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dimanche, 26 avril 2015

La machine infernale.

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Ça, Mab, c’est surtout pour toi, j’ai des années de choses comme ça encore gravées dans la cervelle.
Mon père, ce héros au sourire si doux, ne riez pas lectrices chéries, il fut un soldat valeureux, blessé, médaillé et félicité par tous.
Enfin, par tous… Sauf ma mère passés les premiers feux du mariage.
Donc, mon père était un héros certes, mais un de ces héros curieux, irrémédiablement rêveur et détaché des contingences matérielles.
Il était équipé, comme son fils et l'Ours, de deux mains gauches pour ce qui était des travaux nécessitant autre chose qu’un pinceau en poil de martre, un crayon, une lime à ongles ou de la délicatesse.
C’était un homme charmant mais doté d’un sens de l’humour assez caustique qui désarçonnait parfois les invités et donnait à ma mère une envie furieuse de le jeter par terre et de le piétiner. Ça aurait pu donner un couple qui marche si ma mère n’avait pas été dénuée d’humour et si mon père n’avait pas eu un talent inné pour se trouver dans des situations délicates.
Ils formaient un couple bizarre, pas plus capables de vivre ensemble que de vivre l’un sans l’autre.
D’après ma grand’mère paternelle, il s’était illustré assez tôt dans les bêtises en tentant un vol avec deux ailes faites de draps fixés à des perches à haricots.
Le vol fut rapide, très vertical et fatal aux draps, aux perches et à un cubitus de mon futur géniteur.
Plus tard ma mère me confia, avec ce demi-sourire hésitant, hélas trop rare et qui la rendait jolie, qu’elle avait dû aller le chercher au commissariat la veille pour se marier avec le lendemain.
Une sombre histoire de dispute avec un receveur de la RATP qui apprit à ses dépens qu’on doit être aimable avec un type qui est revenu du front il y a moins de deux ans…
Mon père était ainsi fait que si les derniers sous du ménage pour le mois étaient dans sa poche, il les utilisait pour acheter dans les couloirs du métro un bouquet de violettes à ma mère.
Évidemment, elle ne voyait pas les choses sous le même angle et avait un amour-propre assez exacerbé pour lui faire payer pendant des semaines l’humiliation d’avoir dû demander à l’épicier et au crémier de faire crédit.
Je me demande bien pourquoi puisque tout le quartier le faisait.
Certains, que ma mère méprisait pour leur « cigalitude » entamaient le « croum » dès le vingt du mois.
Ça meublait les conversations de l’escalier de « Oh ça… Ça mange du gigot le jour de la paye et ça mange des pommes de terre et fait crédit pour le jambon le reste du mois… » et de « Pfff… Ça a couché avec des GI’s et maintenant ça fait crédit pour élever les mômes… »
N’allez pas croire, lectrices chéries, que la ville est épargnée par les commérages.
Tout ça pour vous dire qu’un jour, équipée d’une somptueuse machine Singer, celle-là même dont vous voyez la photo et ramenée par mon père un soir, ma mère eut un réflexe un peu trop lent et l’aiguille lui transperça l’ongle du pouce, se ficha profondément dans le doigt et atteignit l’os.
Elle poussa un cri, montra le pouce à mon père qui manquait d’outils mais pas de sang-froid.
Il alla chez Mr S., le voisin tapeur de cigarettes, et lui demanda de l’aide.
Ma mère ne voulait pas qu’il approchât son pouce. Même du regard.
Déjà au fait de ses talents de mécanicien, elle avait un gros doute quant à sa qualité de chirurgien.
Mr S. arriva avec une paire de tenailles, outil le plus répandu de l’immeuble où les couteaux servaient de tournevis et les tenailles de clef pour tous types d’écrous.
Ma mère le regarda avec méfiance. Elle avait raison. Il serra un peu trop la pince sur l’aiguille et quand celle-ci-ci cassa, ma mère poussa encore un cri.
Il recommença, dit à ma mère « Tournez la tête, Roberte ! Toi, Gaby, tiens le pouce de ta femme ! »
Il tira vivement, ma mère fit « ssshhh… » et sourit en disant « Ouf ! Ça y est ! »
Mon père, rassuré eut encore une de ces réflexions qui lui échappaient au mauvais moment.
« Quand même, ma poule, au prix des aiguilles, tu aurais pu faire attention… »
Ma mère lui a jeté un sale œil.
S’il n’avait pas ajouté ce dangereux « Aïe aïe aïe ! Ti as les yeux qui relousent ! Ti es belle comme ça, ma poule ! » elle ne lui aurait pas jeté le cendrier.
Il le savait, pourtant, que ça faisait des histoires chaque fois.
 

