jeudi, 09 avril 2020
On devra manger l'omelette sans eux...
Hier, j’ai donc fait comme chaque jour.
Une note, un tour de pâté de maison.
Sur l’attestation que je commence à avoir marre de recopier en deux exemplaires sur une feuille A4 coupée en deux, j’ai écrit, mentant comme un ministre :
Je soussigné, etc. Certifie que mon déplacement est lié au motif suivant : etc. »
Nous sommes donc descendus, arrêtés au kiosque qui, étonnamment proposait
« Télérama » la revue de télé pour ceux qui ne regardent pas la télé.
La chance a voulu qu’une dame, prudente, prenne les deux exemplaires du dessus de la pile, munie d’une paire de gants qu’elle venait d’enfiler.
J’ai pris l’exemplaire suivant et ai payé « sans contact » avec la « Visa ».
Le type n’a pas dit un mot.
Je me suis contenté d’un « merci » fait d’une inclinaison de tête.
Nous avons continué et descendu la rue de la Jonquière quasiment vide jusqu’à la Cité des Fleurs.
Hélas, elle était fermée et on nous avisait par voie d’affichette que « la Cité des Fleurs étant devenu un lieu de promenade, la tranquillité des habitants était troublée. »
Alors nous sommes repartis en sens inverse…
Sur le chemin, une épicerie ouverte, pleine de monde, les clients collés les uns aux autres.
Le passage d’un type, un « TPE » à la main m’a donné une idée.
Depuis le trottoir je l’ai hélé.
- S’il vous plaît, vous avez des œufs ?
Il n’a rien dit, s’est retourné, a attrapé une boîte de six œufs et me l’a tendue.
Comme pour « Télérama », j’ai payé « sans contact » et nous avons continué notre chemin vers la maison.
Une boutique « branchouille » qui servait les gens sur le trottoir, des tableaux posés devant l’entrée indiquant les légumes disponibles tandis que les tenanciers servaient les clients qui faisaient la queue.
La lumière de mes jours, profitant de ma vue, qu’elle trouve scandaleusement perçante, m’a demandé ce que proposait la boutique et déclina.
C’est là que j’ai vu quelque chose d’étonnant sur la vitrine d’une clinique.
Moi qui avais toujours pensé que les « Soins de suite gériatriques » était un euphémisme pour « thanatopraxie », j’ai été surpris.
Mais non, d’après la lumière de mes jours, dont la fraîcheur d’âme me ravit chaque jour, il s’agit de rééduquer les vieux après une opération.
Près de la place, nous sommes tombés dans un piège.
Une boulangerie « bio » proposait des baguettes que nous avons trouvé délicieuses.
Hélas, il y avait ce piège, un « piège de quatre cents grammes » comme l’a indiqué la balance ce matin.
Des gâteaux… Mon dieu ces gâteaux… Une merveille de gâteaux.
« Maison » en plus, ces gâteaux…
Bref, quatre cents grammes…
11:00 | Commentaires (9)
mercredi, 08 avril 2020
Ausweis.
Vous avez remarqué, lectrices chéries ?
Jusqu’au 17 mars, jour normalement béni puisqu’on fête les Patrice, il a fait plutôt un temps de mince.
Un temps froid et humide, épouvantable.
Bref un temps où sortir était une punition.
Eh bien, il a suffi qu’on nous oblige à rester chez nous pour que le temps se dégage.
Non mais vous avez vu ce temps magnifique ?
Quand j’étais jeune, enfin quand j’étais encore plus jeune qu’aujourd’hui, on aurait dit d’un temps printanier comme ça « C’est quand même malheureux de donner une journée pareille à un patron ! »
Aujourd’hui où, à part le genou droit et quelques pièces en moins je serais presque aussi jeune si on n’avait pas inventé les miroirs, j’en suis réduit à me dire, coincé à la maison que je suis « C’est quand même malheureux de donner une journée pareille à un confinement ! »
Comme il faut malgré tout bien vivre et éviter de laisser rouiller des articulations qui ne demandent qu’à se coincer, il nous va bien falloir sortir.
Tous les jours nous devons au moins faire le tour du pâté de maison.
Ce pâté de maisons doit changer régulièrement même s’il reste limité.
Dans tous les cas il doit consister en un trajet d’un à deux kilomètres.
Point n’est besoin d’acheter quoi que ce soit, simplement marcher avec la lumière de mes jours à mon bras.
Si possible dans le mitan de rues empruntées par de rares voitures.
La gymnastique commence toujours par un exercice manuel.
Eh oui, faute d’une imprimante – « Laser couleur » s’il vous plaît- qui expira après une quinzaine d’années de bons et loyaux services pile au moment du confinement, là où on ne peut en acheter une autre, je dois recopier à la main l’« Ausweis » indispensable.
