mardi, 28 avril 2015
Certains pots tachent, peu élèvent…
A lire vos commentaires, lectrices chéries, je me demande pourquoi le mot « patience » est un mot féminin...
Reprenons…
Ce 14 juillet nous fûmes prêts voire bousculés exceptionnellement tôt tant mon père était pressé de nous emmener.
Le pourquoi de la hâte est moins reluisant. C’est là que j’ai appris le mot « embuscade »…
Mon père avait tenté de l’utiliser à titre d’excuse mais ça n’a pas marché.
La veille au soir, ma mère ronchonnait et s’inquiétait. Mon père n’était pas rentré.
Le dîner expédié, ma mère est partie faire la vaisselle. On a entendu frapper à la porte.
Je me suis approché quand ma mère a ouvert la porte. Mon père était sur le pas de la porte, il avait l’air, comment dire… Instable.
Ma mère a soupiré et dit :
- Eh ben… Te voilà beau, mon cochon…
- Euh… Ça va pas…
- Je vois ça ! Allez, va te coucher, tu me fais honte…
C’est là que le drame s’est noué et a laissé un souvenir plutôt vif.
J’ai suivi mon père jusqu’à la chambre pendant que ma mère à repris la vaisselle en marmonnant.
Mon père s’est abattu tout habillé à plat ventre sur le lit. Tout habillé. Encore avec son imperméable. Puis, alors que je le regardais, inquiet, il a vomi une immense flaque rosâtre et malodorante sur le lino. J’ai crié « Maman ! Maman ! Papa est malade ! Il va mourir ! »
Ma mère est accourue, a constaté le désastre et a renoncé à hurler car rien ne réveillerait mon père. Elle a ramassé et lavé par terre. Elle a seulement retiré, et avec bien du mal, l’imperméable et la veste de mon père. Elle a dormi avec ma grande sœur qui avait un lit plus grand.
On a été réveillé de bonne heure quand mon père est allé à mi-étage. Il avait essayé de ne pas faire de bruit.
Je crois que même s’il avait volé, ma mère l’aurait chopé au vol…
Aujourd’hui encore, je me demande si ma mère n’avait pas surveillé le sommeil paternel toute la nuit. Ma mère a bondi et la sérénade a commencé. Elle aurait pu être brève si mon père, qui ne buvait pas, avait su garder les yeux baissés et au moins avoir l’air un peu contrit. Même nous, les petits et ma grande sœur on l’a trouvé bête sur ce coup là.
Il sourit à ma mère et, alors qu’elle savait bien ce qu’elle avait ramassé la veille au soir, il crut bon de dire :
- J’ai pourtant presque rien bu, ma poule.
- Un « presque rien » de combien ?
A-t-elle dit d’un ton inquiétant.
- Eh bien, avec des collègues, comme c’était fête on est allé boire un coup après le boulot.
- Un coup… Tu me prends pour une andouille ? Tu écris « un » comment ?
Il eut pile poil le mot explosif.
Celui qui montrait à l’évidence qu’il prenait ma mère pour une imbécile.
C’est cette phrase là qui est restée gravée chez moi :
- Tu sais , ma poule, je crois que je ne supporte pas le Clacquesin, c’est ça qui m’a rendu malade… Un seul Clacquesin… Je n’en boirai plus ma poule.
Le Clacquesin, comme excuse avait eu un effet mortel.
Je ne savais pas ce qu’était le Clacquesin mais ça a donné un élan insoupçonné à mon père pour se préparer et à ma mère pour son entrée en scène.
Ce 14 juillet là, on est parti très vite prendre le métro. J’ai vu des chameaux pour la première fois de ma vie. Des vrais, avec des spahis dessus. On a regardé tout le défilé, on est même arrivé tard pour le déjeuner.
Mon père n’a pas eu faim et il est reparti se promener tout l’après-midi.
Il lui est arrivé en de très rares occasions d’avoir « des semelles à bascule » mais je n’ai jamais vu mon père boire du Clacquesin.
En revanche, pendant des années, au moins jusqu’à mon entrée au lycée, j’ai entendu ma mère parler du « 14 juillet au Clacquesin »…
Je vous dirai plus tard cette histoire de violon.
06:35 | Commentaires (12)
lundi, 27 avril 2015
Singer, priez pour nous…
Pour continuer un instant sur cette histoire de MAC comme dit Lakevio, il y eut par la suite un autre incident. Assez salissant et générateur de hurlements.
Que je vous dise, lectrice chéries, ma mère qui avait déjà un organe peu apte à interpréter Violetta, la phtisique de la Traviata, pouvait sous l’effet de la colère dépasser le niveau sonore de Maria Callas à la fin du troisième acte de Tosca.