samedi, 25 avril 2015

Quand mille et un naîtront…

Vous savez quoi, lectrices chéries ?
Je cherchais quelque chose à propos des Arméniens et je suis tombé sur un petit truc qui parle de « L’immeuble Yacoubian ».
C’est un immeuble égyptien, vous le savez sans doute, dans lequel se déroulent les petits bonheurs et les drames de la vraie vie. Comme toujours et comme partout.
Et ça m’a rappelé quelque chose de l’immeuble où j’habitais gamin.
Mais si, vous savez bien, lectrices chéries, près d'une Porte de Clignancourt pleine de bandits prêts à me servir de mauvais exemple et de « filles de la Porte de Clignancourt » prêtes à entraîner mes sœurs sur la pente du caniveau ou au moins du trottoir.
Cela dit, bien que sis dans « ce quartier plein d’Arabes », l’atmosphère de l’immeuble était bon enfant et l’été, il arrivait souvent que les portes des logements restassent ouvertes ainsi que les fenêtres pour assurer un courant d’air.
Le courant d’air, hélas , n’allait pas toujours dans la direction voulue et charriait parfois tous les parfums de l’Orient sauf celui du jasmin…
Un de ces après-midi, à l’heure où les uns rentrent du travail et les autres de l’école, une odeur de déjections remplissait l’escalier.
Le confort était à mi-étage. Un crochet assurait l’intimité du lieu et un clou étêté permettait d’accrocher les feuilles de quotidien qui servaient de papier toilette.
A y repenser aujourd’hui, je me dis que les encres et surtout nos fesses devaient être de bonne composition pour n’être pas noires tout l’année…
Cet après-midi donc, arrivé au troisième étage, je vis ma mère, madame M. et madame S. en grande conversation à la hauteur des cabinets.
Arrivèrent au même moment Jacky M. et sa sœur, Martine M. qui avait l’âge de ma sœur cadette.
Les mères, nous dirent, que dis-je, nous hurlèrent « Attention, les cabinets sont bouchés ! » et continuèrent leurs supputations quant à la meilleure façon de résoudre le problème. Nous étions passionnés par l’évènement et profitions de la situation pour aller traîner chez les uns et les autres. J’ai pu constater à l’époque que les logements trop petits et trop peuplés amènent inéluctablement au bordel dans toutes les pièces…
Puis des voix mâles se sont fait entendre. Celle de Mr M. le père de Jacky et de Martine, celle de Mr S., le tapeur de cigarettes de mon père et enfin celle de mon père.
Nous sommes tous allés voir. Ils discutèrent encore un moment puis mon père, le plus grand des pères, a dit avec l’air de Battler Britton avant une mission dans mes illustrés « Bon, les gars, il le faut, tant pis, je vais y mettre la main… »
Ma mère « Non Lemmy ! Tu vas puer et en plus tu vas en mettre sur ton pantalon ! »
Elle a eu l’idée, enfin, de faire bouillir de l’eau. Mon père a pris la boîte de soude caustique sous l’évier, nous a fait reculer et a officié. Un soupir de soulagement à parcouru l’assistance quand un « Ssshhhlluuurrppp » énorme s'est fait entendre.
C’est quelques secondes plus tard que le drame est arrivé. Jacky a chuchoté quelque chose à l’oreille de sa mère qui a eu d’un coup un air mauvais.
Elle a dit à ma mère d’un ton pincé :
- Madame S. Votre fils P. est un vicieux !
- Qu’est-ce qu’il a fait ?
- Il a regardé sous la jupe de Martine dans les escaliers !
-  Tu as fait ça ?
M’a dit ma mère, toujours inquiète à l’idée que je regarde quelqu’un d’autre avec intérêt.
- Ben, elle avait pas de culotte…
- T’avais dit que tu le dirais pas !
A crié Martine.
- Alors ? Qui c’est la vicieuse ?
A dit ma mère. Mon père, indulgent mais toujours prêt à sortir une ânerie a cru bon d'énerver ma mère :
- Le plus dangereux, par là ce ne sont pas les coups d’œil, ce serait plutôt les coups de…
Expérimenté dans l’art de faire hurler ma mère, il s’était arrêté spontanément, soucieux de nous préserver des réalités de la vie mais juste à temps pour que ma mère crie « Lemmy ! Voyons ! Tu me fais honte ! ». Oui, ma mère avait la honte aussi facile que le mépris.
Madame M. a surenchéri « Il y a des enfants tout de même ! »
La dispute fut oubliée sur le champ, les pères ricanèrent, les mères reprochèrent.
J’ai commencé à me battre avec Jacky le traître et fus ramené à la raison avec une taloche maternelle.
On a fini par se réconcilier, il avait deux sœurs et moi trois, alors on savait bien que les filles c’était pas pareil que nous…

