jeudi, 11 septembre 2014
De viris illustribus urbis Lutetiae... Dont R.
Hier, nous sommes allés chez une blogueuse qu’on aime.
Oui, d’accord Milky, « chez une des blogueuses qu’on aime », je sais que as toujours apprécié les démonstrations d’affection. Mais bon, il y a tout de même Tigre-Chou et Hiboute, en plus de tous les autres qui t’entourent, alors, hein…
Hier, donc, nous sommes allés chez cette blogueuse qu’on aime. Nous avions quelques raisons d’y aller. Pas seulement le plaisir de les voir, elle et son mari. J’avais un peu de boulot. Un travail que je n’ai pu mener à bonne fin. Hélas.
Je suis donc revenu de la cuisine, dépité. Comme elle est très gentille, la blogueuse m’a assuré que ce n’était pas important et qu’elle allait tenter de terminer la réparation de cette p… de théière de m… dont l’anse avait souffert.
Nous avons donc continué notre conversation qui a porté sur les talents divers et parfois surprenants que peuvient montrer les enfants en sortant de maternelle voire avant.
Les gosses, c’est vraiment la galère. Je le sais j’en ai été un. Merveille prétend même que je le suis resté dans la tête.
Et c’est en rédigeant cette note d’un intérêt discutable que me revient un de ces épisodes scolaires qui me ravissent et qui prouvent que j’ai un mauvais fond. Si si, lectrices chéries ! D’ailleurs Heure-Bleue me le jette à la face de temps à autre.
Je crois vous avoir parlé de mon premier prof de lettres, celui qui fut le « professeur principal » de ma sixième. Oui, en « A » le « prof’ principal » était le professeur de lettres, français, latin. En « M », c’était le professeur de maths.
Les professeurs de lettres considéraient avec méfiance les élèves de « A » mais à coup sûr avec mépris les élèves de « M ». Si certains sont encore de ce monde, ils doivent être effondrés à voir la façon dont il a tourné…
Dans cette sixième, il y avait un type, R. dont on m’avait déjà dit « c’est un sale c…, toujours premier en latin ». Bref, un lèche-cul.
Il était grand, blafard, blond et promenait sur le monde, c'est-à-dire sur nous autres, un regard plein de morgue. Il avait quelque chose du dindon dans la démarche et le port de tête.
Que ça lui valût de mordre le ciment de la cour quelques fois quand les pions ne regardaient pas, ne l’empêchait pas de nous toiser du haut de son mépris. Arrivé dans cette classe au second trimestre précédé de la renommée douteuse de gamin indiscipliné et jeté du lycée Michelet, j’avais été mis au premier rang.
Hélas à côté de ce R. prêt à tout pour éviter d’être mon copain.
Hélas pour lui, je me débrouillais bien en latin et avais une place honorable dans les interrogations écrites, que ce fût en version ou en thème. MM Morisset et Thévenot ne me rebutaient pas plus que MM Gaffiot et Hatier. Je dois même avouer à ma grande honte que j’aimais ça. Les dévoiements de l’esprit sont parfois étranges…
Vers la fin de ce second trimestre, les compositions se succédaient, histoire de vérifier que des hordes de profs n’avaient pas discouru dans le vide pendant ce trimestre.
Même si c'était essentiellement dans le but d'em...bêter R. que j'avais fait un effort, j’eus la chance d’être meilleur que lui en latin.
Ouaip ! Je fus, ce trimestre là, le premier de la classe en version et en thème latins. J’étais ravi. D’être premier, bien sûr, ce qui ne se reproduirait pas de sitôt, mais surtout, surtout de voir sur le visage de R. cette expression scandalisée. Ce fut un de mes meilleurs moments de l’année. J’avais commis là un crime horrible, celui d’avoir expulsé R. d’une place dont il se considérait propriétaire. Un véritable coup d’état à ses yeux. Je ressens encore cette « schadenfreunde », cette joie mauvaise, rien qu’à me rappeler la tête de ce type ce jour là.
Non seulement j'étais et suis resté un gamin, mais un gamin avec un mauvais fond…
10:28 | Commentaires (8)
mercredi, 10 septembre 2014
Les confitures de tomate verte.