La seule que j’aie jamais entendu hurler plus fort à ce jour reste Lara Fabian. C’est dire…
Mon père donc, avait acheté cette superbe Singer à ma mère parce qu’à ce moment il travaillait chez Singer.
C’était un travail extrêmement sportif qui consistait à vendre ces machines à des gens qui, s’ils en avaient besoin car l’époque était à la couture et au retournement de manteaux et de robes doublées, n’avaient pas forcément les moyens de les acquérir.
D’autant plus sportif, le job, que les ascenseurs étaient rares, les concierges peu regardantes, les étages nombreux et souvent élevés.
Un de ces mois un peu fastes, les plus rares, il avait fait un bon chiffre et obtenu, non une prime, faut pas rigoler, mais une remise importante sur la machine qu’avec un culot monstre Singer avait osé dire « portative ».
D’expérience, je peux vous affirmer qu’elle était tout juste « transportable ».
Bon, elle fut achetée par mon père en 1954 et elle fonctionne encore chez ma sœur cadette ce qui montre que l’époque n’était pas à « l’obsolescence programmée ».
Je sais que c’était en 1954 car cette année là mes parents avaient claqué des sous aux « Galeries Barbès 55 Boulevard Barbès à Paris ! » en achetant des meubles « style rustique » de chêne foncé dont un neveu à encore « la grande armoire », l’Ours le coffre et nous la bonnetière. En plus la date de livraison est encore écrite au dos de notre bonnetière avec un de ces crayons bleus ineffaçables.
Brève période d’aisance relative que mes parents mirent donc à profit pour s’équiper.
Que je vous dise, lectrices chéries, auparavant, le mobilier, hormis un buffet blanc, une table et six chaises, se composait de deux placards et d’un semainier.
J’y perdis donc des possibilités d’exploration.
J’étais trop petit pour atteindre les tiroirs du haut et les étagères du haut des placards mais quand les meubles sont arrivés, les vrais, les rustiques, il y avait des clefs aux portes, clefs que ma mère mettait dans la niche de la bonnetière…
Il ne restait que le coffre, mis devant la fenêtre de « la grande pièce » et plein de bouquins et d’un violon.
C’est vers cette époque que j’ai essayé de jouer du violon. Violon du père de ma grande sœur que ma mère planquait tant bien que mal.
C’est très dur de sortir un son agréable d’un violon, lectrices chéries, je vous l’assure mais ce n’est pas de ça que je voulais vous parler mais d’un quatorze juillet de cette année.
Peu après l’entrée de cette machine Singer à la maison, une mésaventure est arrivée que mon père mit longtemps à faire oublier. De fait ce fut impossible, ma mère était une femme et , comme toutes les femmes, si elle perdait la tête parfois, elle avait une mémoire infaillible et ineffaçable pour ce qui l’avait froissée.
Je sais que c’était arrivé un 13 juillet parce que mon père nous a emmenés, ma sœur cadette et moi, voir le défilé le lendemain matin.
Cette note risque d’être un peu longue, lectrices chéries aussi je vous raconterai la suite demain.
10:05 | Commentaires (8)
dimanche, 26 avril 2015
La machine infernale.
Ça, Mab, c’est surtout pour toi, j’ai des années de choses comme ça encore gravées dans la cervelle.
Mon père, ce héros au sourire si doux, ne riez pas lectrices chéries, il fut un soldat valeureux, blessé, médaillé et félicité par tous.
Enfin, par tous… Sauf ma mère passés les premiers feux du mariage.
Donc, mon père était un héros certes, mais un de ces héros curieux, irrémédiablement rêveur et détaché des contingences matérielles.
Il était équipé, comme son fils et l'Ours, de deux mains gauches pour ce qui était des travaux nécessitant autre chose qu’un pinceau en poil de martre, un crayon, une lime à ongles ou de la délicatesse.
C’était un homme charmant mais doté d’un sens de l’humour assez caustique qui désarçonnait parfois les invités et donnait à ma mère une envie furieuse de le jeter par terre et de le piétiner. Ça aurait pu donner un couple qui marche si ma mère n’avait pas été dénuée d’humour et si mon père n’avait pas eu un talent inné pour se trouver dans des situations délicates.
Ils formaient un couple bizarre, pas plus capables de vivre ensemble que de vivre l’un sans l’autre.
D’après ma grand’mère paternelle, il s’était illustré assez tôt dans les bêtises en tentant un vol avec deux ailes faites de draps fixés à des perches à haricots.
Le vol fut rapide, très vertical et fatal aux draps, aux perches et à un cubitus de mon futur géniteur.
Plus tard ma mère me confia, avec ce demi-sourire hésitant, hélas trop rare et qui la rendait jolie, qu’elle avait dû aller le chercher au commissariat la veille pour se marier avec le lendemain.