vendredi, 24 avril 2015

Que serais-je sans toit…

Vous savez toutes, lectrices chéries, ce qu’est un expert.
Vous savez donc que c’est quelqu’un qui sait plein de choses sur un domaine restreint.
Vous savez aussi que plus le domaine est restreint, plus l’expert sait de choses
J’ai pu m’en rendre compte après la visite de ces experts chez moi à propos de pente de balcon.
Ils sont venu à huit pour cette histoire de pente.
Ils ne tenaient même pas tous sur le balcon.
« L’expert-chef » a regardé le balcon, puis la table de bistrot.
Il a hoché la tête d’un air entendu.
Ses acolytes ont hoché de confiance.
Il a dit « au fait, c’est quoi l’angle, normalement ? »
Je lui ai rappelé que la norme que j’avais déjà consultée à l’époque ou j’étais assez optimiste pour espérer leur visite sous peu, indiquait « >1% ».
Il a re-hoché la tête et a demandé à l’entourage « comment on mesure un angle ? »
L’un d’eux a dit « J’ai qu’un mètre ! J’ai pas de rapporteur ! »
Et il a fallu que je leur rappelle comment on calcule un angle quand on n’a qu’un mètre de menuisier et une calculette.
J’ai fourni la calculette…
Ça m’a conforté dans l’idée que plus l’expertise est poussée, plus le domaine est petit.
« L’expert-chef » m’a prouvé s’il en était besoin, que quand on est au sommet de son art on sait absolument tout.
Hélas sur rien…

jeudi, 23 avril 2015

Que ceux qui sont cléments adhèrent.

De rien Mab, de rien…
On a trouvé un truc pour faire des économies, Heure-Bleue et moi.
Ça devait nous permettre d’atteindre la fin de l’année autrement qu’en volant des légumes sur les étalages des marchés.
Entreprise au succès d’autant plus douteux que nous sommes maladroits, honnêtes et surtout nous ne courons plus assez vite pour échapper à la hargne du marchand…
Donc, pour entamer cette histoire d’économies on n’est pas allé au Monop’.
On a décidé d’être sérieux et on a pris le train.
On est descendu à Clichy-Levallois pour aller dans un nouveau centre commercial.
Bon, honnêtement le bénéfice fut assez moyen.
Nous ne sommes pas allés chez celui qui prétend que « vous savez que chez moi vous achetez moins cher » alors que c’est même pas vrai.
Enfin si, mais c’est seulement parce qu’on n’y trouve pas ce que l’on veut acheter, seulement ce qu’il veut nous vendre, il n’achète pas un produit, il achète une marge.
Nous avons opté pour une autre enseigne, forts de notre expérience du côté misérable des talents culinaires de la « perfide Albion ».
Nous avons été lésés. Avec un grand « B ».
Oh ça, pour ce qui est de la cuisine, on ne risquait pas grand-chose.
En revanche, pour ce qui est de tous ces petits machins qui ne demandent qu’à faire exploser les balances et nos pantalons, ils sont champions.
Heure-Bleue a commencé à l’étage des articles de maison, d’abord devant un coussin « typical british », en réalité « kitschissime ».
Mon dieu quelle horreur ! Heureusement, Heure-Bleue s’est ravisée, l’idée d’avoir ce machin sous les yeux en regardant la banquette m’a fait cauchemarder. Nous nous sommes alors contenté d’un café au « M & S Café ».
La lumière de mes jours s’est montrée extrêmement satisfaite de son déca.
En revanche, seuls les restes d’une éducation modèle « fifties mâtinée XIXème siècle » m’ont évité de cracher un express censément « serré » sur le carrelage.
User d’une machine italienne haut de gamme pour aboutir à cette lavasse est proprement scandaleux…
Nous sommes descendus au rez-de-chaussée appelé « Food Hall », ce qui montre bien que tout le monde se fout de la loi Toubon.
Là, nous avons tourné comme des gamins affolés dans une boutique de jouets.
Nous avons résisté à la tentation de ces trucs, petits mais délicieux et surtout effroyablement caloriques.
Rien qu’à regarder les scones et les muffins j’ai senti la ceinture de mon pantalon se tendre et me serrer.
En regardant les petites saletés épicées et grasses, j’ai cru entendre mon cœur se rebiffer et mes artères se boucher.
Hydrogénées ou pas, de palme ou d’olive, pas à dire, les lipides restent des ennemis impitoyables de la ligne Twiggy.
Vous vous souvenez de Twiggy, lectrices chéries ?
Mais si, voyons, ce mannequin des sixties dont les mauvaises langues disaient qu’elle rayait les baignoires en faisant sa toilette.
Nous avons tout de même été sages. Nous nous sommes contentés des filets de poulets, d’un pain délicieux et pas british du tout, de deux scones, des crevettes et une sauce pimentée.
Avouez qu’on est quand même désespérément raisonnables, non ?

