dimanche, 27 juillet 2014
Commencez la révolution sans moi…
Le temps magnifique qui ce matin éclaire mon coin me rappelle un évènement dramatique.
Dramatique pour ma voûte plantaire gauche. En y regardant de près je suis même sûr qu’elle garde la trace de ma mésaventure.
On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans, comme dit machin.
Mais on manque singulièrement de jugeote quand on a dix-neuf ans.
Vous vous rappelez sans doute, lectrices chéries, que si j’avais dix-neuf ans, c’est que nous étions en 1968.
Je sais que certaines se le rappellent, toujours à l’affût de ce qui pourrait rappeler que je ne suis plus un gamin. Enfin si, mais déglingué du genou droit et un peu de la cervelle…
Donc, en ce mois de juillet 1968, l’inscription à la fac payée, j'étais heureux comme tout d’être abandonné par mes parents et avec l’espoir de gagner quelques sous en bidouillant pour des manchots du fer à souder.
A voir se balader pieds nus sur les quais de la Seine des « beatniks » en jeans effrangés et en veste genre « Davy Crockett », il me vint des idées de liberté, de « peace and love », surtout de love et de faire comme tous ces autres qui semblaient couler des jours heureux à glander toute la journée.
Un de ces jours particulièrement ensoleillés il me vint l’idée saugrenue que je pourrais après tout et tout aussi légitimement revendiquer le droit à l’autodétermination.
En fin de matinée, après avoir fait quelques courses sous un soleil délicieux et pas encore brûlant, je suis remonté à la maison.
Il y faisait frais car les fenêtres ne donnaient pas sur la rue et l’appartement était du coup plutôt sombre.
Après avoir déjeuné, ma décision fut prise.
Je serai « beatnik » ! Je ne savais pas encore que ce ne serait qu'aujourd’hui. Et encore. Je n’avais pas de guitare mais j’avais un pantalon de daim à « pattes d’èph ». D’une minceur qui me faisait craindre qu’il ne se déchirât au premier regard féminin un peu insistant.
Je retirai mes clarks, mes chaussettes et eus l’idée de me promener moi aussi pieds nus dans les rue de Paris.
J’ai descendu les « deux étages et demi » qui m’amenaient dans la cour pavée du XIIIème siècle. Déjà, l’état déplorable des marches commença à semer un doute quant à l’intérêt d’être pieds nus.
Arrivé au rez-de-chaussée, la cour mina un peu plus mon enthousiasme, au centre, ses pavés ensoleillés étaient trop chaud pour des pieds habitués aux chaussures, le tour de la cour était ombragé mais les pavés en étaient souvent humides et, disons le, assez crades.
Je me pressai donc d’atteindre la rue. J’ai posé un pied prudent sur le trottoir de la rue du Temple.
C’est quand j’ai posé le second que j’ai hurlé « Et meeeeerdeee ! »
J’ai compris soudain ce que voulait dire « cuisante » quand on parle de douleur.
Avez-vous déjà posé un pied nu sur un mégot allumé qu’un idiot vient de jeter, lectrices chéries ?
Ça a signé la fin de la plus brève carrière de beatnik que le monde ait connue.
Ça m’a fait mal pendant des jours et des jours.
Il est même surprenant que ça ne m’ait pas envoyé grossir les rangs des réactionnaires !
Salauds de beatniks…
09:33 | Commentaires (11)
samedi, 26 juillet 2014
La bouteille à remonter le temps.
Hier, Heure-Bleue et moi sommes allés chez les enfants.
Finalement, ça s’est plutôt bien passé avec la séquence habituelle « musique sixties » et quelques souvenirs.
Même Merveille a chanté « Imagine » avec nous. Elle avait quelques trous dans les paroles mais nous avons été très fiers d’une Merveille chantant en anglais avec l’air de savoir ce qu’elle chantait.
J’étais au « haut bout » de la table, comme il sied à un homme hors du commun comme votre Goût, lectrices chéries.
A ma gauche, Manou, dépositaire du trésor, à savoir la petite bouteille de Limoncello.
A ma droite, Merveille, surveillant ce que nous mangions.
Et buvions…
Le dessert passant, le café arrivant, Manou et moi nous sommes rappelé quelques désagréments communs aux enfants du début des années soixante.
Comme votre serviteur, elle dut monter le charbon au quatrième étage dans ces longs seaux à « bec verseur ».
Charbon qu’il fallait aller chercher le soir dans une cave sans autre éclairage qu’une bougie.
Puis, la corvée de cendres que nous descendions le matin, enveloppées dans du papier journal car en ces temps préhistoriques, les sacs de papier ou de nylon n’étaient pas si disponibles qu’aujourd’hui. Un cabas de toile cirée et deux filets faisaient l’affaire pour les courses des dix prochaines années…
C’est en regardant le niveau de la petite bouteille de Limoncello qu’on s’est aperçu d’un de ses effets secondaires : Il nous transporte, de la douceur de la nuit sur la terrasse, aux soirées d’hiver des années soixante…
11:21 | Commentaires (7)
vendredi, 25 juillet 2014
Ce jour là, la mère fut agitée…
La dernière note de Lakevio, avec ce souvenir de voleur de pommes qui s'est fait serrer, a ramené à la surface de ma mémoire un souvenir que je pensais irrémédiablement enfoui.
