lundi, 11 juin 2018
Appassionata...
Il m’énerve ce type, au dessus, à tapoter « La lettre à Elise » depuis une heure.
On dirait qu’il ne connaît que ça.
Peut-être que c’est « La lettre à Elise » qui m’a poussée à aller voir s’il y avait quelque chose dans la boîte à lettre.
Il y avait quelque chose.
Tiens ! Il s’est arrêté de jouer !
J’ai ouvert la lettre.
C’est à ce moment qu’il a commencé à jouer cette sonate que j’aime particulièrement.
Oui, j’ai l’âme à écouter « Appassionata » en ouvrant la lettre.
La petite fleur de « mouron » bleue dans le coin de l’enveloppe donne un air niais à cette lettre.
Il n’y a rien au dos, pas une seule indication de l’expéditeur.
L’autre, là, au-dessus y met du cœur à « Appassionata ».
Il se débrouille pas mal du tout.
Bon, ce n’est pas Yves Nat et il y met plus de sentiment que de technique mais ça commence à me plaire.
« Mademoiselle,
Je vous regarde passer tous les matins sur le trottoir en face.
Tous les matins je me demande comment je pourrais vous aborder.
Le midi ? Rien. Vous ne rentrez pas chez vous déjeuner.
Mais je regarde toujours par la fenêtre, des fois que je vous aperçoive.
Et chaque soir j’attends de vous passer.
J’entends la gâche électrique zonzonner quelques instants et la porte qui claque puis votre pas léger.
Il est léger votre pas, Mademoiselle, si léger…
Si j’osais, je me lancerais à vous conter des histoires de papillon voletant au dessus des marches mais je pressens que ce serait accueilli par un haussement d’épaules.
Alors je me contente de supputer quelle serait votre attitude en m’écoutant jouer « Appassionata », cette sonate qui dit si bien ce que je ressens et que je joue hélas si mal…
Dites moi, faites moi seulement un signe, même discret.
Un signe qui me dirait que vous n’avez pas jeté bêtement cette lettre en haussant les épaules.
Dites moi, faites moi seulement un signe qui me ferait comprendre que vous aimeriez que je vous joue d’autres sonates.
Un seul petit signe. »
Il est joli garçon, le pianiste au dessus et ça fait un moment que je me demande si sortir avec lui serait une bonne idée.
Aller au cinéma avec lui serait sans doute agréable.
Je pense que ce sera agréable, et il a un toucher si délicat que je me dis que.
Je ferme les yeux et j’écoute ses doigts glisser sur le clavier.
Et je me dis que… Un tel toucher…
Je passe le bout de ma langue sur les lèvres…
Bon, je vais monter lui demander s’il veut bien m’accompagner au cinéma dimanche.
Ces doigts si délicats, je suis sûre que…
Ce toucher… Mon dieu…
09:54 | Commentaires (13)
dimanche, 10 juin 2018
Famille, je vous ai…
Heure-Bleue et moi avons fait le test « Mais qui donc est Icare ? » du Télérama de cette semaine.
Nous nous sommes aperçus avec stupeur que si on avait oublié de quoi on avait dîné la veille, on se rappelait parfaitement ce que nous avions appris en quatrième.
Ça nous a occupés quelques minutes…
Depuis, je m’inquiète de cette façon qu’a la mémoire de nous jouer des tours pendables.
Comment se fait-il qu’après des décennies, on arrive à ressentir des émotions telles on les a ressenties au moment où elles nous ont étreints alors que leur source a disparu depuis longtemps ?
Comment se fait-il que les mêmes images et les mêmes lieux les ravivent si bien ?
Comment se fait-il que la même passoire, pour peu qu’elle ait échappé à notre attention et notre regard quelques minutes ait complètement disparu de notre esprit alors qu’on l’a posée là le temps de sortir la casserole du feu et qu’on n’arrive plus à mettre la main dessus?
On dirait que, comme pour les artères qui se bouchent et empêchent le sang de circuler correctement pour cause d’étranglement mal placé, il y ait une sorte d’étranglement entre l’hippocampe et le reste de la cervelle qui empêche le mécanisme de stockage de fonctionner correctement.
Ce petit test a ravivé d’autres souvenirs.
Évidemment, j’en ai retiré que je n’étais pas un enfant très sage et que ça a donné un adulte pas vraiment plus sage.
Bon, un adulte pas sage du tout.
En y réfléchissant un peu, même adulte est un abus de langage…
De proche en proche, ça m’amène à penser à ma cousine.
Et à sa fille.
