deux fois par semaine sous les huées d’une foule de lascars qui ne sont jamais contents tandis que des centaines de milliers d’autres, avachis sur leur canapé avec une bière dans une main et une poignée de cacahuètes dans l’autre expliqueront doctement à leur téléviseur ce que j’aurais dû faire pour marquer le second but, ça me saoule !
J’aime mieux faire partie de ceux qui ne foutent rien et éteignent la télé pour échapper à « l’analyse » du commentateur.
Quoique…
Finalement…
Ecouter un type qui n’a joué au foot que pendant les matinées stade du lycée donner des conseils à des mecs qui gagnent des fortunes en gagnant des matches a un petit quelque chose de surréaliste qui frise la poésie de Mallarmé…
09:06 | Commentaires (9)
dimanche, 19 janvier 2014
La diagonale du flou...
Hier, Heure-Bleue et moi, sommes revenus de notre promenade parisienne sur les genoux.
C’était le tour d’Heure-Bleue de la jouer nostalgie.
Nous avons donc erré dans le XVIIème, bu un café avenue de Villiers en papotant longuement avec un couple de Kurdes que nous ne connaissions pas et qui venait de s'installer dans le quartier.
La conversation avait commencé avec Heure-Bleue demandant à la dame si les toilettes du café étaient « acceptables ». A continué avec votre Goût adoré prévenant le monsieur que sa fille, une petite fille d’environ quatre ans, était en train de le rouler dans la farine et qu’il ferait bien de se méfier. Nous avons conversé ainsi une bonne heure avec de parfaits inconnus.
Tout cela nous a pris du temps, nous n'avons pas eu le temps de faire des courses, seulement d'acheter une baguette.
Nous sommes revenus à la maison pour nous apercevoir qu’en réchauffant ce qui restait de légumes frais et en le mélangeant avec une boîte de carottes nous aurions les légumes tandis qu’un steak haché pour l’une et une tranche de jambon pour l’autre compléterait le repas.
Ça y est lectrices chéries ! Vous pouvez reprendre un souffle stoppé net par ces aventures palpitantes…
Nous avons alors allumé le téléviseur, histoire d'être au courant de la marche du monde.
Nous avons appris que non seulement nous avions une Première Petite Camarade de Jeux mais que nous allions probablement avoir une Deuxième Petite Amie.
Puis, lassés par les nouvelles plus très fraîches vu qu’on nous les sert depuis une semaine, nous avons attendu en papotant l’émission que nous attendions.
« Echappées belles » nous promettait un voyage intéressant en Israël.
Ô surprise ! Nous avons voyagé en terre tout à fait connue.
Nous avons bien entendu reconnu Tel-Aviv, surtout « kibboutz galuyot » (« le rassemblement des exilés ») rue intéressante où j’ai travaillé quatre ans. Jaffa et le rocher où Andromède était prisonnière – tu ne peux pas nier, Persée… Ouais, bon...- et quelques restaurants où nous avions déjeuné et dîné.
C’était bien, l’effet se faisait déjà sentir à la maison, ce n’était plus l’hiver.
Heure-Bleue commençait à avoir trop chaud et moi à me sentir bien.
Tous deux, quand le voyageur s’est rendu à Akko, que vous connaissez, lectrices chéries sous le nom de Saint-Jean d’Acre, avons ressenti une bouffée de nostalgie.
Mais si, vous savez bien, quand la gorge se serre, comme ça m’arrive parfois quand je pense à tout le temps que j’ai passé à Barcelone ou à Paris. Bref, l’effet des souvenirs, quoi…
Heure-Bleue et moi, donc, avons soupiré en reconnaissant le faux Père Noël, Uri Buri, faisant un cinéma d’enfer alors qu’il fait en réalité la publicité pour son restaurant.
Son restaurant n’a pas changé. Il est probablement plus cher. Il l’était déjà.
Mais vous savez ce qu’il y a de plus beau, à Akko ? Les couleurs. Le bleu de la mer et celui du ciel. Les ciels d’Akko sont des ciels italiens, quasiment vénitiens tandis que le bleu de la mer n’est pas le bleu de la Côte d’Azur mais un bleu profond, océanien.