Une sombre histoire de dispute avec un receveur de la RATP qui apprit à ses dépens qu’on doit être aimable avec un type qui est revenu du front il y a moins de deux ans…
Mon père était ainsi fait que si les derniers sous du ménage pour le mois étaient dans sa poche, il les utilisait pour acheter dans les couloirs du métro un bouquet de violettes à ma mère.
Évidemment, elle ne voyait pas les choses sous le même angle et avait un amour-propre assez exacerbé pour lui faire payer pendant des semaines l’humiliation d’avoir dû demander à l’épicier et au crémier de faire crédit.
Je me demande bien pourquoi puisque tout le quartier le faisait.
Certains, que ma mère méprisait pour leur « cigalitude » entamaient le « croum » dès le vingt du mois.
Ça meublait les conversations de l’escalier de « Oh ça… Ça mange du gigot le jour de la paye et ça mange des pommes de terre et fait crédit pour le jambon le reste du mois… » et de « Pfff… Ça a couché avec des GI’s et maintenant ça fait crédit pour élever les mômes… »
N’allez pas croire, lectrices chéries, que la ville est épargnée par les commérages.
Tout ça pour vous dire qu’un jour, équipée d’une somptueuse machine Singer, celle-là même dont vous voyez la photo et ramenée par mon père un soir, ma mère eut un réflexe un peu trop lent et l’aiguille lui transperça l’ongle du pouce, se ficha profondément dans le doigt et atteignit l’os.
Elle poussa un cri, montra le pouce à mon père qui manquait d’outils mais pas de sang-froid.
Il alla chez Mr S., le voisin tapeur de cigarettes, et lui demanda de l’aide.
Ma mère ne voulait pas qu’il approchât son pouce. Même du regard.
Déjà au fait de ses talents de mécanicien, elle avait un gros doute quant à sa qualité de chirurgien.
Mr S. arriva avec une paire de tenailles, outil le plus répandu de l’immeuble où les couteaux servaient de tournevis et les tenailles de clef pour tous types d’écrous.
Ma mère le regarda avec méfiance. Elle avait raison. Il serra un peu trop la pince sur l’aiguille et quand celle-ci-ci cassa, ma mère poussa encore un cri.
Il recommença, dit à ma mère « Tournez la tête, Roberte ! Toi, Gaby, tiens le pouce de ta femme ! »
Il tira vivement, ma mère fit « ssshhh… » et sourit en disant « Ouf ! Ça y est ! »
Mon père, rassuré eut encore une de ces réflexions qui lui échappaient au mauvais moment.
« Quand même, ma poule, au prix des aiguilles, tu aurais pu faire attention… »
Ma mère lui a jeté un sale œil.
S’il n’avait pas ajouté ce dangereux « Aïe aïe aïe ! Ti as les yeux qui relousent ! Ti es belle comme ça, ma poule ! » elle ne lui aurait pas jeté le cendrier.
Il le savait, pourtant, que ça faisait des histoires chaque fois.
09:17 | Commentaires (11)
samedi, 25 avril 2015
Quand mille et un naîtront…
Vous savez quoi, lectrices chéries ?
Je cherchais quelque chose à propos des Arméniens et je suis tombé sur un petit truc qui parle de « L’immeuble Yacoubian ».
C’est un immeuble égyptien, vous le savez sans doute, dans lequel se déroulent les petits bonheurs et les drames de la vraie vie. Comme toujours et comme partout.
Et ça m’a rappelé quelque chose de l’immeuble où j’habitais gamin.
Mais si, vous savez bien, lectrices chéries, près d'une Porte de Clignancourt pleine de bandits prêts à me servir de mauvais exemple et de « filles de la Porte de Clignancourt » prêtes à entraîner mes sœurs sur la pente du caniveau ou au moins du trottoir.
Cela dit, bien que sis dans « ce quartier plein d’Arabes », l’atmosphère de l’immeuble était bon enfant et l’été, il arrivait souvent que les portes des logements restassent ouvertes ainsi que les fenêtres pour assurer un courant d’air.
Le courant d’air, hélas , n’allait pas toujours dans la direction voulue et charriait parfois tous les parfums de l’Orient sauf celui du jasmin…
Un de ces après-midi, à l’heure où les uns rentrent du travail et les autres de l’école, une odeur de déjections remplissait l’escalier.
Le confort était à mi-étage. Un crochet assurait l’intimité du lieu et un clou étêté permettait d’accrocher les feuilles de quotidien qui servaient de papier toilette.
A y repenser aujourd’hui, je me dis que les encres et surtout nos fesses devaient être de bonne composition pour n’être pas noires tout l’année…
Cet après-midi donc, arrivé au troisième étage, je vis ma mère, madame M. et madame S. en grande conversation à la hauteur des cabinets.