Il y a quelque temps, j’ai vu un pot de confiture dans la vitrine d'une de ces boutiques de la rue de Rivoli faites pour tenter le « bobo », citadin nostalgique d’une campagne où il ne vivrait pour rien au monde.
Et pas n’importe quelle confiture, lectrices chéries, non, pas n’importe quelle confiture !
De la confiture de tomate verte ! De la confiture comme je n’en avais pas vu depuis mes dernières vacances chez ma tante Olga. Autant dire des vacances qui ne dataient pas d’hier…
A regarder cette vitrine, j’ai commencé à sentir sur la langue le goût de cette confiture longuement cuite par ma tante.
Son bistrot, qui n’était pris d’assaut que quand la sirène de la tuilerie sonnait la fin de la journée de travail, lui laissait du temps pour des choses comme fleurir sa terrasse, « soufrer » les tonneaux à la cave, faire de la liqueur de cassis et des confitures. Une autre sirène retentissait au même instant mais amenait moins de monde, celle de la filature de l’autre côté du pont du canal.
Il est vrai que la tuilerie ne comptait pratiquement que des hommes tandis que la filature ne comptait guère que des femmes.
Femmes qui ne venaient au café de ma tante que pour le quatorze juillet et quand elles venaient y chercher leur mari. Elles évitaient la visite du retour de « la retraite aux flambeaux » car la balade assoiffait les hommes, tout comme le travail à la tuilerie, dans la poussière d’argile et la chaleur des fours entre deux cuissons de ces briques qui entraient grises et sortaient rouges.
A l’inverse des ouvriers qui entraient rouges dans le café et en sortaient gris…
Ma tante, donc, faisait des confitures de tomate verte. Elle faisait pousser ces tomates dans son jardin, avec des tas d’autres choses, dont des fleurs et des haricots verts. J’aimais bien les haricots verts parce qu’ils poussaient sur des grandes tiges dont j’avais le droit de me servir comme lance pour jouer au chevalier. Même quand j’ai commencé à jouer à autre chose le long du canal, j’aimais le « quatre-heures » avec cette tartine ronde de confiture de tomate verte. Les tartines étaient toujours rondes parce que ma tante n’achetait jamais autre chose qu’une couronne. Ça évitait les chamailleries à propos du croûton car il y avait à chaque repas, si je compte bien, huit personnes à table.
Pour éviter de claquer une fortune car il eût fallu quatre baguettes au bas mot à chaque repas, la solution était la couronne débitée en tartines.
Mon dieu ces « quatre-heures » ! Ces tartines de confiture fuyaient par tous les trous de la mie, elles collaient aux doigts, la confiture me coulait le long du menton, parfois le long de l’avant-bras, mais bon sang quel délice…
Vous pensez bien, lectrices chéries que je n’allait pas laisser passer une occasion comme ça de reculer de quelques années, disons quelques décennies, six en réalité, en passant devant cette vitrine.
Je suis donc entré. Seul car Heure-Bleue n’aime pas la confiture. J’ai acheté un pot de confiture de tomate verte pour une somme qui aurait sorti la Grèce du marasme. Arrivé à la maison, j’ai voulu goûter à la vie des années cinquante.
P… ! Quelle déception ! Au lieu de la confiture plutôt sirupeuse et absolument délicieuse de ma tante, je me suis trouvé avec un bidule solide, noyé de tant de pectine que ça lui donnait la consistance d’un flan.
Le retour dans les années 2010 fut brutal…
10:06 | Commentaires (12)
mardi, 09 septembre 2014
Ça y est ! Je sais !
Je sais ce qu’il a dit en entendant parler du bouquin.
Il a dit ça.
14:23 | Commentaires (9)
lundi, 08 septembre 2014
Le chiffonnier est mahousse…
Reprenons.
Si, au sortir de notre galetas, nous tournions à droite au lieu de tourner à gauche, nous arrivions, en une vingtaine de pas, rue du Roi d’Alger. Il suffisait de s’engager dans la rue sur la gauche pour arriver au croisement, décemment on ne peut appeler un carrefour, ce petit espace où se rejoignaient la rue du Roi d’Alger, la rue Neuve de la Chardonnière et le passage Kracher.
Vous ne pouvez pas savoir ce que ce coin, vu avec nos yeux de petits bourgeois d’aujourd’hui, aurait eu d’inquiétant si vous l’aviez connu à cette époque, lectrices chéries.