Et puis, Akko est aussi une ville où, en retournant vers la ville sur quelques centaines de mètres à peine, vous arrivez au « khan ».
Là, vous vous dites, en regardant les arcades de la galerie qui surplombe et entoure la petite place et le puits en son milieu, occupée seulement par le marchand d’oranges « mais bon sang ! Où sont les esclaves ? Et les sultans ? Et la foule ? » Puis ça vous revient et, tel le commissaire Bourrel, vous vous dites « Bon sang mais c’est bien sûr ! »
Eh oui, lectrices chéries, vous vous apercevez soudain que vous êtes au milieu d’un tableau de Delacroix.
Aller si loin pour se retrouver au Louvre…
10:18 | Commentaires (5)
vendredi, 17 janvier 2014
Chantons pour le sport...
Un commentaire de Liwymi m’interpelle :
« Quand tu étais môme, les exploits sportifs ne te faisaient pas rêver ? »
Liwymi... Tu as de ces questions...
On ne dirait pas que tu me lis depuis des années.
Ou bien tu survoles.
J’aime beaucoup Liwymi, j’aime ce qu’elle écrit, la façon dont elle l’écrit, tout ça.
Bon, on n’est jamais d’accord.
Mais elle a de si jolis yeux. Si bleus.
Bon, elle est blonde mais que voulez-vous, nobody’s perfect.
Cela dit, Liwymi, ma grande, je dois t’avouer quelque chose à propos des exploits sportifs :
Ça ne m'a jamais fait rêver. Jamais !
Ce qui me faisait vibrer, c'était la conquête de l'espace, Laïka, Luna I, les fusées Atlas-Convair.
Bref que des trucs à se casser la gueule !
Ou à se retrouver borgne…
Mais la question me rappelle avec acuité pourquoi je déteste le sport.
Il y a évidemment mille autres raisons mais celle qui suit me semble la première, le plus évidente, la plus sûre.
Tu sais, Liwymi que j’étais un petit gamin à la fin des années cinquante.
Je sais aussi que tu t’en fous mais il faut que je te dise.
Quand je suis entré au lycée, « l’horaire normal » dans les entreprises était de quarante-cinq heures.
Si « les masses laborieuses », dont mon père faisait partie, ne voulaient pas voir la fin du mois arriver le dix, il fallait « faire des heures sup’ ».
En pagaille, les « heures sup’ ».
Si possible de nuit, ça rapportait plus.
Je ne m’étendrai pas sur le fait que ça a permis au Père Noël de mettre « Le Petit Chimiste » dans mes souliers l’année suivante avec les conséquences que tu connais.
En revanche, ces horaires décalés ont eu un effet néfaste sur ma vocation de sportif.
Tu sais combien les enfants sont turbulents, surtout quand les parents voudraient un peu de calme.
Le dimanche, par exemple.
Mon père, qui bossait –je ne vois pas d’autre mot- une bonne soixantaine d’heures par semaine, et pas avec un crayon, arrivait le dimanche midi sur les genoux.
Il écoutait les informations pendant lesquelles il exigeait un silence religieux puis, le repas terminé, s'allongeait sur la banquette pour une longue sieste.
Et c’est là que le drame se noue.
Ma grande sœur n’avait pas toujours envie de nous traîner, ma sœur cadette et moi, en promenade. A seize ans on a d’autres préoccupations que les petits frères…
On aime toujours les garçons, mais plus grands. Elle montait donc des bateaux à ma mère et partait pour l'après-midi.
Mon père, pourtant aussi sportif que son rejeton, laissait la radio en sourdine commenter les inévitables matches de foot.
Ça commençait par cette chanson qui m’a agacé depuis la première fois que je l’ai entendue.
J’avais l’oreille fine et les commentaires des journalistes sportifs m’agaçaient déjà prodigieusement. Ils m’empêchaient de rêver tranquille.
Quand j’avais l’oreille attirée par les premiers ronflements de mon père, j’écoutais soigneusement. Puis, sûr que mon père dormait, j’allais tout doucement vers le poste, montais sur le coffre –le poste était perché pour être hors de la portée d’un fils bidouilleur- et éteignais la radio.