Je prends soin de le faire chaque fois car je sais que l’Etat, depuis toujours impécunieux, manque encore plus de thune ces temps-ci et compte sur ses pandores pour maintenir à flot des caisses qui ne demandent qu’à couler…
Je remplis donc d’une écriture que j’espère lisible si ce n’est soignée, deux feuilles au format A5 qui expliqueront au gendarme du coin pourquoi nous sommes dehors au lieu de regarder la télé…
Une question se profile néanmoins à l’horizon : Si le confinement se prolonge, où allons-nous acheter le papier et les stylos nécessaires au remplissage ou à l’impression de nos « Ausweise » ?
Sachant qu’aucune rature n’est admise sous peine de devoir régler illico 135 € d’amende dont plus personne n’aura sous peu le premier sou…
10:43 | Commentaires (13)
mardi, 07 avril 2020
La valeur de sabre...
Aujourd’hui je n’ai rien à vous écrire, lectrices chéries.
Habituellement je n’ai pas grand’ chose à vous dire mais je me force à vous raconter une histoire quelconque.
C’est une affaire de discipline.
Quand on doit faire quelque chose on le fait.
Même si on n’a rien à faire.
On doit ne rien faire avec application sinon c’est un manque d’assiduité inexcusable.
Aujourd’hui donc, « rien » comme écrivait Louis XVI qui ne regardait pas assez souvent par la fenêtre.
Moi qui regarde par la fenêtre plusieurs fois par jour je peux vous dire, comme Louis XVI, « rien ».
Pas un chat, même les pompiers de la caserne Carpeaux ne descendent plus la rue Lamarck en « sirènant » comme des fous.
Tout fout le camp ! Les élèves du collège en face sont encouragés à « sécher » les cours par ceux-là mêmes censés les leur dispenser !
Les grognements des garçons qui se transforment en mâles en essayant de « faire mec » et les piaillements des filles qui tentent de transformer le « mâle grogneur » en chaton ronronnant manquent cruellement.
Le calme de la rue n’est troublé que chaque soir vers vingt heures.
C’est mieux maintenant qu’au début.
Ces jours-ci, un trompettiste accompagne nos applaudissements d’un concert accompagné par d’autres instruments qui sortent de fenêtres inconnues.
Nos voisins n’applaudissent pas, le batteur et sa camarade de jeux ne peuvent pas, les mains occupées à tenir leur verre de vin à la fenêtre.
Ils se contentent de tenir compagnie à la rue qui se presse, chacun à sa fenêtre.
J’admets que si ça occupe, ça fait peu de choses à dire.
Si ce n’est que, depuis la parution du « Manifeste du Parti Communiste » en 1848, l’année même où la France promulgua « L’abolition de l’esclavage », c’est la première fois qu’on semble s’apercevoir que fois les soutiers de la « machine France » sont reconnus pour leur valeur.
Il était temps que l’on s’aperçût qu’ils sont non seulement utiles mais plus encore, indispensables.
L’humour dont fait preuve parfois la réalité va jusqu’à montrer qu’ils sont indispensables à la survie même de ceux qui les tiennent habituellement pour quantité négligeable, quand ce n’est pas de trublions, de « privilégiés ».
Ceux qui les pensaient « déconnectés des réalités économiques » leur doivent aujourd’hui la vie et je me demande si être vivant grâce à ces va-de-la-gueule les a aidé à comprendre que non seulement « les linceuls n’ont pas de poche » mais que « les morts ne paient jamais leur ardoise »…
Je n’avais rien à vous dire, lectrices chéries.
Je pense que je l’ai fait.
Mais avec des mots…
11:47 | Commentaires (10)
lundi, 06 avril 2020
Devoir de Lakevio du Goût N° 33
Peu de monde, très peu de monde dans cette rue qui descend du Sacré-Cœur vers la place Saint-Pierre.
Je peux vous le dire, lectrices chéries, cette rue faite d’escaliers est la rue Paul Albert.
Mais où va cette femme qui les descend sous la pluie ?
Quel devoir ou quelle aventure la mène ?
Qu’est-ce qui la pousse à sortir alors que, dans tout le pays, chacun est appelé à rester chez soi ?
Si vous avez une idée, nous la lirons tous avec plaisir, intérêt ou le cœur serré, c’est selon.
Mais nous la lirons lundi puisque désormais, c’est « l’école à la maison »…
Sacré John Salminem !
Chaque fois que je suis en haut de ces escaliers, je pense à lui.
Combien de fois a-t-il pris un café dans un des deux bistrots sur la petite place qui surplombe ces marches ?
J’avais remonté la rue du Mont-Cenis depuis un endroit qui était resté crasseux et mal famé depuis le XIXème siècle et avais emprunté la rue du Chevalier de la Barre « Supplicié à l’âge de vingt ans pour n’avoir pas salué une procession » jusqu’à la rue Paul Albert.