Comme je vous l’ai déjà dit, la guerre avait beau avoir cessé depuis plus d’une dizaine d’années, on aurait dit qu’elle avait pris fin il y a une semaine au plus et cette impression persista jusqu’à la fin des années soixante. Les immeubles y étaient tous noirs de crasse et lépreux.
Les rues étaient évidemment pavées mais le passage Kracher donnait l’impression de l’avoir été avec des ballons de handball. Je serrai un peu les fesses en m’engageant sur les pavés inégaux et luisants mais, bien que Souricette fût aussi timorée qu’un banquier, sa présence me rassura et nous avons avancé vers la rue de Clignancourt d’un pas plus vif que nécessaire…
Ce passage était le pire de notre environnement proche. Celui où nous habitions était très court et animé par un restaurant à un bout, un hôtel à l’autre et le bougnat de notre rez-de-chaussée. Le passage Championnet était éclairé par la rue Championnet et presque vivable, hormis l’ivrogne au tuba et sa bignole voisine qui avait « le bec salé » elle aussi.
Le passage Kracher, lui, était un boyau terriblement étroit, tapissé de ces pavés inégaux, ronds et perpétuellement mouillés. Le manque de confort, plus exactement de latrines, de l’époque lui donnait en plus un parfum rebutant et si je n’avais pas été doté d’une curiosité irrépressible je n’aurais jamais osé passer par là. Surtout seul.
J’ai été plutôt content. Ma mère avait eu tort, si le passage puait et était sombre comme le dessein d’un malfaisant, il était certes peuplé d’Arabes mais pas un ne semblait prêt à nous enlever et ça nous faisait gagner pas mal de temps. Ceux qui connaissent le talent de ma mère pour les paquets savent que tout mètre de marche épargné diminuait d’un centimètre l’allongement du bras porteur…
Arrivés au bout du passage, ma sœur cadette et moi sommes entrés, enfin sommes avancé sur le seuil d’une grande pièce contenant un bordel encore plus monstrueux que celui causé par feu Maillot lors de ses petits déjeuners au 11° à la tireuse.
Il y avait dans cet antre éclairé par un ampoule pendant du plafond, des embrouillamini de fils électriques, de vieux poêles de fonte, d’appareils bizarres et de papier. Des milliards de tonnes de papier !
Le chiffonnier nous vit arriver, s’essuya les mains sur son pantalon et demanda « qu’est-ce que vous v’lez, les gosses ? »
Les gosses sont restés muets. On avait beau le connaître, il faisait quand même un peu peur. Il était immense, une sorte de gitan, la peau teinte à « l’encrier de déménageur » autrement dit « le gros qui tache », perpétuellement vêtu d’une combinaison qui avait dû être bleue cinquante ans auparavant et avec des mains monstrueuses.
Avec le recul de l’âge je suis sûr que les fesses de ma première copine auraient tenu dans une seule de ses mains. Je n’ai revu des mains de cette taille que plus tard, au bout des bras d’un technicien envoyé à la boîte pour une formation.
Le chiffonnier fit rouler son mégot au coin de ses lèvres. Je le revois encore. Il sourit et prit son porte-monnaie, en sortit une pièce de deux francs, des francs d’avant Pinay, et pris mon paquet de journaux.
Mon bras reprit sa taille initiale tandis que le chiftir poussait un « ouf » de surprise. Il jeta le paquet sur l’énorme balance derrière lui et reprit son porte-monnaie.
Il remit sa pièce de deux francs dans son porte monnaie et en sortit une de cinq francs.
Oui, lectrices chéries, ma mère avait trouvé le moyen de nous faire débarrasser le palier aux frais de quelqu’un d’autre… Ma sœur et moi avons pris l’autre chemin pour rentrer.
On a claqué nos cinq francs en caramels à un franc dans « la boutique rose » de la marchande de bonbons.
La boutique rose existe toujours mais ne vend plus de bonbons.
Elle ne vend pas non plus d’années à l’envers…
Si ça vous intéresse, lectrices chéries, j’ai encore quelque chose à vous raconter à propos de cette marchande de bonbons.
08:14 | Commentaires (7)
dimanche, 07 septembre 2014
Interdit de Kracher
Je vous ai parlé il y a peu du passage Kracher.