Hélas, trois fois hélas, si faible que fût le niveau, au point d’être couvert par les ronflements paternels, le fait d’éteindre le poste le réveillait en sursaut…
Ma mère arrivait du boyau qui servait de cuisine, m’engueulait, rallumait le poste et je n’avais rien d’autre à faire jusqu’au soir que lire.
Alors que j’aurais pu apprendre mes récitations, par exemple…
08:02 | Commentaires (13)
jeudi, 16 janvier 2014
Les coups lisses de l'exploit.
Evidemment, lectrices chéries, la note que j’ai eu le plaisir de vous écrire hier est incomplète.
Et le restera. J’y reviens tout de même.
Je voudrais rassurer Berthoise que ma note semble avoir froissée.
(Bon, Berthoise, pas la peine de dire « Oah l’autre ! Pas besoin de me rassurer ! J’ai pas eu peur, non mais qu’est-ce que tu crois ! » je te crois, mais laisse moi parler s’il te plaît, c’est mon blog, pas le tien non mais !)
Il est évident qu’il n’était pas question de déconsidérer la psychanalyse et ses officiants.
Il était seulement question pour moi de vous dire que celle à qui j’ai donné quand même une petite fortune ne me convenait pas.
Cela dit, comme je vous l’ai dit hier, à moins d’être « sévèrement taché », on a peu, pour ne pas dire aucune, illusion sur soi.
Si, peut-être.
Il arrive d’être surpris de constater sous la toise qu’on est moins grand que ce que l’on croyait ou de ne pas rentrer dans ce pantalon du 36 qui nous allait si bien il y a quoi ? A peine quarante-cinq ans ?
Pour le reste, ne rêvons pas.
Nous savons ce que nous valons. Pire, nous savons ce que nous ne valons pas.
Et, « bien plus pire » encore, la lecture de certains auteurs nous enfonce le nez dans les profondeurs de nos illusions.
Il suffit qu’elle le fasse quand on est jeune.
Du coup, quand vous êtes assez jeune pour apprendre que la plupart de nos problèmes sont dus à de sévères craquements entre ce que l’on est et ce que l’on voudrait ou croit ou paraît être, vous vous mettez à admettre ce que vous êtes.
Ça ne veut pas dire que vous cessez de faire un peu de cinéma quand le besoin s’en fait sentir.
Ça veut seulement dire que vous savez que vous faites du cinoche.
Et que vous changez de film avec l’âge et les circonstances.
Votre Goût adoré, par exemple, l’a fait.
Je suis sûr que vous ignoriez qu’il a été Steve Reeves en 1958. Bon, en fait c’était Hercule en train d’étrangler le lion de Némée. Je me souviens que Sylva Koscina jouait le rôle de Iole, mais déjà les blondes ne me branchaient pas.
J’ai aimé, j’ai même cru être, Chris Adams dans « Les sept mercenaires ».
Et je n’étais pas seul je vous assure. Si vous aviez vu les autres garçons sortir du ciné, vous auriez vu un paquet de Yul Brynner, mais chevelus, sortir en même temps que moi. On se tenait droit, on gagnait deux centimètres, facile !
Bon, en grandissant on change de héros en même temps que de centres d’intérêts.
Comme j’étais plutôt fleur bleue, même si c'était plutôt « fleur bleue avec arrière-pensées », j’ai été Robert Taylor un jeudi, au ciné-club du lycée.
Il faut dire qu’Ava Gardner était une Guenièvre magnifique dans « Les chevaliers de la Table Ronde ».
Et tout va comme ça chez votre serviteur.
Même si aujourd’hui, à en croire ce que j’entends parfois dans les transports en commun, nombre de gamins se voient plutôt en Rocco Siffredi dans « Anal plus » qu’en Burt Lancaster dans « Tant qu’il y aura des hommes »...
Ah ! J’allais oublier de vous dire ce qui me semble essentiel : On vieillit mais on ne grandit pas.
On n’est pas trahi que par ses articulations.
On est aussi trahi par les siens.
Oui, Heure-Bleue m’a démoli auprès de l’Ours. Elle a dit « ton père aime les trucs chiants ! »
Elle ne s’est pas plus laissé arrêter par l’œil malicieux de son fils que par celui de son mari.