Arrivèrent au même moment Jacky M. et sa sœur, Martine M. qui avait l’âge de ma sœur cadette.
Les mères, nous dirent, que dis-je, nous hurlèrent « Attention, les cabinets sont bouchés ! » et continuèrent leurs supputations quant à la meilleure façon de résoudre le problème. Nous étions passionnés par l’évènement et profitions de la situation pour aller traîner chez les uns et les autres. J’ai pu constater à l’époque que les logements trop petits et trop peuplés amènent inéluctablement au bordel dans toutes les pièces…
Puis des voix mâles se sont fait entendre. Celle de Mr M. le père de Jacky et de Martine, celle de Mr S., le tapeur de cigarettes de mon père et enfin celle de mon père.
Nous sommes tous allés voir. Ils discutèrent encore un moment puis mon père, le plus grand des pères, a dit avec l’air de Battler Britton avant une mission dans mes illustrés « Bon, les gars, il le faut, tant pis, je vais y mettre la main… »
Ma mère « Non Lemmy ! Tu vas puer et en plus tu vas en mettre sur ton pantalon ! »
Elle a eu l’idée, enfin, de faire bouillir de l’eau. Mon père a pris la boîte de soude caustique sous l’évier, nous a fait reculer et a officié. Un soupir de soulagement à parcouru l’assistance quand un « Ssshhhlluuurrppp » énorme s'est fait entendre.
C’est quelques secondes plus tard que le drame est arrivé. Jacky a chuchoté quelque chose à l’oreille de sa mère qui a eu d’un coup un air mauvais.
Elle a dit à ma mère d’un ton pincé :
- Madame S. Votre fils P. est un vicieux !
- Qu’est-ce qu’il a fait ?
- Il a regardé sous la jupe de Martine dans les escaliers !
- Tu as fait ça ?
M’a dit ma mère, toujours inquiète à l’idée que je regarde quelqu’un d’autre avec intérêt.
- Ben, elle avait pas de culotte…
- T’avais dit que tu le dirais pas !
A crié Martine.
- Alors ? Qui c’est la vicieuse ?
A dit ma mère. Mon père, indulgent mais toujours prêt à sortir une ânerie a cru bon d'énerver ma mère :
- Le plus dangereux, par là ce ne sont pas les coups d’œil, ce serait plutôt les coups de…
Expérimenté dans l’art de faire hurler ma mère, il s’était arrêté spontanément, soucieux de nous préserver des réalités de la vie mais juste à temps pour que ma mère crie « Lemmy ! Voyons ! Tu me fais honte ! ». Oui, ma mère avait la honte aussi facile que le mépris.
Madame M. a surenchéri « Il y a des enfants tout de même ! »
La dispute fut oubliée sur le champ, les pères ricanèrent, les mères reprochèrent.
J’ai commencé à me battre avec Jacky le traître et fus ramené à la raison avec une taloche maternelle.
On a fini par se réconcilier, il avait deux sœurs et moi trois, alors on savait bien que les filles c’était pas pareil que nous…
08:37 | Commentaires (7)
vendredi, 24 avril 2015
Que serais-je sans toit…
Vous savez toutes, lectrices chéries, ce qu’est un expert.
Vous savez donc que c’est quelqu’un qui sait plein de choses sur un domaine restreint.
Vous savez aussi que plus le domaine est restreint, plus l’expert sait de choses
J’ai pu m’en rendre compte après la visite de ces experts chez moi à propos de pente de balcon.
Ils sont venu à huit pour cette histoire de pente.
Ils ne tenaient même pas tous sur le balcon.
« L’expert-chef » a regardé le balcon, puis la table de bistrot.
Il a hoché la tête d’un air entendu.
Ses acolytes ont hoché de confiance.
Il a dit « au fait, c’est quoi l’angle, normalement ? »
Je lui ai rappelé que la norme que j’avais déjà consultée à l’époque ou j’étais assez optimiste pour espérer leur visite sous peu, indiquait « >1% ».
Il a re-hoché la tête et a demandé à l’entourage « comment on mesure un angle ? »
L’un d’eux a dit « J’ai qu’un mètre ! J’ai pas de rapporteur ! »
Et il a fallu que je leur rappelle comment on calcule un angle quand on n’a qu’un mètre de menuisier et une calculette.
J’ai fourni la calculette…
Ça m’a conforté dans l’idée que plus l’expertise est poussée, plus le domaine est petit.
« L’expert-chef » m’a prouvé s’il en était besoin, que quand on est au sommet de son art on sait absolument tout.
Hélas sur rien…
09:31 | Commentaires (9)