mercredi, 22 avril 2015

Et le castor rama…

La « séquence repassage » d’Heure-Bleue est une source de notes quasiment inépuisable.
Pour deux raisons.
La première est que nous serons morts et enterrés avant que ma dernière chemise ou son dernier corsage soit enfin sorti du panier de linge à repasser.
La seconde est qu’Heure-Bleue ne peut repasser sans regarder une série sur notre moribond téléviseur.
L’attention que porte la lumière de mes jours aux épisodes est suffisamment soutenue pour expliquer que le panier se vide aussi lentement que les listes de Pôle Emploi.
La durée de la séquence ainsi que son heure d’occurrence corroborent parfaitement le théorème dit « panier des Danaïdes inversé » qui démontre si bien la pérennité du panier plein.
La durée est calibrée de façon, comment dire. Flottante…
Oui, c’est cela, flottante. Le « calibre flottant », oxymore Heure-Bleuesque pleine peau est la règle car la lumière de mes jour est une spécialiste de « la précision aléatoire ».
Il est censément de durée constante. Deux épisodes de vingt-quatre minutes de la série choisie.
La productivité est proche de celle de ceux qui la prônent du côté de nozélites. Autant dire discutable.
Le repassage est plein d’embûches aussi efficaces que le code du travail selon le MEDEF. D’abord le choix de la pièce à repasser.
N’allez pas croire, lectrices chéries, qu’il suffit de prendre la chemise ou la taie du dessus du panier.
Non, rien d’aussi simple.
Pendant qu’Heure-Bleue, l’œil fixé sur l’écran, attend la fin du plan qui la passionne, le fer passe et repasse sur le vêtement.
La fin du plan arrive enfin, je m’attends toujours à ce qu’une main délicate attrape la pièce suivante mais non.
La main fouine et cherche selon on ne sait quels critères un nouveau vêtement à mettre sur la planche.
Pendant ce temps, un autre évènement a pris l’habitude de chambouler la séance de repassage. L’heure.
Elle aussi est flottante quant au début de la « séquence repassage ».
Si elle arrive à dix-neuf heures, l’heure où je me mets à la préparation du dîner, d’autres embûches se dressent contre le vidage du panier.
D’abord nous papotons de tas de sujets. Le principal étant la primauté du bulletin d’infos de France-Inter sur l’épisode suivant de la série.
Je perds chaque fois…
Puis, l’approche du dîner induit la « petite faim apéritive ».
Je distrais quelques instants de la préparation du dîner pour faire griller une tranche de pain pour chacun de nous, tranche qui sera agrémentée d’un peu de tarama, ce petit bidule crémeux si mauvais pour ce qu’on a.
La tartine est souvent agrémentée d’un petit verre de vin, un verre à porto certes, mais tout cela nuit gravement au rendement fer à repasser. La crainte de laisser une goutte de vin sur la chemise ou une trace de tarama sur un corsage ou un pull tue dans l’œuf toute velléité de repassage.
La lumière de mes jours ira néanmoins jusqu’à la fin du second épisode de « Sex & the City », de « Cosby show » ou de « Friends ».
L’épisode arrivant car la durée d’icelui concorde toujours, de façon quasiment magique, avec l’heure du journal de France 2 et du début du dîner.
Nous ne les regardons qu’à peine car c’est le moment où commence la discussion animée du repas. Oui lectrices chéries, nous parlons en mangeant et même nous avons des fou-rires.
Et le linge à repasser ?
Eh bien… Un jour, peut-être…