Au bout de ce passage, on trouvait au coin, à droite, le fournisseur de menue monnaie du quartier, vraiment très menue, la monnaie : Le chiffonnier.
Que je vous dise, lectrices chéries, si l’hiver, le journal servait à allumer le poêle, du milieu du printemps à la fin de l’automne, il était conservé, plié, et mis sur le petit escalier dont nul ne savait où il menait, qui jouxtait la porte de notre logement. Ces quatre marches s’arrêtaient net sur une porte dont on ne sût jamais ce qu’il y avait derrière.
Quand l’épaisseur de journaux était telle que ma mère, jugeant d’un coup d’œil expert qu’elle dépassait les deux kilos, elle m’envoyait les porter chez le chiffonnier.
Ça n’allait jamais aussi simplement que je viens de l’écrire.
Aller chez le chiffonnier, entreprise simple au premier abord, se révélait, au « deuxième rabord » une mission lourde dans sa préparation.
Et « mission lourde » n’est pas qu’une figure de style…
Ma mère allait dans le boyau qui nous servait de cuisine, décrochait un vieux cabas qui servait de réserve à des tas de choses inutiles. Il y avait évidemment le grand pochon de papier qui contenait un tas de petits pochons de papier kraft. C’était l’ancêtre du gigantesque « sac de sacs » qui accompagnerait ma mère jusqu’au seuil de sa dernière demeure.
Il y avait aussi dans ce cabas, l’inévitable chose que j’avais déjà vue chez dans « le bâtiment » de la maison de ma grand’mère maternelle. Un truc informe, une espèce de pelote faite de bouts de ficelle, pelote informe faites de morceaux trop longs pour être jetés mais trop courts pour être utiles à quoi que ce soit.
Ma mère, donc, prenait quelques morceaux de ficelle, les nouait bout à bout et faisait un de ces paquets dont elle avait le secret.
Une fois ce petit paquet de concentré de journaux terminé commençait la longue psalmodie des conseils pour se rendre chez ce chiffonnier.
- Patrice, mon fils, écoute moi bien.
- Oui maman…
A cet instant il était bien vu d’éviter le soupir de lassitude devant le discours mille fois entendu.
Il y eut bien une fois cette idée de dire en même temps que notre cantor privé, façon « chœur des vierges » du théâtre grec, le texte que nous connaissions par cœur mais la tentative fut étouffée dans l’œuf d’une taloche sur le plus proche de la main maternelle.
Ma mère, donc continua.
- En sortant de la maison, tu prends à gauche.
- Oui maman…
- Surtout A GAUCHE ! HEIN ! A GAUCHE ! Et tu arrives directement sur la rue Championnet, tu vas à droite, vers la RATP et, arrivé à la rue de Clignancourt, tu prends à droite. A droite hein ! Et tu fais bien attention à Souricette ! »
Ma sœur cadette et moi avions fait ce chemin de nombreuses fois et Souricette, qui devait son surnom à son aptitude à piailler comme une souris quand elle était bébé, me donnait la main sans faire d’histoires.
Nous connaissions aussi bien le chemin que la litanie des recommandations qu’on nous répétait néanmoins chaque fois.
Et ça continuait…
« Tu remontes bien la rue de Cligancourt jusqu’au passage Kracher. » Là, le ton montait . « Et surtout, tu fais bien attention à ta petite sœur ! ». Le ton s’atténuait.
« Vous dites « bonjour monsieur » et surtout vous ne touchez à rien, tout est sale là-dedans ! »
Nous savions que nous n’en étions pas quittes pour autant, je posai néanmoins la main sur le paquet de journaux et le pris.
La dernière objurgation tomba. « Surtout, pas question de passer par l’autre côté hein ! De toute façon, je le saurai ! Je le saurai ! Si j’apprends que vous êtes passés par la rue du Roi d’Alger et le passage Kracher, JE-VOUS-TUE ! »
Comme toujours, sa grande hantise avait saisi ma mère et l’amenait au bord de l’hystérie. « Vous allez vous faire attraper par des Arabes et vous vous retrouverez dieu sait où ! »
Je dirai après à quoi ressemblait le passage Kracher car, bien entendu, nous sommes quand même allés une fois chez le chiffonnier en passant par là.
Vous saurez aussi à quoi ressemblait ce chiffonnier…
07:37 | Commentaires (6)