J’aime la rue Paul Albert.
Pas dans sa partie toute bête de rue maintenant asphaltée mais dans ce petit bout de rue qui va d’une petite place pavée à un petit carrefour via une volée d’escaliers.
Aujourd’hui le temps est printanier mais nuageux alors je descends ces marches le cou rentré dans les épaules faisant attention aux marches glissantes de l’humidité ambiante.
Un instant, je sors la tête de mes épaules pour regarder vers le bas, vers ce café qui a remplacé la boulangerie de mon enfance et où j’ai rendez-vous.
Oui, j’ai rendez-vous avec elle.
C’est là que je la vois qui descend, je l’ai reconnue à son pas.
Je ne dis rien, je ne l’appelle pas, je la regarde glisser légèrement d’une marche à l’autre et me demande à quoi lui sert ce parapluie car il ne pleut pas.
Puis elle arrive au bas de l’escalier, s’arrête un instant puis replie son parapluie et tourne la tête vers la terrasse du café.
Elle n’y voit pas ce qu’elle cherche, regarde vers la rue Ronsard déserte et n’y voit que la verdure qui tombe des faux rochers du jardin du Sacré-Cœur.
Mon pas a dû attirer son attention car elle se retourne.
Elle sourit.
Elle est si belle quand elle sourit…
09:35 | Commentaires (33)
dimanche, 05 avril 2020
Un samedi au bord de la glace
Jeudi dernier, ang/col, connue sous le nom de « Colombine » me posait deux questions :
« Tu as quoi au genou ? Et au fait comment va La Tornade ? »
Ang/Col que je te rassure tout de suite ! La Tornade est en forme.
En pleine forme, il faut qu’on te dise : On n’ose pas se fâcher avec elle, on n’est même pas sûr qu’elle soit humaine.
On apprendrait incidemment qu’elle peut passer un week-end sur la Lune, et sans scaphandre, qu’on ne serait pas autrement étonnés…
Quant à mon genou, c’est une autre histoire.
Une vieille histoire.
Une histoire de patinoire.
Que je te dise, Ang/Col, dans les années « ante 68 », les besoins de relations amicales ou plus si affinités étaient pleines d’embûches.
Les garçons étaient bêtasses et les filles méfiantes.
Néanmoins certaines informations circulaient sous le manteau qui permettaient d’espérer de savoir justement ce qu’il y avait sous les manteaux.
On disait, et j’ai su que c’était vrai, qu’il y avait des endroits où la camaraderie ambiante faisait qu’il était tout à fait possible qu’une fille inconnue vous prenne par la main et vous entraîne sans faire d’histoires.
Un copain m’entraîna donc un jour à la patinoire Molitor.
C’était dans un « quartier chic », dit autrement « quartier triste à mourir » mais poussés par l’espoir, nous y allâmes un samedi d’hiver.
J’ai loué pour l’après-midi une paire de « patins figure » qui avaient l’avantage sur les « patins hockey » de faire tomber la figure la première si les deux premières dents du frein des patins n’étaient pas meulées.
Les « patins hockey », eux, vous permettaient de tomber de tous les côtés car ça glissait de partout…
Mon copain et moi nous sommes lancés sur la piste.
Enfin, il s’est élancé.
J’ai juste commencé à avancer avec la sûreté de pas de l’équilibriste qui monte sur le fil pour la première fois.
L’inconscience de la jeunesse aidant, je fus de plus en plus hardi.
Un moment, je pensai même être devenu le successeur désigné d’Alain Calmat au point que je me lançai avec presque de la grâce sur la glace, hélas avec suffisamment d’hésitation pour qu’une fille me prît la main pour m’aider.
Fier comme tout j’avançai, glissant quasi élégamment quand une gosse, petite mais fâcheusement douée tomba devant moi.
Incapable de l’éviter je tombai à mon tour me tordant pour ne pas l’écraser.
Hélas, un géant sorti de je ne sais où me tomba dessus à son tour et me plia la jambe droite.
Ce qui serait resté sans conséquence ni intérêt si le pliage n’avait été fait selon un angle imprévu par l’articulation.
J’ai hurlé.
On m’a ramassé et tandis que je claudiquai jusqu’au bord de la piste mon genou a triplé de volume et est, je l’ai vu à la maison, devenu violet.
C’était la première fois que tenir la main d’une fille me coûtait un genou.
Depuis, chaque marche dépassant deux ou trois heures, chaque changement de temps ou de saison, tout cela me rappelle cette gamelle à la patinoire Molitor.
C’était le début de l’année 1965 et je me rappelle cette fichue gamine comme si c’était hier…
11:20 | Commentaires (7)