Je peux même vous dire que c’était en 1957. Pas très loin de la mi-septembre. Ma sœur cadette et moi étions revenus de Bourgogne. La guerre d'Algérie faisait rage et un de mes cousins était allé admirer la beauté des djebels en un voyage offert par l'Armée française.
Un après-midi de beau temps, ma mère, lassée de nos piaillements incessants nous laissa exceptionnellement « aller jouer dans la rue ». Exceptionnellement car elle avait pour principe que les enfants ne doivent pas être laissés à eux-mêmes avant sept ans « sinon ils sont soumis à la mauvaise influence de ces voyous de la Porte de Clignancourt ». Un genre de horde qui était sans cesse à l’affût de la chair de sa chair pour la pervertir et la transformer soit en « blouson noir » soit en « fille de la Porte de Clignancourt ». J’ai appris plus tard qu’elle avait tiré cette certitude d’un bouquin sur les Jésuites.
Ma sœur et moi étions donc descendus dans la rue. « La rue » est un bien grand mot pour une voie qui était, je crois bien, la plus courte de Paris, un passage lépreux où on aurait cru que la guerre ne s’était pas arrêtée il y a douze ans mais plutôt douze jours…
Nous allions vers la rue du même nom, aussi lépreuse mais plus longue et, comme notre passage, « pleine d’Arabes ». J’avais dans l’idée d’aller « au terrain vague » comme disaient les parents, un terrain plein d’herbe, de ronces où étaient accrochées des mûres qui puaient parce qu’il y avait plus de punaises que de mûres sur ce buisson.
Il y avait aussi des tas de choses qui m’intéressaient, comme une vieille machine à coudre, un truc plein de vis à défaire si j’avais eu un tournevis, bref un lieu de découverte. Il y avait aussi des copains que je voyais rarement, pensionnaire reclus que j’étais.
Ma sœur cadette remonta rapidement car elle s’ennuyait avec des garçons qui couraient, se chamaillaient mais ne jouaient pas avec elle. Je me retrouvai donc avec, entre autres gamins de mon âge, un certains Lopez. Une « armoire à glace » disions nous alors qu’avec le recul, une « armoire à glace » de huit ans ne devait pas être impressionnante. Je me souviens de ce Lopez car il n’avait pas de père. La rumeur lui prêtait comme père, à cause de son gabarit, un GI de passage qui, selon la même rumeur « s’était tapé sa mère ». Mère dont la même rumeur prétendait qu’elle gagnait sa croûte en déambulant le long du boulevard Ornano et en s’adressant à des messieurs en costume plutôt qu’en « bleu ».
Ce Lopez avait en outre un accent qui m’avait valu quelques taloches quand j’avais essayé de le prendre. C’était pourtant un accent vachement chouette de « mec à la coule » mais ma mère ne voyait pas les choses comme ça et pestait que « heureusement que tu retournes bientôt chez les Frères sinon tu finirais en maison de redressement ! »
Cet après-midi là, donc, loin des yeux et surtout des oreilles des parents, Lopez, quelques autres et moi jouions à la guerre, comme plein de gosses de l’époque.
Nous faisons un tel raffut, poussions de tels cris que, surgissant de nulle part, une espèce de monstre hirsute se précipita vers nous en hurlant « bande de salopards ! Je vais vous passer à la mitrailleuse moi, putain de bougnoules ! »
Il accourait, j’étais le moins sportif, il m’attrapa.
« Ah je te tiens ! T’es un petit fellagha, toi ! Hein ? »
J’avais les jambes qui tremblaient, le ventre qui allait se vider dans ma culotte courte, j’en étais sûr. Et il continuait, me serrant le bras : « Je vais te tuer, sale Arabe ! Petit bicot ! »
Bon sang, quelle peur ! Une fenêtre s’ouvrit et une voix de femme hurla « ça va, c’est un gosse, ils peuvent jouer quand même ! »
Il m’a lâché en faisant le geste de me donner un coup de poing.
Je crois bien que c’est ce jour là que j’ai battu le record mondial de vitesse de montée d’escaliers sur quatre étages.
Ma mère m’accueillit, me câlina, m’engueula et clôt par « Tu vois qu’il faut pas jouer avec des Arabes »…
Elle n’a jamais pu accepter de vivre là. Comme l'autre, là.
Quand j'y pense, je crois que je n'ai jamais eu aussi peur depuis.
Pourtant les occasions n'ont pas manqué...
07:40 | Commentaires (9)
jeudi, 24 juillet 2014
Le livre des Merveille…
Tout s’effrite…
Cet après-midi, déjà, malgré des câlins et des protestations d’amour inconditionnel, surtout, pour ce que j’ai constaté, emmerder Mamie, j’ai bien senti que notre amour avait du plomb dans l’aile.