Je ne sais pas comment lui dire « Maintenant tu sais que la vie est brève, tu as vu qu’elle peut s’arrêter avant que tu n’aies le temps de dire « ouf », alors ma biche, profite de la vie. Ne laisse personne la gâcher, c’est la seule que tu as. Soit gentille mais ne te laisse pas marcher dessus. »
Je n’ai aucune idée de la façon de s’y prendre pour lui dire ça...
Sa fille à qui il faudra bien dire de ne pas se morfondre car la vie est brève et qu’il faut en goûter tous les moments.
Les bons comme pour les « resucer » comme des bonbons un peu poussiéreux retrouvés par hasard au fond d’une poche.
Les mauvais, pour les jeter car se rappeler leur goût amer gâche l’instant présent.
Plus tard peut-être, lui répéter les horribles histoires que racontait sa mère.
Et puis lui raconter le côté maternel étrange de la famille dont elle est issue.
Même si cette jeune fille est plutôt sérieuse, je pense que ça devrait lui donner un regard plus réservé sur ce qu’est vraiment « être adulte ».
Mais comment lui dire que non, sa mère ne l’a pas abandonnée.
Elle lui a été arrachée.
Tu vas devoir marcher toute seule maintenant, toi, ma petite-cousine.
Si tu veux, je te raconterai des histoires de ta grand’ mère, « sérieusement tachée ».
Et des histoires de ton grand-oncle, mon père, qui ne valait pas mieux…
Et des histoires d’une autre grand’ tante, carrément « fondue au noir », celle qui lavait les œufs « parce que le cul des poules, c’est sale. »
10:20 | Commentaires (8)
vendredi, 08 juin 2018
Un crabe sans tambour ni trompette…
Hier, souffreteux mais plein d’allant, j’ai accompagné Heure-Bleue à la feunaque pour acheter les deux nouveaux tomes de la série qui bientôt nous agacera et que nous laisserons tomber.
Eh bien nous avons fait des économies !
Les deux bouquins ne seront disponibles que dans une semaine !
Nous avons repris le 95 pour revenir à la maison, déçus mais moins pauvres que prévu grâce à l’absence de nos bouquins…
Il faisait chaud. La lumière de mes jours fondait.
Évidemment elle me faisait fondre.
Mais pas pareil car j’aime bien avoir chaud.
Nous étions assis face à face, elle avait les yeux au soleil.
Ils étaient d’un bleu-vert magnifique.
En arrivant place de l’Europe, elle me dit « Demain on reste à la maison, on ne fait rien… »
J’ai seulement dit « Ah bon ? »
Elle a ajouté, « Oui… Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire ? »
J’ai regardé autour de moi, il n’y avait que des gens à qui la température donnait l’air renfrogné.
Comme d’habitude, quand je vois les gens faire la gueule, j’ai eu l’idée idiote de les secouer en disant à haute voix « Mais si ! On va boire et faire l’amour comme des bêtes ! »
Puis je me suis dit, à voir la mine de mes voisines, que ça allait faire scandale.
C’était d’ailleurs pour ça que j’avais eu cette idée.
J’en ai fait part à Heure-Bleue qui a souri et haussé les épaules.
De toute façon, ça m’évitait de penser à ma cousine qui est partie ad patres, tirée par un crabe qui la malmenait depuis des années.
Tenace, la bestiole...
J’en ai un peu marre de voir mourir les gens que j’aime.
Je n’ai pas voulu aller la voir au funérarium.
J’ai encore dans les yeux l’image de mon père qu’une idiote avait décidé de montrer, cercueil ouvert.
Je ne veux pas voir ma cousine à l’humour si trash et au sourire si gentil esquintée par la Faucheuse.
Je ne veux voir que son sourire quand elle racontait une monstruosité.
Oui, on se racontait des histoires de cancéreux, elle et moi...
Vous savez bien, les horreurs que se racontent les cancéreux pour oublier le crabe.
C’est pas comme les pauvres racontés par les députés, nous on savait de quoi on parlait.
On va même aller à l’église.
C’est d’autant plus étrange qu’elle ne croyait pas plus que moi en un dieu quelconque et n’était même pas chrétienne.
Pour finir la journée on l’accompagnera au crématorium du Père Lachaise.
C’est là qu’elle fumera pour la dernière fois.
Oui, elle n’avait jamais pu arrêter la clope…
10:14 | Commentaires (20)
mercredi, 06 juin 2018
Saint Simon le styliste…
Avant les derniers ministres de la santé, en matière de médecine, le mot « patient » n’avait pas la signification qu’il a prise aujourd’hui.
« Patient » venait du latin « Patior, passus, passum » souffrir, endurer.
Verbe qui a donné naissance à « passion » en français, ce qui prouve bien que l’amour est une entreprise hasardeuse.