Elle a continué :
- Tu te rends compte, il aime les films d’Eric Rohmer ! Et pas que « Ma nuit chez Maud » non, tous !
Et ce chien de dire :
- Ouais bon, c’est papa...
Allez lectrices chéries, il ne vous reste plus qu’à me décerner la médaille d’or de la digression.
08:43 | Commentaires (12)
mercredi, 15 janvier 2014
Cet homme est plein de witz
Vous savez quoi, lectrices chéries ?
Eh bien, une fois je suis allé voir un psy.
La docteuse qui nous soignait, Heure-Bleue, l’Ours et moi me l’avait recommandée après une période de vague à l’âme qui avait saisi votre Goût adoré.
Et m’avait prévenu. Elle m’avait dit, avec semble-t-il un peu d’envie dans la voix « vous verrez, en plus elle est très belle. »
J’ai donc vu un psy.
Un vrai.
Enfin, une vraie.
Plus exactement une qu’on paie et qui est remboursée par la Sécu.
Tout aurait pu se passer le mieux du monde si elle ne m’avait pas demandé de m’allonger sur le divan.
Je l’ai regardée longuement. C’était vraiment une très jolie femme.
Elle a eu à ce moment un air de doute.
Puis un vague sourire.
Et a commencé « Il est peut-être un peu tôt pour... »
Et j’ai continué « Faire un transfert... Mais bon, tant à faire, autant que ce soit avec une jolie femme. »
Là, elle n’a pas souri du tout et m’a parlé de « trait d’esprit ».
Ce qui n’est pas un compliment pour quelqu’un qui avait lu « Le mot d’esprit et ses relations avec l’inconscient »...
C’est là que j’ai compris que c’était une lacanienne et que j’ai commencé à me chamailler avec elle.
Ne me dites pas que je suis insupportable, je le sais.
Elle a commencé à me parler de « désir ».
C’est quand je lui ai fait remarquer que le « trait d’esprit » est un « trait d’esprit » quand il sort de la bouche du thérapeute et le signe certain d’un « délire » quand il sort de la bouche du patient que ça a dérapé.
Alors que j’étais plutôt enclin à croire qu’un psy n’est pas là pour « formater » et que la « normalité » est un concept fluctuant qui n’a rien à faire dans la bouche d’un thérapeute, le discours qu’elle m’a tenu m’a permis de faire économiser à la Sécu une somme rondelette.
Ben oui, imaginez ce que peut coûter un appartement tout près de l’hôtel Georges V.
Au bout de quarante-cinq minutes, elle m’a dit « jeudi prochain, quinze heures ? »
Le jeudi suivant, je suis arrivé un peu en avance. Un café dans un petit salon proche de son cabinet m’a foutu sur la paille pour trois mois. Même servi par un amiral anglais du XIXème siècle, ça m’a estourbi.
A quinze heures, je suis allé à son cabinet. Elle m’a reçu immédiatement.
Nous avons recommencé à n’être pas d’accord.
Cela dit, ça m’a permis d’apprendre qu’elle avait particulièrement apprécié « Ma saison préférée » sur quoi elle s’est longuement étendue aux frais de la Sécu.
S’en est suivi un assez long discours sur le relativisme moral et l’amour fraternel.
Les quarante-cinq minutes ont été largement dépassées.
J’ai retiré de certaines de ses réflexions qu’elle avait de sérieux préjugés.
Bref, j’aurai à cette occasion, fait des chèques pour écouter une psy qui voulait m’allonger sur son divan.
Alors que c’était à elle de m’écouter et que je l’aurais volontiers allongée sur son divan.
Je ne suis jamais retourné la voir.
Cette tentative d’analyse ne m’a jamais empêché de faire des bêtises.
Certaines plutôt grosses.
Elle m’aura permis de constater deux choses, que le psy ne va pas mieux que son patient et que l’on a beaucoup moins d’illusions sur ce que l’on est réellement que sur ce que sont les autres.
Ce qui permet de se faire avoir tout au long de sa vie.
Et c’est très bien. Le manque d’illusions sur les autres est mortel, j’en suis sûr.
Merci lectrices chéries de m’avoir écouté.
Peut-être avec bienveillance.
Sûrement sans dommage pour la Sécu.
08:46 | Commentaires (12)