Tout foutait le camp.
Alors qu’en l’amenant sur l’aire de jeux d’un espace vert du coin, elle avait attrapé des noisettes, Heure-Bleue avait jeté en la voyant m’offrir une petite branche de noisetier avec trois noisettes vertes :
- Voici des fruits, des feuilles…
Et le Goût, emporté par son élan :
- Et des branches…
Merveille :
- Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ?
Et moi de déclamer, magnifique de stupidité, dans un élan sublime, assis sur un banc, entre un toboggan et un petit autocar :
Et puis voici des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous,
Ne le déchirez pas entre vos deux mains blanches
Et qu’à vos yeux si beaux, l’humble présent soit doux…
Œil inquiet de Merveille, qui se tourne vers Heure-Bleue et demande « Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qu’il a, Papy ? »
Heure-Bleue de répondre :
- C’est rien, Merveille, c’est de la poésie.
Là, Merveille m’a jeté un regard plein de commisération et à dit à Heure-Bleue :
- Aaaahhhh… Oui… Ah bon, d’accord…
D’un air de dire « Papy est salement déjanté ».
Merveille tient manifestement de sa grand’mère. La poésie ne la branche pas et elle semble maintenant d’un pragmatisme féroce.
J’en eus la preuve vers la fin de notre promenade.
Alors que je lisais, assis sur le banc tandis qu’Heure-Bleue accueillait Manou, une petite fille est venue me voir. Je me suis vu papoter avec deux petites filles et leurs mamans, une blonde enceinte jusqu'aux dents et une femme assez petite aux cheveux châtains et à la peau claire..
Heure-Bleue s’est approchée, Manou aussi.
Heure-Bleue s’est alors écriée, alors qu'elle sait pourtant que je suis d'un caractère sociable :
- C’est pas possible ! Déjà entouré de filles !
C’est à ce moment que j’ai compris que notre amour, à Merveille et moi, avait du plomb dans l’aile.
Elle a chuchoté quelques mots à l’oreille d’Heure-Bleue.
Sur le chemin du retour, alors que Merveille, Manou et P’Tite Sœur nous avaient quittés, Heure-Bleue m’a dit :
- Tu sais ce que m’a dit Merveille ?
- Non…
- Elle m’a dit « Papy, il est bien capable de tomber amoureux de celle qui n’est pas enceinte… Mais elle est trop jeune pour lui… »
La vache ! Elle a même remarqué ça.
07:13 | Commentaires (9)
mercredi, 23 juillet 2014
Goût du luxe.
La soirée eût pu être mieux « embringuée » n’eût été cette remarque sur le manque de clairvoyance d’Heure-Bleue à la sortie du Monop’…
Ça s’est quand même arrangé parce que nous ne nous jetons à la figure que des trucs très vieux, et seulement dans les cas graves, mais ceux qui surviennent dans la journée nous poussent plutôt à rire.
Comme un de ces soirs où, au sortir du Monop’, nous étions lestés, plutôt délestés, d’une addition à faire passer la dette publique pour une note de taxi.
C’est là qu’Heure-Bleue, oubliant qu’elle-même est un petit bijou aux frais d’entretien qui font tordre le nez de notre banquier, me jette, royale :
- Eh ben, je vais te dire, le problème, c’est que quand tu fais les courses, tu ne fais pas attention…
- Ah bon ? Et c’est quoi tous ces trucs, là ?
- C’est pas pareil ! Ça c’est pour Merveille et P’Tite Sœur ! C’est l’anniversaire de la petite.
- Ah ?
- Oui, on fêtera le mien en même temps, avec celui de JJF…
- Bon… Et c’est moi qui dois faire attention ?
- Oui, tu es dispendieux, Minou.
- … ?
- Tu sucres ton café avec du miel « bio », tu bois du scotch…
- Eh ! Pas si souvent !
- Oui mais quand même, c’est cher, moi je ne bois plus de scotch depuis des années.
- Pfff…
- Oui ! Tu coûtes !
- On dirait Marisol Touraine parlant des retraités !
- Ben oui ! Tu coûtes ! Ton whisky, ton miel « bio », ton « jamòn de Jabugo ».
- Et toi ? Avec tes entremets de bonne sœur qui coûtent un œil ? Tes tournedos de canard, ton saumon Kaspia, tout ça !
- Oui mais toi t’es cher !
C’est peut-être là que je n’aurais pas dû dire :
- Que veux-tu ma Mine, quand on prend un produit de luxe comme le Goût, faut assumer…
Bref, on a bien ri…
Pour autre chose aussi mais là, on n’ose pas dire. On se fâcherait avec quelqu’un.
Non, vraiment, ça on peut pas dire…
Et pourtant ça me brûle le clavier.
On adore dire du mal de…
Et pourtant je ne suis pas du genre à faire des histoires, hein.
Vous le savez bien, lectrices chéries…
07:17 | Commentaires (14)