Être patient est une vertu qui est de même origine, le patient est celui qui attend.
Aujourd’hui, cette acception a pris tout son sens.
Et pourquoi cette longue digression, lectrices chéries ?
Eh bien parce que mon séjour à l’hôpital ne fut pas aussi bref qu’il eût dû l’être.
On me convoqua à sept heures et demie.
On m’annonça vers huit heures et demie que j’irai me faire étriper à onze heures.
Une dame plutôt revêche est passée prendre quelques renseignements dont elle disposait depuis trois semaines.
Elle pesta parce que le planning, si bien rangé au départ, dérivait sérieusement.
Je lui demandai alors « pourquoi ? »
« Une urgence, évidemment, pfff… ah la la… »
Je commis l’erreur de lui dire qu’on était dans un hôpital et qu’il était courant qu’on accueille des gens qui avaient besoin d’être sauvés sur le champ.
Elle s’est tournée vers moi, l’air excédé avec j’en suis sûr, l’idée de me dire « ils pourraient aller mourir ailleurs sans foutre le bordel dans mon planning ! »
C’est là que j’ai remarqué qu’elle avait de très jolis yeux bleus, le bleu de certaines fleurs, qui tire légèrement sur le mauve.
Je lui ai dit « vous avez vraiment des yeux d’une couleur magnifique ».
Elle a haussé les épaules, puis a souri et m’a dit « merci ».
Compte tenu de la vêture hospitalière ante opération, je n’ai pas pensé un instant « Youpee ! J’ai un ticket ! »
Elle a ajouté, « vous descendrez probablement vers treize heures trente. » et est partie d’un pas plus léger.
La lumière de mes jours qui me tenait compagnie malgré l’interdiction affichée est partie déjeuner.
Je suis effectivement descendu vers treize heures trente… Pour entrer en salle d’opération à quatorze heures quarante.
On m’a endormi, avec un truc qui pue gravissime, vers quinze heures.
Je me suis réveillé comme une fleur à seize heures quarante.
Deux charmantes dames m’ont dit « houlà ! Qu’est-ce que vous avez parlé ! »
J’ai dû avoir l’air inquiet car l’une m’a dit « Ne vous inquiétez pas, rien ne sort de la salle de réveil mais je peux vous dire que vous avez aussi beaucoup demandé à manger… »
L’autre jeune femme a dit « c’est vrai ça ! » et a ajouté « Oh my God ! »
J’ai dit « Oui ? », elle a dit « Non, pas vous ! » et elle a ri.
Elle était d’origine africaine et ressemblait à une femme que j’avais vue il y a quelques années sur une affiche.
Je l’ai regardée et le lui ai dit.
- Il y avait quoi sur cette affiche ? M’a-t-elle demandé.
- Il était écrit « J’ai rêvé de Dieu ! Elle était Noire ! »
Ça lui a fait très plaisir. Il faut toujours être bien avec les gens qui ont plein de seringues et d’outils dangereux entre les mains…
En attendant, Heure-Bleue était d’une patience d’ange avec moi, ce qui ne va pas durer.
La lumière de mes jours a été épuisée par mon opération…
C’est normal, j’ai dormi alors qu’elle se faisait du mouron.
10:29 | Commentaires (23)
mardi, 05 juin 2018
ce matin, j'ai cent ans.
Plus exactement, je me suis réveillé cinq minutes avant la sonnerie de mon téléphone.
Comme hier soir nous ne nous sommes pas couchés plus tôt que d’habitude, une expression bien connue du côté de la zone me semble particulièrement appropriée :
« J’ai les musettes à chagrin qui m’arrivent au genoux. »
La lumière de mes jours est éteinte ou du moins tremblotante.
Telle la bougie en fin de mèche.
Nous partons bientôt pour la léproserie où je vais approfondir le trou de la Sécu avec application.
Plaignez-moi, lectrices chéries !
Ah ! Que j’aimerais entendre vos sanglots m’accompagnant vers mon lit de douleur !
Hélas ! Trois fois hélas ! Le « temps de mince » de ce matin vous voit sans doute enfouies sous des couettes.
Néanmoins, je suis éperdu de reconnaissance à votre endroit.
Tous ces souhaits de réveil alerte et triomphant me requinquent d’avance...
Merci lectrices chéries.
J’aime que vous soyez là, un jour comme psy gratos, un autre jour telles les femmes de marin.
M’encourageant, agitant vos foulards au bord du quai.
Saluant le départ pour un sommeil artificiel qui ne devrait pas excéder une heure.
Bon, à plus tard, lectrices chéries…
06:24 | Commentaires (20)